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2015, année internationale des sols

Tour du monde de la dégradation des sols

Alors que se clôture l’année internationale des sols, le bilan de leur état dans le monde, publié le 4 décembre 2015 par l’Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) est inquiétant. Les sols mondiaux sont attaqués sur tous les continents et ces agressions sont protéiformes. Contamination aux métaux lourds en Europe, érosion éolienne en Afrique du nord, salinisation en Asie centrale. Les Dust bowl décrits aux Etats-Unis par Steinbeck en 1939 réapparaissent aujourd’hui en Chine.
Par Alexandra Pihen
Tour du monde de la dégradation des sols
«Aujourd’hui, 33 % des terres sont modérément à hautement dégradées [...]Les sols sont en danger, mais la dégradation n’est pas irréversible». Les conclusions du rapport de la FAO sur l’état des sols dans le monde, publié le 4 décembre 2015 et réalisé à l’aide de 200 scientifiques issus de 60 pays, sont sans appel. Différentes menaces pèsent sur les sols et aucune région du globe n’est épargnée. En premier lieu, l’érosion. «L’érosion emporte de 25 à 40 milliards de tonnes de couche superficielle chaque année, réduisant considérablement les rendements agricoles et la capacité du sol d’emmagasiner et de recycler le carbone, les nutriments et l’eau, indique le rapport de la FAO. Si rien n’est fait pour l’atténuer, une réduction totale de plus de 253 millions de tonnes de céréales d’ici 2050 est à prévoir. Cette perte de rendement équivaudrait à retirer de la production agricole 1,5 million de km² de terres, soit l’équivalent de toutes les terres arables de l’Inde». L’érosion des sols se matérialise par la disparition des terres superficielles sous l’effet du vent ou de l’eau. «En milieu sec, comme par exemple la zone agricole de Pékin, les grands nuages de poussières que sont les dust bowl emportent environ 30 cm de sols chaque année, explique Claude Bourguignon, ingénieur agronome français, fondateur du laboratoire d’analyse des sols (Lam) en 1990. Les pays record à l’heure actuelle sont la Chine, l’Inde, le Pakistan, le Bengladesh, l’Indonésie, le Brésil... Les zones tropicales sont particulièrement touchées du fait de climats plus violents comme les sécheresses ou pluies intenses. En Europe, la terre ruisselle vers les rivières, de plus en plus boueuses».

La fertilité des sols subit un épuisement croissant
D’autres facteurs dégradants perturbent l’équilibre physique des sols : l’imperméabilisation, due à une urbanisation de plus en plus étendue des pays développés, l’encroutâge lié à la sécheresse ou encore le compactage. Le labour participe spécialement au tassement des terres. «Autrefois, les agriculteurs travaillaient les sols très superficiellement, à la main ou avec des chevaux», explique Claude Bourguignon. Aujourd’hui, les tracteurs, très lourds, compactent, bétonnent et empêchent donc l’oxygène et l’eau de rentrer dans les sols. Retournant la terre sur 30 centimètres, ils tuent par ailleurs toute la vie biologique qui est en surface pour l’enfouir en profondeur». Épuisement des éléments nutritifs, acidification, salinisation et pollution... Outre une santé physique dégradée, la chimie et la biologie des sols est aussi endommagée. «Le manque d’éléments nutritifs dans le sol est le premier obstacle à l’amélioration de la production vivrière et des fonctions du sol dans maints paysages dégradés», précise le rapport de la FAO. En Afrique, tous les pays - sauf trois - extraient plus d’éléments nutritifs du sol chaque année que n’en sont restitués par les engrais, les résidus de récolte, le fumier et autres matières organiques». Si certaines zones particulièrement appauvries pourraient profiter de fertilisants, de récentes analyses suggèrent que les ajouts annuels d’azote dans les systèmes agricoles causent de sérieux dommages environnementaux et que les additions de phosphore dépassent les limites de sécurité dans plusieurs régions agricoles majeures. Enfin, la biodiversité, qui représente un quart de la biodiversité mondiale, s’épuise. «Nous voyons s’effondrer l’activité biologique depuis plus de 25 ans en France», précise Claude Bourguignon. «Or, quand la vie s’en va, quand il n’y a plus de galeries, plus d’aérations par la faune, les sols se compactent et l’eau ne peut plus rentrer quand il pleut... D’où l’érosion».

Des spécificités dans chaque région
Si tous les sols de la planète sont affectés par l’ensemble des facteurs dégradants, des spécificités apparaissent pour chaque région (voir tableau). Certaines tendent à une légère amélioration de l’érosion, comme l’Europe, quand d’autres subissent à l’inverse une nette augmentation, amplifiée par les monocultures, la déforestation, les surpâturages et le changement climatique, tels l’Afrique subsaharienne - avec plus de 80 % de terres érodées - l’Asie, l’Amérique latine et les Caraïbes. L’Afrique du Nord et le Proche-Orient, aux terres semi ou hyper arides, souffrent, outre une érosion éolienne conséquentes, de salinisation en raison des températures élevées, de pratiques d’irrigation inappropriées et de l’intrusion d’eau de mer dans les zones côtières. Érosion et déséquilibre nutritionnel arrivent au premier plan dans les régions d’agriculture intensive de l’Amérique du Nord du fait d’une utilisation excessive d’engrais. L’Europe pâtit quant à elle de sols contaminés par les métaux lourds et les hydrocarbures. L’imperméabilisation sévit en Europe de l’Ouest et la salinisation se répand en Asie centrale et dans certaines régions d’Espagne, de Hongrie, de la Turquie et de la Russie. Enfin, l’acidification des terres constitue le problème le plus grave de la zone du Pacifique Sud-Ouest, notamment du sud de l’Australie et des collines de Nouvelles Zélande. Le tableau est d’autant plus menaçant face à des besoins alimentaires toujours croissants, dont l’augmentation est estimée à environ 70 % d’ici 2050 ! Ces dégradations ne sont pas encore irréversibles : freiner les dommages et engendrer des actions de réparations afin de parvenir à la restauration des sols doit devenir une priorité mondiale. Pourtant, «il n’existe pas encore de politique agricole internationale cohérente en matière de gestion des sols», avoue Jean-François Soussana, directeur scientifique environnement de l’Inra, «mais la position française est de défendre l’agroécologie, c’est-à-dire l’idée d’intégrer des régulations naturelles dans le fonctionnement des systèmes agricoles».