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Crise agricole

Une seule règle: travailler ensemble

La crise est une réalité et le constat n’est plus à faire. L’heure est aujourd’hui à trouver des solutions pour demain. C’est ce que se sont efforcés de faire les participants au Conseil de l’Agriculture Française, organisé par la FDSEA et JA de l’Yonne, le 14 septembre dernier.
Par Dominique Bernerd
Une seule règle: travailler ensemble
Un Conseil de l’Agriculture Française organisé sous l’égide de la FDSEA et des JA de l’Yonne.
Organisé par la FDSEA et les JA de l’Yonne, le Caf qui s’est tenu en fin de semaine dernière à Auxerre a réuni nombre d’acteurs de la sphère agricole icaunaise, avec comme objectif, de trouver des pistes de réflexion pour mieux appréhender l’avenir. Un avenir qui se conjugue aussi au présent pour un certain nombre d’exploitations, dont le premier challenge est bien avant tout, de franchir le cap de l’année 2016.

Et pour cela, de l’avis de tous, les solutions ne pourront être que collectives, comme le souligne le président de la FDSEA de l’Yonne, Francis Letellier : «on a peut-être eu trop tendance à une époque, à aller individuellement sur les exploitations, pour y prêcher la bonne parole…» Son souci premier dans la recherche de solutions : «l’humain et tout ce qui gravite autour et j’espère que pour vous aussi…»

Premier à témoigner, Philippe Renoux, président de la fédération départementale des caisses locales de l’Yonne à Groupama PVL, pour un point sur le système assurantiel dans le département : «nous assurons à peu près la moitié des surfaces grandes cultures, soit 140 000 ha en contrat Multi Risques Climatiques et 15 000 ha en grêle seule».

Les chiffres sont plus limités en vignes, avec 500 ha en MRC et 1 000 ha en grêle, soit environ 5 % de la surface des vignobles. La succession de sinistres enregistrés en 2016 a fait «exploser les compteurs», avec un ratio à 300 %, là où le département était à l’équilibre jusqu’à l’année dernière, à 80% : «l’Yonne seule, sans l’avantage du mutualisme, n’assurerait plus les aléas depuis un petit moment et le système aurait été en faillite. C’est ce qu’on risque aujourd’hui, si la profession ne défend pas le système, gardez cela à l’esprit !»

à ce jour, 130 millions € de règlements de sinistres ont été comptabilisés pour l’ensemble de la zone Paris Val de Loire, dont 31 millions pour l’Yonne. Plus de 50% des sinistres concernant les cultures d’hiver ont été remboursés, le solde devant être réglé d’ici le 30 septembre. Présent également à la réunion, le Crédit Agricole et sa filiale Pacifica, qui assure 73 000 ha de superficies sur le département et a enregistré à fin août un total de 531 sinistres grêle et inondation, pour un global de 5,9 millions € d’indemnisation (agriculture et viticulture).
 
Travailler tous ensemble
Les moyens d’action mis en place par la MSA Bourgogne l’an passé seront reconduits cette année, particulièrement pour les personnes avec moins de 4 248€ de revenus. Deux possibilités s’offrent à eux, rappelle son président, Dominique Bosson : «ou vous passez la moyenne triennale à l’année N pour le calcul de vos cotisations, ou vous demandez l’étalement à report de vos paiements de cotisations sur un maximum de 3 ans».

D’autres mesures habituelles demeurent, comme l’échéancier ou la prise en charge partielle de cotisations. Le paradoxe, souligne Dominique Bosson, «est que cette année, nous enregistrons à peine 500 demandes de prise en charge, contre 2 000 l’an passé. Un phénomène que l’on a du mal à expliquer» Rappelons que toute personne peut demander la prise en charge partielle de ses cotisations, sous réserve qu’elle n’ait pas déjà bénéficié du dispositif depuis deux ans.

Concernant le calendrier d’appel de cotisations pour l’année prochaine, plusieurs mesures entreront en vigueur : le 1er appel qui était de 45% des cotisations précédentes sera ramené à 35% et le second, resté à 35%, ne sera exigible qu’à la date du 31 août. Les demandes de RSA explosent au niveau national et la Bourgogne n’est pas en reste, avec 5 000 dossiers déposés pour 2 215 dossiers payés, à l’échéance du 5 septembre : «le problème étant que pour pouvoir bénéficier de la prime d’activité, il faut avoir un revenu minimum». Moyenne versée par mois en Bourgogne : 225 €, pour 175 € au national.

