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Voyage Interbev en Bavière et en Rhénanie

Un «modèle» pas si modèle que cela...

Rien de tel qu'€™un déplacement sur le terrain pour saisir toute la différence de vue, d'€™approche et donc de résultats entre les opérateurs français et les opérateurs allemands, qu'€™ils soient producteurs, distributeurs ou industriels en viande bovine. Une délégation de la filière bovine française, emmenée par Interbev s'€™est donc rendue outre-Rhin pour «s'€™informer, échanger et au final mieux comprendre» ce qui différencie la France de l'€™Allemagne. Choc culturel garanti.
Par ANNE-MARIE KLEIN
Un «modèle» pas si modèle que cela...
La délégation d'Interbev a pu comparer le modèle allemand au modèle français. Au-delà de certains tours de passe-passe en matières sociale et environnementale, c'est bel et bien un fossé culturel qui nous sépare et explique des orientations souvent oppos
Ils étaient un vingtaine d'€™éleveurs, de représentants professionnels, d'€™industriels et de négociants, à partir Outre-Rhin visiter des exploitations et des abattoirs pour mieux comprendre ce qui fait la force de la production de viande bovine allemande.
Premier arrêt à Bad Sassendorf, bourgade où se situe la station de formation et d'€™expérimentation de la Chambre d'€™agriculture de Rhénanie et de Nord-Wesphalie. Le conseiller du président et de la direction du DVB (équivalent de la FNSEA, mais qui représente 95% des agriculteurs allemands) accueille la délégation et détaille les spécificités de l'€™élevage allemand. Premières surprises et premier choc culturel, chacun réagissant différemment en fonction de sa «famille» professionnelle
(producteur, transformateur,
industriel...)

[INTER]Pragmatisme et adaptation[inter]
La PAC version allemande, c'€™est une organisation régionale et donc des disparités entre les régions qui déterminent leurs priorités. C'€™est aussi une prime unique à l'€™hectare de 360€ (dans cette région) et l'€™abandon des aides spécifiques à l'€™élevage allaitant. Ce qui favorise les céréaliers. 5 à 6% des exploitations sont bio et bénéficient pendant cinq ans d'€™une prime de 180€ à l'€™hectare. A ce régime là et compte tenu d'€™un prix du foncier extrêmement élevé, les restructurations vont bon train et et les exploitations s'€™agrandissent. 1% des surfaces sont disponibles à la vente, les locations sont la norme avec des loyers de plus en plus chers. Le maître mot c'€™est l'€™adaptation des structures aux exigences du marché. Dans ces conditions l'€™économie prime sur le social. Mais dans cette région industrielle, la double activité est souvent de mise et les petits exploitants ont tout à gagner, compte tenu du prix du foncier, à louer leurs terres à de plus grosses unités «pour mener une autre vie».
Ce pragmatisme s'€™exprime à tous les niveaux. Chez les producteurs, comme dans les structures
d'€™abattage.

On ne consteste pas une réforme, on s'€™adapte, quitte comme cet éleveur, à doubler sa production de bovins engraissés en deux ans. Le prix du foncier décourageant l'€™élevage à l'€™herbe, les animaux sont élevés sur caillebotis. Les bovins croisés charolais, limousins et salers arrivent avec un poids de 200kg et ressortent entre 17 et 18 mois à 412-415 kilos de carcasse. Les veaux sont achetés en moyenne pour 900 euros et sont revendus à un abattoir rhénan à 4,15€/kg. Le coût d'€™un abattage est fixe : 42 euros quel que soit le poids de l'€™animal. Côté éleveur, le différentiel entre la TVA achat et vente permet aussi à l'€™exploitant de gagner 36 000€/an sur un bénéfice de 150 000 euros.

[INTER]Un schéma économique où la rentabilité prime sur tout[inter]
La génétique française est très appréciée mais l'€™organisation commerciale et les grandes surfaces en particulier privilégient le 3D (nés, élevés et abattus en Allemagne). Dans une autre exploitation, l'€™activité d'€™engraissement cède le pas à la production de biogaz qui consomme 60t maÏs d'€™ensilage/jour. Pour produire à l'€™horizon 2050, 80% de son électricité grâce aux énergies renouvelables, le gouvernement allemand ne lésine pas sur les moyens. Avec un prix de rachat de 16 cts/kw et des facilités bancaires, les unités se multiplient. Dans l'€™un des élevages visités, les 1000 kgwatt/h produits s'€™avèrent largement plus rentables que l'€™élévage bovin, dont le lisier n'€™est même pas utilisé dans le digesteur, mais épandu sur les surfaces. La «vision écologique» et l'€™interprétation des normes environnementales déroutent quelque peu les visiteurs.
Les visites de deux structures d'€™abattage ont aussi accusé des différences notables avec les abattoirs français. Ici tout est valorisé au maximum, la segmentation en fonction des marchés amènent les abattoirs à se spécialiser aussi. On travaille les têtes de bœuf pour exporter les joues vers la France, on exporte les tendons vers la Chine, les peaux partent au Danemark, les abats vers les Pays de l'€™Est. Rien ne se perd, partout c'€™est la chasse au gaspi et aux coûts les plus bas. En Bavière l'€™abattoir Vion recoure ainsi à des ouvriers en provenance des Pays de l'€™Est, payés par des sociétés de service polonaises ou roumaines. Mais l'€™activité d'€™abattage s'€™érode peu à peu, fortement concurrencée par la production énergétique.
Un modèle difficilement exportable
A l'€™épreuve des faits, le modèle allemand tant vanté dans l'€™hexagone n'€™apparaît pas si exemplaire quand on en analyse toutes les composantes. Emmanuel Bernard, secrétaire général d'€™Interbev observe d'€™abord «qu'€™en Allemagne le pragmatisme est ancré dans les mentalités», au contraire de notre tempérament plus latin. «Cela débouche sur une façon toute particulière d'€™approcher les normes et l'€™environnement. Quand on discute avec les responsables professionnels et les exploitants, aucun doute ne les effleure, l'€™écologie ça marche à condition de l'€™inscrire dans un schéma économiquement viable». Conséquence: «il n'€™y a pas Outre-Rhin, les mêmes débats qu'€™en France. La clé de voûte du système c'€™est l'€™adaptation et la quête de la rentabilité économique, le tout soutenu par des compétences solides et un sens commercial hors pair. Mais, produire 130 ou 150 t/ha de maÏs pour nourrir un méthaniseur, cela peut s'€™avérer risqué à terme». Sans parler des menaces que cela fait peser sur l'€™élevage bovin et la pérennité des outils économiques. En revanche, Emmanuel Bernard relève le dynamisme commercial allemand, la capacité d'€™adaptation aux marchés, la qualité du suivi client... «Le collectif prime sur l'€™individuel et chacun est prêt à investir individuellement et à s'€™organiser collectivement pour aller à la conquête des marchés». Visiblement, pour le moment, ce modèle marche bien en Allemagne, mais pour le secrétaire général d'€™Interbev, cela reste «un modèle ni durable, ni exportable en l'€™état».