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Interview de Vincent Lavier

«Tout se cumule en ce moment»

Le président de la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or aborde le coronavirus, la météo et certains dossiers syndicaux.
Par Propos recueillis par Aurélien Genest
«Tout se cumule en ce moment»
«Nous avons vraiment hâte que cet épisode se termine», confie Vincent Lavier.
- Comment vivez-vous ce confinement ?
«Globalement, cette période n’a pas trop d’incidences dans le monde agricole, elle n’a pas changé grand-chose pour les exploitants. Du moins, pas sur leur façon de travailler. Les responsables professionnels sont davantage présents sur leur ferme, mais ils passent plus de temps au téléphone et sur internet. Beaucoup de réunions se font par visioconférences. Tout cela représente beaucoup d’heures, avec une efficacité qui n’est pas toujours au rendez-vous. En effet, nous ne pouvons pas tout faire à distance, c’est certain, mais il faut faire avec les moyens dont nous disposons… Comme tout le monde, nous avons vraiment hâte que cet épisode se termine».

- Comment la Chambre s’est-elle adaptée ?
«Il a fallu réagir très vite pour assurer la continuité de nos services. Aujourd’hui, la grande majorité de nos agents ne se trouvent plus sur nos différents sites, chacun travaille à distance. Les personnes chargées de suivre les productions agricoles sur le terrain continuent de se déplacer pour réaliser des relevés et des observations, conduire des expérimentations et rédiger des bulletins d’avertissements. Nos missions de service public sont assurées à Bretenière, je pense notamment à l’identification et au centre de formalité des entreprises. Des salariés sont aussi en poste à la Maison de l’agriculture pour l’accueil téléphonique mais aussi l’accueil physique. Cette situation est assez lourde à gérer, mais chacun semble avoir trouvé son rythme. Quand le confinement sera terminé, il va de soi que nous aurons tous plaisir à nous retrouver».

- Quels sont les impacts de la crise sanitaire sur les différentes filières ?
«Globalement, les productions animales sont beaucoup plus affectées que leurs homologues végétales. Je pense en premier lieu à la filière laitière, qui est impactée sur ses volumes de production mais aussi sur ses prix. Les AOP vivent une période très délicate. À cela s’ajoute une baisse du prix de la poudre de lait, ce qui ne sera pas sans impact sur les prix payés aux producteurs. Pour la viande rouge, la consommation est restée assez dynamique à l’approche de Pâques, c’est une bonne nouvelle. Même l’agneau est concerné : la campagne de communication mise en place par l’interprofession a bien fonctionné. Il y a eu des commandes. Le seul bémol a été une baisse anticipée des prix d’achat aux producteurs. En viande blanche, notamment la volaille, nous assistons à une forte demande du marché intérieur. Ceci est notamment dû à l’arrêt quasi-total des importations. Un autre point que je ne veux pas oublier : les centres équestres souffrent énormément avec une très forte baisse de leur activité. En ce qui concerne le végétal, la production la plus touchée est sans aucun doute la viticulture avec les contraintes de l’export et la fermeture de la restauration. Nous espérons que cette dernière rouvre ses portes le plus tôt possible, les enjeux sont multiples».

- Qu’en est-il des productions diversifiées ?
«D’une manière générale, ce type de produits enregistre un réel engouement. Les consommateurs se rapprochent du local et il faut s’en réjouir. Certains producteurs comme des maraîchers et des éleveurs de poules pondeuses sont assaillis de demandes. En revanche, les agriculteurs éloignés des grands bassins de consommation rencontrent parfois des difficultés pour écouler leurs productions, du fait des restrictions liées aux déplacements. Cet accroissement de demande a été très brutal et tend à déséquilibrer les modes de productions existants. Ce phénomène va-t-il perdurer dans le temps ? Faut-il monter en puissance dans ces productions, installer davantage d’agriculteurs ? Cette demande va-t-elle s’essouffler une fois le confinement terminé ? Nous nous posons ces questions. Personnellement, j’ai tendance à penser que ce mouvement s’est initié avant le confinement et que ce dernier n’a eu qu’un effet multiplicateur. Dans tous les cas, je pense qu’il faudra se diriger vers une forme de démondialisation. Nous sommes allés bien trop loin dans la mondialisation, nous en mesurons aujourd’hui les limites. Une trop grande dépendance des importations est dangereuse pour notre sécurité alimentaire».

