Gastronomie
Les recherches d'Anthony Denon, chef étoilé

Pierrick Bourgault
-

Anthony Denon, 34 ans, expérimente une cuisine actuelle fondée sur le végétal et ses saveurs. Dans son laboratoire de création, le Baudelaire, il suit le travail des agriculteurs, en particulier des maraîchers.

Les recherches d'Anthony Denon, chef étoilé
Anthony Denon, chef du Baudelaire, un macaron Michelin. (Photo : P. Bourgault).

Classiquement, un menu de table gastronomique aligne des produits onéreux, car le client doit en avoir pour son argent. Anthony Denon sourit : « J’appelle cela une démonstration, une liste pour plaire à tout le monde, à ceux qui veulent des références. Avec des produits prestigieux, qu’il suffit de présenter avec une sauce quelconque, les coûts sont exorbitants – et le chef passe au second plan ! ». Autre manie de la gastronomie, le menu au vocabulaire précieux ou exotique qui contraint à quémander des explications. Au Baudelaire, un macaron Michelin, Anthony Denon tient à garder une carte lisible : « Je veux apporter de la classe dans la simplicité. Alain Ducasse nous a enseigné à rester le plus simple possible et de ne pas suivre la mode, pour ne pas être démodé ! ». Sa philosophie : d’abord, respecter le goût des produits, « si dans un plat avec des carottes, le client ne sent pas la carotte, c’est raté. Il faut juste apporter quelque chose qui interpelle le palais dans la texture, la chaleur, dans les jeux d’assaisonnement ». Par exemple, pour magnifier ce légume, Anthony Denon ajoute l’acidité d’un jus d’orange et un peu d’ail qui exhaussent les saveurs. Le chef tient aussi à offrir une sensation presque musicale, ses préparations croquent sous la dent. Et « des sentiments », qui sont souvent des souvenirs d’enfance, tel le poulet grillé avec des pommes de terre rôties à l’ail du dimanche midi. « J’écoute beaucoup les anciens. Dans mon restaurant étoilé, c’est ce genre de sentiment que je veux apporter ».

Le végétal en vedette

Le Baudelaire, qui n’est pas un restaurant végétarien, propose aussi dorade, turbot, canard, veau de lait… mais les menus présentent d’abord le végétal, ensuite l’animal. Ainsi, « Betterave d’Herblay, Pigeon de Pornic, Comme une sauce à la royale ». Il est loin le temps où des légumes monotones (haricots, frites, voire coquillettes…) étaient réduits au rôle d’accompagnement. Aujourd’hui, les chefs ont compris que le végétal est non seulement meilleur marché que les produits animaux mais aussi plus varié selon les saisons, plus coloré et qu’il se prête mieux aux esthétiques appréciées sur Instagram.

Dans son menu à 72 €, uniquement végétal, Anthony Denon proposait par exemple fin juin une farandole de tartelettes et bouchées croquantes aux saveurs étonnantes : asperge verte et blanche, condiment menthe et amande râpée dans le style falafel, graines prégermées torréfiées, petits pois et roquette sauvage ; tartelette fanes de carottes et graine de moutarde, copeaux de noix de macadamia, pousses de carotte et orange sanguine ; riz rôti au vieux comté, condiment épinard, crumble de parmesan et cosses de petits pois caramélisées. En dessert, clafoutis aux cerises flambé au kirsch et glace au thym. La carte des boissons aligne de nombreux alcools, mais aussi des sans alcool aux saveurs intenses, à base de verjus et de plantes méridionales, dont un « Djin » composé d’une vingtaine de distillats et extraits botaniques. Anthony Delon flaire les tendances, comme celle du sans alcool. Il écrit la gastronomie de demain dans sa cuisine-laboratoire : « Je me suis rendu compte qu’on n’utilisait pas assez le goût du végétal, alors que le goût original vient de la terre. Comment peut-on expliquer que le pain, qui était l’aliment principal, ait presque disparu des tables ? Tout en rendant ma cuisine contemporaine, je veux retourner aux racines ». Bien sûr, la complexité des préparations, extractions et déshydratations exige une dizaine de personnes en cuisine et six en pâtisserie. Un véritable laboratoire de recherches, financé par le restaurant gastronomique.

Attaché aux maraîchers

« À la découverte des carottes de Roland Rigault : Gnocchis de carotte, condiment fumé et amandes caramélisées ». La carte met à l’honneur les agriculteurs avec qui Anthony Denon garde une relation constante : « Les producteurs m’envoient des photos de ce qui est en train de pousser. Quand je les rencontre, il faut que je comprenne comment ils cultivent les légumes, la température, le taux d’humidité… Le plus intéressant, c’est quand le maraîcher me dit : cela, je le mange cru. Ensuite je construis le plat. Je suis très fidèle à mes fournisseurs ». Ces légumes élevés avec soin, Anthony Denon les valorise dans leur intégralité : « C’est l’essence de ce que je fais, tout est bon dans la carotte ; la peau de la betterave est séchée pour faire des tartelettes ; ce que je n’utilise pas, je le passe à l’extracteur pour la sauce. Le plus surprenant, c’est l’expérience autour de la tomate, en salade, déshydratée, en sorbet… ». De même, il cuisine l’oignon de quatre façons différentes : bouillon, tatin caramélisée, confit, chips, et il récupère même l’eau de la déshydratation pour une sauce. « L’oignon est bon marché, mais on a mis deux ans pour arriver à ce niveau-là ! » Quant à la pomme de terre, elle devient ketchup, pomme de terre soufflée, tartelette en peau de pomme de terre…

Chef en cuisine, Anthony Denon n’oublie pas d’observer en salle comment les clients dégustent ses plats, qu’il modifie si nécessaire dans une recherche constante et attentive, véritablement de la fourche à la fourchette.