Avec pour signification, que les revenus dans notre région, sont plus faibles qu’ailleurs. Comment parvenir à repérer les personnes en difficulté ? Le président de la MSA Bourgogne a son point de vue : «si on veut être bon, il nous faut travailler tous ensemble. Si chacun est tenté à régler le problème avec sa propre structure, on n’y arrivera pas. Il faut un référent par structure et des lieux d’échange, plus de la confidentialité. J’insiste là-dessus, un agriculteur a parfois du mal à se confier à son conseiller, si plusieurs personnes sont au courant, ce sera encore plus difficile».

Le secteur céréalier se mobilise
Du côté des coopératives céréalières, l’heure est aussi à trouver des solutions pour passer un premier cap. à commencer par celui du prix payé à l’adhérent, comme le rappelle Gérard Delagneau, président de 110 Bourgogne : «on essaie d’approcher le meilleur prix possible du marché et on a pris le risque d’acheter un produit pas vendable ou sans marché en face pour le vendre, par rapport à un tas de blé qui avec 67 de PS, normalement, n’est pas commercialisable». Certains dossiers sont difficiles au sein de la coopérative et tout sera mis en œuvre pour envoyer les agriculteurs concernés vers la cellule Réagir 89, mais le président Delagneau s’interroge : «il ne faut pas que ce soit l’arbre qui cache la forêt. Même si la situation est pire en 2016, le problème depuis cinq ans,  n’est pas que conjoncturel, mais bien structurel. Et la problématique que je pose, c’est que s’il n’y a pas de réaction de la part de l’état et des banques, laissera t-on disparaitre l’agriculture dans nos zones intermédiaires ? Pour moi aujourd’hui, le souci, il est là». Rappelant pour sa part, «la quasi homogénéité du département, par rapport aux difficultés rencontrées», son homologue à la coopérative Capserval, étienne Henriot évoque également le souci partagé par les organismes fournisseurs d’intrants : «que les agriculteurs soient en capacité de pouvoir réinvestir pour l’année qui vient, pour bien évidemment, parvenir à assurer la prochaine récolte».

Même préoccupation pour le représentant du groupe Soufflet : «la commercialisation de la récolte 2016 est bien sur importante, mais il nous faut aussi démarrer 2017 et les agriculteurs sont nombreux aujourd’hui, à ne pas avoir envie, ou pas les moyens d’investir dans leurs cultures ou alors, au rabais. On voit l’exemple de personnes qui n’ont pas travaillé les champs, parce que tout simplement, ils ne peuvent pas mettre de fuel dans leur tracteur, ou n’ont pas passé commande de semences». Soulignant néanmoins au passage, la chance pour un département comme l’Yonne, de compter un certain nombre d’outils sur son territoire, que ce soit des moulins pour le blé, des malteries pour l’orge ou l’usine Saipol, pour le traitement du colza : «si nous n’avions pas aujourd’hui toutes ces usines, on serait contraint d’aller à l’exportation, alors que le débouché local est un maillon important de la filière».

Négoce à taille humaine, la Société Ruzé a vu son chiffre de collecte diminuer cette année de 30 à 40 %, selon sa directrice, Sophie Ruzé, avec l’obligation, là aussi, «de donner des coups de pouce au cas par cas pour aider les agriculteurs à réinvestir pour l’année prochaine, sachant que beaucoup de gens se disent prêts à diminuer leur poste intrants fertilisation, voire à en faire l’impasse. Le coup de sécheresse que l’on a connu après la moisson, n’a fait qu’empirer les choses et il a fallu les encourager à reprendre, car fin juillet, la démobilisation était totale».

Même schéma du côté de Cerepy, «bien décidée à prendre ses responsabilités et mettre des mesures en place pour accompagner les adhérents», selon son président, Laurent Poncelet, encore étonné du nombre record de participants au dernier point récolte organisé par la coopérative de Saint-Julien-du-Sault. Signe s’il en était besoin, de l’inquiétude latente dans les campagnes. «Faire le maximum» est la conduite à tenir, mais pas sans conditions : «on ne pourra pas le faire tout seul. Nous allons taper dans les réserves, mais on attend pour cela, d’être accompagné et notamment par les banques, sans jouer leur rôle».

