Reagir 89
«Tout seul on ne fait rien, tout seul on s’enterre…»
Le dispositif d’accompagnement des agriculteurs en difficulté mis en place il y a deux ans, par la Chambre d’agriculture de l’Yonne est monté en puissance depuis la dernière moisson, notamment auprès d’exploitations céréalières.
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La cellule Reagir 89 a été créée le 1er avril 2015. La date pourrait porter à sourire, mais le sujet beaucoup moins. Avec pour objectif un accompagnement gratuit et confidentiel d’agriculteurs en difficulté, que ce soit pour des soucis de santé, un endettement élevé ou des problèmes administratifs, pour tenter de trouver des solutions et pérenniser l’exploitation. À ce jour, plus de 150 contacts ont été enregistrés, dont plus de la moitié ont abouti à une intervention de l’équipe en place et la mise en œuvre du dispositif.
Toute la difficulté étant d’intervenir le plus en amont possible, rappelle Cyrille Fournier, Conseiller d’entreprise à la Chambre d’agriculture de l’Yonne : «le problème est que bien souvent, on arrive dans des situations très tendues, avec parfois des problèmes antérieurs que la crise et le contexte de ces dernières années n’ont fait qu’accentuer». Prioritairement, ce sont les banques qui incitent l’agriculteur à faire appel au dispositif : «on s’aperçoit que le plus souvent, les créanciers souhaiteraient aller vite, mais le travail à mener pour comprendre au mieux la situation de chacun se fait sur le long terme». Pouvant aller jusqu’à 6 mois de suivi lorsque la situation l’impose.
Certains ne savent pas toujours donner une échelle de grandeur à leurs difficultés : «des marges de manœuvre existent, comme pour cet exploitant dont on a pu déterminer qu’il y avait 25 000€ de charges opérationnelles en trop par an, soit de 100 à 150 € à l’ha. Sur 10 ans, l’équivalent de sa dette actuelle. Beaucoup ont encore des atouts, mais ils ne le savent pas». Si en pourcentage, au regard du nombre de producteurs par filière, ce sont les éleveurs laitiers qui ont le plus fait appel à Reagir 89, les exploitants grandes cultures sont pour leur part, le plus nombreux : «la claque a été dure pour eux à la dernière moisson, surtout pour les non assurés. Le bénéfice des aléas climatiques en a sauvé plus d’un, leur donnant la possibilité de continuer». Le fait d’intégrer le dispositif est vécu pour certains comme un échec, notamment en cas de transmission familiale de l’exploitation : «certains souhaiteraient s’arrêter, mais ont beaucoup de mal à en parler à leurs parents. Alors que dans la majorité des cas, ils les comprennent, sachant que ce que leurs enfants vivent, ils ne l’ont jamais connu». Un dispositif perçu par la majorité des bénéficiaires, comme un lieu d’écoute et d’accompagnement, même si, précise Cyrille Fournier : «nous ne sommes pas là pour faire des miracles, mais bien pour trouver une solution respectueuse des intérêts de tous».
Une écoute précieuse
Anne (*) exploite en famille une ferme en polyculture élevage et vignes. Bien décidée à se battre jusqu’au bout pour faire face aux difficultés économiques récurrentes de l’exploitation : «les difficultés, on les cumule depuis ces dernières années et nous sommes habitués à devancer les choses».
Un tempérament à aller de l’avant, qui l’a déjà conduite il y a 17 ans, à intégrer le dispositif AED, «Agriculteurs en Difficulté», le pendant de REAGIR 89 d’aujourd’hui : «je me souviens, j’en avais pleuré à l’époque ! Pas facile de se retrouver autour d’une table, avec tous ces fournisseurs à qui vous devez de l’argent».
C’est à l’invitation de sa banque, qu’elle a contacté en septembre dernier la Chambre d’agriculture. Début janvier, au seul vu des chiffres de la moisson, le verdict était sans appel : redressement judiciaire ! Mais le bilan établi en urgence par leur comptable et la prise en comte des résultats de la vendange a modifié les choses : «notre secteur a heureusement été épargné par la grêle et peu touché par le gel. La moisson pour sa part, ne nous a même pas permis de compenser nos factures appros, quant aux vaches, on n’a rien vendu l’an passé».
