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Suicides

Un sujet encore tabou dans le monde agricole

La semaine dernière, le député du Lot-et-Garonne Olivier Damaisin a publié un rapport sur l’identification et l’accompagnement des agriculteurs en difficulté et la prévention du suicide. 29 propositions pour améliorer les actions de sensibilisation et d’accompagnement. Au-delà de ce rapport, comment s’organise cette prévention à l’échelon local ? Quels sont les dispositifs déjà existants ? Éléments de réponse avec Marjorie Labelle, responsable des travailleurs sociaux à la MSA Bourgogne.
Par Propos recueillis par Théophile Mercier
• Quels enseignements tirez-vous du rapport Damaisin ?
Marjorie Labelle : « De mon point de vue, il valide le travail effectué par les travailleurs sociaux de la MSA. Il met en avant notamment le rôle et l’intérêt du guichet unique car je trouve que l’on avait tendance à le perdre de vue jusqu’à présent. Grâce à cet outil, les travailleurs sociaux peuvent mettre en lien tous les professionnels travaillant autour des assurés du régime. Ce rapport permet aussi un éclairage sur des dispositifs comme Agri Écoute qui est une plateforme accessible 24 heures/24 et 7 J/7. Au bout du fil, les exploitants vont pouvoir trouver des psychologues écoutants. Si plusieurs échanges sont nécessaires, un suivi personnalisé peut-être mis en place avec l’agriculteur. Ce dernier peut à sa demande être mis en relation avec la cellule prévention du suicide de la MSA. Entre janvier et juin de cette année, 200 appels en moyenne ont été recensés sur cette plateforme Agri Écoute. Sur ce volume d’appel, 89 % sont des agriculteurs et 11 % sont des proches. Ce qui prouve que l’entourage familial est important. Les raisons pour lesquelles, un agriculteur nous contacte sont avant tout d’ordre personnel avant d’être professionnel et économique. Néanmoins, il est difficile de faire la séparation entre le professionnel et le privé tant les deux sont entremêlés. Notre objectif est de travailler en amont des risques de passages à l’acte »

• De votre point de vue, le maillage actuel avec les OPA est-il efficace ? Et quels sont les autres outils à destination des exploitants agricoles ?
ML : « Nous pouvons toujours en faire plus mais par rapport à il y a quelques années c’est beaucoup mieux organisé. Dans la Nièvre, les OPA n’ont pas attendu ce type de rapport ou une règle législative pour se fédérer. L’association Aid’agri Nièvre existe depuis 2016 et a permis de désamorcer des situations qui pouvaient être tendues. Nous travaillons principalement avec les services déconcentrés de l’État à savoir DDT, DSV car l’état du troupeau peut être un indicateur de mal-être par exemple. Grâce au Conseil départemental, pour les exploitants bénéficiaires du RSA, nous avons mis en place des suivis personnalisés globaux réalisés à la fois par les travailleurs sociaux MSA et des conseillers de la Chambre d’agriculture. L’aide au répit est également un très bel outil qui permet par l’intermédiaire du Service de Remplacement, de faire souffler l’exploitant sur une période de 7 jours maximum. Il faut pour cela en faire la demande auprès de l’un de nos travailleurs sociaux. D’autres outils sont à leur disposition comme un suivi psychologique ou des journées de répit en famille notamment. En 2019, l’aide au répit a concerné 171 exploitants agricoles pour 111 en 2018. 91 personnes ont été aidées grâce aux autres actions de la MSA sur l’ensemble de la région Bourgogne Franche-Comté. Cependant, j’insiste sur le fait que nous ne pouvons intervenir qu’à la condition que l’exploitant lui-même en formule la demande. L’intervention sur simple signalement d’un voisin par exemple, n’est pas possible car nous devons avant tout établir une relation de confiance ».

• Si je suis exploitant, à quel moment dois-je me dire que la situation n’est plus tenable seul ? Quels sont les signes annonciateurs d’une situation d’urgence ? Par extension, quelle attitude adopter pour un membre d’OPA qui serait témoin d’une situation difficile ?
ML : « Principalement dès que le stress ne devient plus vivable, que des problèmes de sommeil surviennent et que la prise de recul devient impossible. L’objectif est de ne pas laisser pourrir la situation pour pouvoir prendre les problèmes économiques et sociaux à la racine. Côté OPA, il est primordial d’engager un dialogue avec l’exploitant dès qu’une situation compliquée se présente. L’objectif : le convaincre de venir vers nous. Il faut aussi savoir que dans le cadre de l’aide au répit et de la cellule de prévention des risques psychosociaux, des séances prises en charge avec un psychologue peuvent être demandées ».

• Sur le plan de la prévention, pensez-vous que ce sujet doit être davantage abordé lors des réunions agricoles comme les AG mais aussi dans les lycées agricoles ?
ML : « Dans les lycées agricoles j’en suis convaincue car le jeune agriculteur n’a parfois pas conscience des difficultés auxquelles il pourra être confronté. Ainsi lorsqu’il sera installé, il pourra s’autoriser à demander de l’aide, ce qui est souvent perçu comme honteux dans le métier. Sachant que nous travaillons étroitement avec la Chambre d’agriculture, je dirais qu’il ne faut pas hésiter à en parler au conseiller qui pourra être un relais auprès de nous. Ensuite en ce qui concerne les réunions, nous n’avons encore jamais été sollicités pour intervenir devant une assemblée d’exploitants mais tout est ouvert ».