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Philippe Croizon

Une leçon de vie et une incitation à agir

Amputé des quatre membres, il y a 30 ans, à la suite d’une électrisation, l’athlète-aventurier Philippe Croizon, qui a notamment traversé la Manche à la nage, partage les clés de sa résilience.

Par Patricia Olivieri
Une leçon de vie et une incitation à agir
Wikipédia
Électrisé sur le toit de sa maison en voulant retirer l’antenne TV, Philippe Croizon a dû être amputé des quatre membres.

La vie de Philippe Croizon s’est arrêtée le 5 mars 1994, à l’âge de 26 ans. Mais c’est aussi à cette même date qu’il va en quelque sorte renaître. Électrisé sur le toit de sa maison en voulant retirer l’antenne TV : un arc électrique de 20 000 volts traverse son corps une première fois. Les agents d’EDF, croyant que la coupure d’électricité est due à une branche tombée sur la ligne haute tension qu’il a touchée en tentant de s’équilibrer, vont relancer « le jus » par deux fois, provoquant deux autres décharges tout aussi puissantes. Le jeune papa d’un petit Jérémie, 7 ans, ne doit alors sa survie qu’à la présence d’esprit d’un voisin, intrigué par le bruit de ces arcs, puis à un autre ange gardien, le pilote d’hélicoptère du Samu, qui, malgré la nuit tombée, accepte de se poser sur le terrain de foot du village de Saint-Rémy-sur-Creuse, seulement éclairé par les phares des véhicules de secours qui forment un cercle (le courant électrique n’ayant pas été rétabli après ce terrible accident). « Pendant tout le vol, il va me parler, me raconter sa vie, c’est ce qui va me maintenir en vie, malgré deux arrêts cardiaques pendant le trajet », raconte Philippe Croizon, que ses exploits sportifs et humains ont fait connaître du grand public.

« Tout est possible, à condition d’oser »

II a témoigné au congrès du Syndicat national de la presse agricole et rurale (SNPAR), qui s’est tenu à Périgueux, les 19 et 20 juin derniers. Un témoignage mêlant émotion, passion et une forte propension à l’autodérision - pas de place pour le pathos, les regrets ou l’excès d’empathie mais une incitation à agir. « Tout est possible, à condition d’oser », assure-t-il. Amputé de trois membres pendant ses deux mois de coma, au réveil, Philippe Croizon s’accroche à sa « dernière » jambe, que les médecins devront également sacrifier. Suivent plus de deux ans de rééducation, auréolés de défis et victoires : remarcher avec des prothèses en cinq mois, avant que son second fils, né le jour-même de sa sortie de coma, ne fasse ses premiers pas… Puis un retour à la maison signe sa descente aux enfers. « Pendant sept ans, j’ai été un gros con, j’ai cru que mon meilleur ami, c’était la télé, et que mon épouse c’était mon infirmière. Mes journées c’était lit-canapé-lit avec l’excuse du handicap », raconte sans pudeur Philippe Croizon, que sa femme va quitter. Il en veut alors à la terre entière avant de retrouver l’amour, non sans des mois d’écueil, via un site de rencontre.

Un mantra universel

Suzanne, avec qui il vit depuis 19 ans, sera son nouvel ange gardien. « Tout est possible parce que j’ai osé, j’ai tenté ma chance et, en général, quand on ose… ça marche ! ». Un mantra qu’il souhaite partager avec le plus grand nombre, quelles que soient leur situation ou les difficultés qu’ils rencontrent. Y compris celles d’une presse menacée par les réseaux sociaux, les fake news et la croyance en une information devenue gratuite.

C’est sur un malentendu, et après un saut en parachute que ses enfants lui ont offert pour Noël, que l’histoire de l’athlète-aventurier va s’écrire. Après ce saut, une journaliste de France 3 lui demande quel est son prochain rêve. Philippe Croizon répond tout de go : « Traverser la Manche à la nage » ! Un exploit réussi par seuls 10 % des candidats qui l’ont tenté depuis 1875 qui lui vaut le surnom de « l’Everest de la natation ». Parmi eux, une jeune Française de 17 ans, dont il avait suivi la traversée à la télévision dix ans plus tôt lors de son hospitalisation en chambre stérile.