Pour cette ancienne comptable, passée par La Brosse à 38 ans, pour suivre une formation en BPREA, pas question de baisser les bras : «tout le monde nous dit qu’il manque entre 50 et 100 000€, mais je ne pense pas qu’on soit prêts à tout arrêter, en tous cas, pas moi !» Misant sur la collecte 2017 pour redonner un élan à l’exploitation et ne regrettant pas d’avoir contacté la cellule Reagir : «l’écoute de ma conseillère a été précieuse, cela m’a aidé aussi dans l’administratif et dès lors qu’on s’inscrit dans le dispositif, un climat de confiance s’instaure entre toutes les parties».
Une démarche difficile
Installé en polyculture élevage, Pierre (*) est également passé par la cellule Reagir 89, alerté dès le début de la moisson par les faibles rendements attendus : «on est tellement pris dans notre routine quotidienne de notre système d’exploitation qu’on n’a pas le recul nécessaire pour se remettre en question et parfois on a besoin de prendre un bon coup de pied aux fesses, sauf que là, on en a pris au moins deux ! Les contacter, c’était pour moi une façon de me faire épauler dans mes décisions et de réunir tous les acteurs gravitant autour de moi, pour coordonner l’ensemble. Je ne regrette rien, on y trouve une bonne écoute, les gens y sont humains». Rigoureux dans sa gestion au quotidien et habitué à payer ses factures rubis sur l’ongle, Pierre le reconnait, la démarche n’a pas été facile : «c’était pour moi une première, car jusqu’à ces dernières années, je n’utilisais jamais mon ouverture de crédit auprès de ma coopérative. La table ronde peut être perçue un peu comme un tribunal, avec un sentiment d’échec lorsque l’on a un peu d’amour propre et je l’ai vécue comme telle, mais cela aussi nous crédibilise quelque part».
Ayant mis un point d’honneur à solder ses dettes, quitte pour cela, à se séparer d’une partie de son matériel l’homme est confiant en l’avenir, motivé par un projet de conversion bio à plusieurs, avec ce message à l’attention des indécis : «même si la démarche de faire appel à la cellule Reagir n’est pas anodine, il ne faut pas avoir honte de sa situation ! Pour avancer, il faut apprendre à s’ouvrir et à demander conseil. Tout seul, on ne fait rien, tout seul, on s’enterre».
(*) : Prénoms d’emprunt
Toute la difficulté étant d’intervenir le plus en amont possible, rappelle Cyrille Fournier, Conseiller d’entreprise à la Chambre d’agriculture de l’Yonne : «le problème est que bien souvent, on arrive dans des situations très tendues, avec parfois des problèmes antérieurs que la crise et le contexte de ces dernières années n’ont fait qu’accentuer». Prioritairement, ce sont les banques qui incitent l’agriculteur à faire appel au dispositif : «on s’aperçoit que le plus souvent, les créanciers souhaiteraient aller vite, mais le travail à mener pour comprendre au mieux la situation de chacun se fait sur le long terme». Pouvant aller jusqu’à 6 mois de suivi lorsque la situation l’impose.
Certains ne savent pas toujours donner une échelle de grandeur à leurs difficultés : «des marges de manœuvre existent, comme pour cet exploitant dont on a pu déterminer qu’il y avait 25 000€ de charges opérationnelles en trop par an, soit de 100 à 150 € à l’ha. Sur 10 ans, l’équivalent de sa dette actuelle. Beaucoup ont encore des atouts, mais ils ne le savent pas». Si en pourcentage, au regard du nombre de producteurs par filière, ce sont les éleveurs laitiers qui ont le plus fait appel à Reagir 89, les exploitants grandes cultures sont pour leur part, le plus nombreux : «la claque a été dure pour eux à la dernière moisson, surtout pour les non assurés. Le bénéfice des aléas climatiques en a sauvé plus d’un, leur donnant la possibilité de continuer». Le fait d’intégrer le dispositif est vécu pour certains comme un échec, notamment en cas de transmission familiale de l’exploitation : «certains souhaiteraient s’arrêter, mais ont beaucoup de mal à en parler à leurs parents. Alors que dans la majorité des cas, ils les comprennent, sachant que ce que leurs enfants vivent, ils ne l’ont jamais connu». Un dispositif perçu par la majorité des bénéficiaires, comme un lieu d’écoute et d’accompagnement, même si, précise Cyrille Fournier : «nous ne sommes pas là pour faire des miracles, mais bien pour trouver une solution respectueuse des intérêts de tous».