Pour certains, les mesures techniques ne suffiront pas
Concernant le secteur de l’élevage, le président d’ALYSE, Alain Boulard, insiste sur le rôle joué par les conseillers envoyés sur les exploitations, pouvant déboucher sur une première approche globale et conduire certains éleveurs à approcher la cellule Réagir 89 : «le constat aujourd’hui est que pour un certain nombre d’entre eux, les mesures techniques ne suffiront pas, il faudra imaginer autre chose et quand on dit ça, au niveau de la profession, cela passe par une reconversion, il faut être réaliste, même avec une embellie, aujourd’hui, certains vont droit dans le mur». Les mesures prises l’an passé en lien avec la Cialyn et la Cecna ont été reconduites et des lignes d’avance de trésorerie sont ouvertes. Parallèlement, a été lancé un programme d’analyse sur la qualité des céréales destinées à l’alimentation animale, entièrement gratuit pour les adhérents. Alain Boulard regrettant toutefois que contrôleurs et inséminateurs ne soient pas intégrés à la cellule Réagir 89, contrairement à ce qui se fait dans l’Aube et le Loiret. La filière est «mal en point», reconnait Pascal Beets, président de la Cecna, qui annonce 5 années de déficit d’exploitation pour la coopérative, sur les 6 derniers exercices.

Un fond de 300 000 € a été mis en place, conjointement avec Alysé et la Cialyn et à ce jour, 38 000€ ont été engagés, concernant un total de 24 éleveurs. Autre signe de la crise, selon la directrice de la Cialyn, Séverine Breton : «de plus en plus d’éleveurs réclament des acomptes, à hauteur de 80 % de la valeur de l’animal, la vache à peine montée sur le pont» En partenariat avec d’autres coopératives, un travail est mené pour négocier au mieux les prix de certaines matières premières. Mais dans ce contexte économique difficile, se rajoutent les problèmes sanitaires déjà existants : «la FCO est toujours là, la problématique IBR reste à gérer, sans parler de la propreté des animaux, qui malheureusement, rajoutent un peu de tension dans ce contexte de marché compliqué, tant pour le maigre que pour la partie viande».

Acter les choses le plus vite possible
Invité à la réunion, un concessionnaire en machinisme agricole, a rappelé cet autre volet de la crise : «par rapport à l’an passé, les prises de commande dans la profession sont en retrait de 80 à 90 %, pour des chiffres d’affaire selon les structures de moins 40 à moins 70 % d’ici la fin de l’année. La crise, on la voit perdurer jusqu’en 2020 et j’ai des collègues qui sont en train d’instaurer la carte bancaire sur le comptoir, que ce soit pour du matériel ou de l’entretien». Avec le risque, faute d’assurer au moins les charges de structure, de voir certains concessionnaires fermer boutique, privant par le fait les exploitants aux alentours, de services.

Le système bancaire est un maillon incontournable pour sortir de cette crise, mais Bernard Moissette, vice-président de la caisse régionale de Crédit Agricole insiste sur un point : «on ne fera pas non plus n’importe quoi !» rappelant à son tour l’impériosité à travailler ensemble : «ce n’est pas nous qui allons dire aux gens s’il faut arrêter. Il faut une concertation pour cela et d’un aspect humain, être ensemble pour le leur dire».

Le travail à mener, sera «considérable», selon Eric Coquille, Président du CER FranceYonne, considérant que les actions soient faites dans la durée : «nous sommes certainement partis pour accompagner certains sur 18 mois, 2 ans, voire 3 ans». Un premier plan d’actions a été mis en place au sein de la structure, qui a engagé 5% de son chiffre d’affaires pour proposer des services gratuits aux agriculteurs adhérents, au premier rang desquels les plus en difficulté : «450 ont été répertoriés suite aux comptabilités 2015, de tous secteurs géographiques et quelque soit l’activité. Ce n’est ni une question de potentiel ni de taille d’exploitation et cela montre bien l’ampleur de ce qui va arriver, avec l’année 2016 qui vient se rajouter».

Insistant dans sa conclusion, sur l’importance à «acter les choses le plus vite possible», le président de la FDSEA 89, Francis Letellier pose une question : «êtes vous prêts à identifier des personnes, à les signaler, pour que la cellule Réagir 89 fasse le reste et puisse les orienter ? La mécanique existe, il faut qu’on l’enclenche maintenant».

Proposant que tout le monde se mobilise autour d’une formation qui serait proposée au plus grand nombre, sur le thème des coûts de production et de la sécurisation des systèmes d’exploitation : «les agriculteurs aujourd’hui ont besoin de se retrouver. La dynamique est là, il faut qu’on la remette en route».