Invité quelque temps plus tard sur les plateaux de France 3 pour commenter le plan Sarkozy sur le handicap, il est interrogé sur son projet. Encore une fois, ses mots précèdent sa réflexion, il réitère sa volonté de traverser la Manche, assurant avoir le soutien (alors fictif) de son département, la Vienne… Arroseur arrosé, le voilà engagé dans cette entreprise inédite, lui qui… ne sait pas nager. Il s’entoure d’une solide équipe (l’ancien kiné des Bleus de 1998, deux anciens nageurs longue distance, une coach, un préparateur physique, un prothésiste) et décroche, au culot, des financements notamment du Conseil départemental. Il perd 20 kg en trois mois, avale les kilomètres dans l’eau (4 000 km en 18 mois), nage jusqu’à 9 heures par jour non-stop au plus fort de l’entraînement en bassin, en eaux tiède mais aussi froide, apprend à composer avec ses émotions et faire retomber les coups de stress.

Exploits sportifs et aventures humaines

Le 18 septembre 2010, c’est le grand jour : 34 km (à vol d’oiseau) à parcourir entre les côtes anglaises et françaises dans une eau à 14 °C avec un courant de 12 km/h. Au bout de 13 heures de nage, émaillées de crampes et de vomissements, il est à 800 mètres de la côte française, mais au ravitaillement, son coach et l’huissier qui le suivent en bateau avec son staff disent stop. La nuit tombe, une tempête approche et dans 30 minutes, un changement de marée le repoussera irrémédiablement au large. Philippe Croizon refuse de voir ces deux ans d’efforts ainsi engloutis. Poussé « par le fameux dépassement de soi », il poursuit sa nage jusqu’à toucher les rochers tricolores, avant qu’une vague ne s’abatte sur lui. Il est sauvé in extremis par les deux nageurs qui se sont jetés à l’eau. « On a réussi ensemble », souligne l’intervenant, bien décidé à prendre sa vie « à bras-le-corps », selon sa propre expression, et à faire en sorte que ni la peur, ni le doute n’aient raison de ses projets. Désormais, athlète de haut niveau, Philippe Croizon entreprend une nouvelle aventure, plus humaine que sportive : nager pour relier en quatre mois les cinq continents, avec le nageur et ami Arnaud Chassery, dans des conditions extrêmes : une eau à 0 °C dans le détroit de Béring, au milieu des icebergs, avec une combinaison qui s’avère non étanche, ce qui lui vaudra une hypothermie sévère. Ce périple valide-handicapé baptisé « Nager au-delà des frontières » est immortalisé dans un documentaire de 110 minutes de Thalassa qui rassemblera, en novembre 2012, quelque trois millions de téléspectateurs (disponible depuis le 30 juin sur Youtube(1)).

« Je suis mort en 1994, depuis c’est du bonus »

Suivra le sport automobile avec une 15e place au rallye du Maroc. Mais son objectif est le Dakar. « À l’arrivée du rallye du Maroc, Nasser Al-Attiyah est venu me féliciter, je lui ai dit que je voulais faire le Dakar, mais qu’il me manquait du budget. Il m’a demandé combien, j’ai dit 100 000 euros. Deux jours après il me faisait le virement ! » raconte le conférencier, qui explique ce karma favorable par sa ténacité. « Je ne lâche jamais l’affaire, j’ose en permanence, et si on me sort par la porte, j’entre par la fenêtre », sourit cet inébranlable optimiste. Lui qui se qualifie de distributeur d’énergie positive, livre ses outils de résilience : la famille et les amis, l’amour « qui m’a donné des palmes », l’humour et l’autodérision, le sport « qui m’a permis d’aller vers les gens ». Aujourd’hui, il n’échangerait la vie qu’il s’est (re)construite contre rien au monde, pas même quatre membres. « J’aime la vie. Je suis mort en 1994 et depuis, ce n’est que du bonus ! »

Un dernier conseil avant de partir vers de nouveaux horizons (il réalise environ 90 conférences par an) : « Impossible, c’est juste un mot, et il n’y a rien de pire, un jour, de se retourner sur sa vie et de se dire, avec regrets : “Si j’avais su…” ».

PO
Philippe Croizon a témoigné au congrès du Syndicat national de la presse agricole et rurale (SNPAR), qui s’est tenu à Périgueux, les 19 et 20 juin.

(1) Lien direct sur www.agribourgogne.fr