Une écoute précieuse
Anne (*) exploite en famille une ferme en polyculture élevage et vignes. Bien décidée à se battre jusqu’au bout pour faire face aux difficultés économiques récurrentes de l’exploitation : «les difficultés, on les cumule depuis ces dernières années et nous sommes habitués à devancer les choses».
Un tempérament à aller de l’avant, qui l’a déjà conduite il y a 17 ans, à intégrer le dispositif AED, «Agriculteurs en Difficulté», le pendant de REAGIR 89 d’aujourd’hui : «je me souviens, j’en avais pleuré à l’époque ! Pas facile de se retrouver autour d’une table, avec tous ces fournisseurs à qui vous devez de l’argent».
C’est à l’invitation de sa banque, qu’elle a contacté en septembre dernier la Chambre d’agriculture. Début janvier, au seul vu des chiffres de la moisson, le verdict était sans appel : redressement judiciaire ! Mais le bilan établi en urgence par leur comptable et la prise en comte des résultats de la vendange a modifié les choses : «notre secteur a heureusement été épargné par la grêle et peu touché par le gel. La moisson pour sa part, ne nous a même pas permis de compenser nos factures appros, quant aux vaches, on n’a rien vendu l’an passé».
Pour cette ancienne comptable, passée par La Brosse à 38 ans, pour suivre une formation en BPREA, pas question de baisser les bras : «tout le monde nous dit qu’il manque entre 50 et 100 000€, mais je ne pense pas qu’on soit prêts à tout arrêter, en tous cas, pas moi !» Misant sur la collecte 2017 pour redonner un élan à l’exploitation et ne regrettant pas d’avoir contacté la cellule Reagir : «l’écoute de ma conseillère a été précieuse, cela m’a aidé aussi dans l’administratif et dès lors qu’on s’inscrit dans le dispositif, un climat de confiance s’instaure entre toutes les parties».
Une démarche difficile
Installé en polyculture élevage, Pierre (*) est également passé par la cellule Reagir 89, alerté dès le début de la moisson par les faibles rendements attendus : «on est tellement pris dans notre routine quotidienne de notre système d’exploitation qu’on n’a pas le recul nécessaire pour se remettre en question et parfois on a besoin de prendre un bon coup de pied aux fesses, sauf que là, on en a pris au moins deux ! Les contacter, c’était pour moi une façon de me faire épauler dans mes décisions et de réunir tous les acteurs gravitant autour de moi, pour coordonner l’ensemble. Je ne regrette rien, on y trouve une bonne écoute, les gens y sont humains». Rigoureux dans sa gestion au quotidien et habitué à payer ses factures rubis sur l’ongle, Pierre le reconnait, la démarche n’a pas été facile : «c’était pour moi une première, car jusqu’à ces dernières années, je n’utilisais jamais mon ouverture de crédit auprès de ma coopérative. La table ronde peut être perçue un peu comme un tribunal, avec un sentiment d’échec lorsque l’on a un peu d’amour propre et je l’ai vécue comme telle, mais cela aussi nous crédibilise quelque part».
Ayant mis un point d’honneur à solder ses dettes, quitte pour cela, à se séparer d’une partie de son matériel l’homme est confiant en l’avenir, motivé par un projet de conversion bio à plusieurs, avec ce message à l’attention des indécis : «même si la démarche de faire appel à la cellule Reagir n’est pas anodine, il ne faut pas avoir honte de sa situation ! Pour avancer, il faut apprendre à s’ouvrir et à demander conseil. Tout seul, on ne fait rien, tout seul, on s’enterre».
(*) : Prénoms d’emprunt