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Chambre d’agriculture

Une situation critique et inédite

La première session 2016 de la Chambre d’agriculture de Côte d’Or s’est déroulée jeudi 25 février dans une atmosphère bien particulière.
Par Aurélien Genest
Une situation critique et inédite
De gauche à droite : François Depuydt (directeur de la Chambre d’agriculture), Vincent Lavier (président de la Chambre d’agriculture), Marie-Hélène Valente (secrétaire générale de la préfecture), Jean-Luc Lemmolo (directeur de la DDT) et Marc Frot (présid
Non, le salon de l’agriculture ne parviendra pas à masquer la détresse de la profession. Le constat dressé la semaine dernière par Vincent Lavier est édifiant : «Le tableau n’a jamais été aussi sombre qu’aujourd’hui. Il nous faut de toute urgence des choix politiques clairement affichés. Sans eux, nous n’arriverons pas à nous projeter. Dans une telle conjoncture, nous nous demandons s’il est encore raisonnable de laisser des jeunes s’installer». Le président de la Chambre d’agriculture a rappelé les problématiques rencontrées : «entre blocages et manifestations diverses, la profession n’a cessé de montrer son mécontentement depuis maintenant un an, les nuages se sont accumulés en 2015. Les prix de la viande et du lait se sont effondrés. La surproduction de blé a entrainé les agriculteurs dans la tourmente, ils ont été suivis par les producteurs de légumes, handicapés par la douceur hivernale. Les dossiers sanitaires ont compliqué la donne». La gestion des dossiers Pac, elle, est qualifiée de «calamiteuse» par le président, qui rappelle «l’interminable attente» du paiement intégral des aides : «en ce moment, les agriculteurs ont plus que jamais besoin d’être rassurés. Là, nous sommes totalement à l’envers. Personne ne connaît son montant définitif attribué pour la Pac 2015 ! La gestion des SNA, les Surfaces non agricoles, nous n’en parlerons même pas car nous touchons le fond... Même chose pour le deuxième pilier de la Pac : les agriculteurs concernés ne sont toujours pas payés malgré les investissements réalisés. On nous parle de problèmes informatiques au niveau de l’administration...».

«Un climat exécrable»
Les négociations commerciales entre la grande distribution et les fournisseurs se déroulent dans «climat exécrable» indique Vincent Lavier, «la distribution s’est engagée dans une guerre des prix sans fin qui se répercute chez les producteurs. Cette situation globale est inédite, sans aucune lisibilité sur une sortie possible, à court ou moyen terme. Les enjeux sont pourtant énormes, de nombreuses filières sont impactées, les comptes de résultats des exploitations sont dans le rouge, et nombreux sont ceux qui ne peuvent plus faire face à leurs engagements financiers». Le plan de soutien de l’élevage, les mesures sociales et fiscales «ne sont pas de nature à résoudre l’ensemble des problèmes et en aucun cas, d’assurer la pérennité des exploitations. Nous sommes vraiment au bout d’un système». Certains points positifs ont tout de même été relayés dans ce tableau particulièrement noirci: «il y a tout de même quelques nouveautés au sein de la grande distribution. L’enseigne Leclerc se serait engagée à ne pas baisser les prix dans ses négociations commerciales, tout en faisant part de sa volonté d’organiser des opérations de promotion de la viande de bœuf. Auchan envisagerait des contrats tripartites, chose que la profession demande depuis bien longtemps. Au niveau de l’Europe, c’est toujours aussi compliqué mais la gravité de la crise commence d’être reconnue. Certaines propositions françaises, notamment sur le relèvement du prix d’intervention du lait, seraient écoutées». Marc Frot et Marie-Hélène Valente ont tenté de rassurer les membres de la session. Pour le Conseil départemental, «il n’y a pas de raison que les soutiens évoluent même si certains changements seront obligatoires suite à la fusion des régions. Il faudra se caler différemment, s’appuyer davantage sur des volets plus collectifs et sociaux pour pouvoir attribuer des aides». La secrétaire de la préfecture a rappelé quant à elle la réactivité des services de l’État sur les différents dossiers, sans omettre les difficultés structurelles de l’agriculture. Une seconde enveloppe Fac sera prochainement distribuée. Les aides Pac devraient être versées d’ici fin juin, la télédéclaration pour la prochaine campagne devant se dérouler «normalement».

La sortie de la crise ? Pas pour demain...

Philippe Choteau est intervenu lors de cette session. Le chef du département économie de l’Institut de l’élevage a bien indiqué que la crise agricole n’allait pas disparaître «simplement en claquant des doigts»: «Effectivement, ça ne va pas se faire comme ça. Il faut l’avoir en tête, les marchés vont rester fortement volatils. Il va falloir trouver de nouveaux modes de régulation pour s’en sortir. On sait bien qu’on ne reviendra pas à la situation d’avant. Il faut intégrer cette nouvelle donne dès son projet d’installation, dès que l’on fait son business plan pour investir.... Les plans de financement doivent vraiment tenir la route et intégrer les besoins en fond de roulement. Si l’on commence à avoir des problèmes de trésorerie dès le départ, on est très mal armé pour faire face à des périodes de vaches maigres.... Il va y avoir des mauvaises années mais aussi des meilleures, fort heureusement. C’est à ce moment là qu’il faudra être en capacité de faire de l’épargne de précaution». En attendant, que faire pour s’en sortir du mieux possible ? Philippe Choteau évoque la maîtrise des systèmes : «les agriculteurs doivent être dans un système dans lequel ils se sentent bien. Si l’on n’arrive pas à bien le gérer, notamment après un investissement, on va à la catastrophe. C’est la raison pour laquelle nous invitons les jeunes à aller voir ailleurs, à explorer différents systèmes et se rendre dans plusieurs pays avant de s’installer. S’installer tout de suite en sortant de l’école, il n’y a rien de pire... Pour les personnes qui ont plus d’expérience mais qui ne s’en sortent pas pour autant, il faut sans doute revoir son système. En bovins viande, on peut peut-être vendre un peu de vaches pour se refaire une trésorerie. En lait, c’est moins évident car les systèmes sont calibrés, avec une salle de traite et un bâtiment adaptés à une certaine production... Si l’on baisse cette production, on a beaucoup plus de charges fixes au litre de lait. Une des solutions est peut-être de s’associer avec quelqu’un...». Le chef du département économie de l’Institut de l’élevage termine sur une note d’espoir : «La mobilisation collective que l’on connaît actuellement au plus haut rang est la bienvenue. Elle est nécessaire car l’Europe ne peut pas continuer ainsi, avec une non-régulation volontaire des marchés, notamment laitiers, qui ont des impacts sur la viande. Aller signer des accords de libres-échanges avec les États-Unis demain, avec le Mercosur après-demain, c’est de la folie furieuse ! Il faut continuer de mettre la pression au niveau européen. Au niveau français, la prise de conscience est là, notamment chez les Pouvoirs Publics. Il faut toutefois maintenir la pression car cette prise de conscience n’est peut-être pas aussi importante que l’on pourrait imaginer dans la filière aval. La grande distribution commence tout juste de voir l’ampleur des dégâts... Certains transformateurs jouent leur propre carte, les interprofessions ont beaucoup de mal en ce moment. Ça ne pourra fonctionner que si chacun remet en cause ses pratiques d’avant».