- Le coronavirus n’est pas le seul à impacter l’agriculture, qu’en est-il du climat ?
«Nous sommes très inquiets pour différentes raisons. L’absence de pluies, tout d’abord, car il n’a pas plu depuis plus de six semaines. Les deux dernières années avec un printemps sec, c’était en 2007 et 2011 : ces années-là, il y avait eu de fortes incidences dans les cultures, surtout dans les terres à faibles potentiels, mais nous n’avions eu que quatre semaines sans pluies. Cela veut dire que 2020 sera bien pire, d’autant que cette situation risque de durer. Dans le même temps, nous devons gérer les conséquences du froid que nous avons eu en mars, avec des dégâts importants dans les champs de colza et de moutarde, déjà fragilisés par la problématique insectes. C’est même du jamais vu dans certains cas : des colzas sont restés la tête en bas durant une semaine complète, ces derniers ont bien du mal à repartir, certains sont détruits à 100 % En ce qui concerne la production d’herbe : pas mal d’animaux ont été lâchés dans de bonnes conditions, mais la pousse d’herbe est relativement restreinte, les éleveurs et leurs bêtes vont vite en voir le bout. La situation est très inquiétante sur les plateaux froids. Là, on ne parle même pas de lâcher, tellement il n’y a pas d’herbe. Nous nous faisons aussi de plus en plus de soucis pour l’implantation des cultures de printemps, notamment le tournesol, le maïs et le soja. Cette année, les exploitants ne peuvent pas se permettre de rater leurs semis, faute de disponibilité de semences. Certains agriculteurs irriguent pour ne pas perdre leur culture. D’autres qui n’ont pas la chance de pouvoir irriguer n’osent même pas semer…»

- Les membres du bureau de la Chambre d’agriculture se sont réunis en visioconférence le 14 avril, quels dossiers avez-vous notamment abordés ?
«Nous reprenons en main l’intégralité du dossier des zones défavorisées simples : les communes sortantes pourraient faire l’objet d’un classement en zone de montagne. En Saône-et-Loire, six des huit communes sortantes ont intégré ce nouveau dispositif et nous voulons nous en inspirer. Nous avons identifié plusieurs points bloquants. Un dossier porté l’année dernière par la DDT n’a pas abouti et n’a même pas fait l’objet d’une réponse. Un bruit de fond court cependant : notre zone ne serait pas éligible car elle n’est pas rattachée à un massif existant. En étudiant les textes, cela n’est pas un critère réglementaire ! Il y a donc encore de l’espoir. La Chambre va prendre en charge les frais d’études pour montrer au ministère que cette zone réunit toutes les conditions d’admissibilité. Parmi les autres sujets étudiés ce jour, il y avait l’abattoir de Beaune : nous avons bon espoir qu’il rouvre ses portes à la fin du confinement. La charte de bon voisinage a elle aussi été étudiée : nous avons proposé une charte au préfet, nous ne savons pas ce qu’il adviendra de la consultation, mais notre démarche permettra au moins de minimiser les distances».

Qu’avez-vous retenu de l’allocution d’Emmanuel Macron, le 13 avril ?

«S’il fallait retenir une chose, ce serait son bref passage sur sa volonté de travailler sur l’indépendance alimentaire du pays. Je veux bien entendre des grands discours de ce type, mais à un moment donné, il va falloir se donner les moyens d’y parvenir. Je prends ici la moutarde comme exemple : il y a une trentaine d’années, nous allions chercher l’intégralité des graines au Canada. Nous avons, depuis, monté une belle filière locale, mais celle-ci est rendue très fragile, notamment par la suppression de solutions phytosanitaires face aux insectes.
Si l’on continue ainsi, d’ici très peu de temps, nous ne serons plus capables de produire de la moutarde, et il faudra retourner l’acheter, intégralement, au Canada, qui est un pays où elle est cultivée dans des conditions totalement différemment des nôtres. Il va falloir être très pragmatique et agir vite, pour que cette dépendance alimentaire soit une réalité».