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Vins de Bourgogne

Se réinventer par le haut

Le 11 février à Beaune, l’Interprofession des vins de Bourgogne (BIVB) mêlait technique et économie pour une journée pleine de questions stratégiques autour de la production bourguignonne. Les vins de Bourgogne peuvent-ils se réinventer pour une nouvelle clientèle ? Le doivent-ils seulement ?
Par Cédric Michelin
Se réinventer par le haut
«Trans-vers-sa-li-té», le président-délégué du BIVB, Claude Chevalier tenait à bien dire ce mot car il lui tient particulièrement à cœur. En effet, il symbolise la nouvelle stratégie de l’Interprofession et résume son plan à l’horizon 2020. Ainsi, le 11 février à Beaune, mêlant sciences (Pôle Technique) et économie (Pôle Marchés), le premier Vinosphère (ex-Vinosciences et Vinomarket) faisait un «tour d’horizon» autour de deux questions : «Demain, davantage de production. Peut-on se réinventer pour une nouvelle clientèle ?».
Après l’étude de Tim Simmons, analyste anglais (IWSR), il semblerait en effet que les marchés bourguignons soient amenés à se tourner encore davantage vers l’export (Allemagne, USA, Chine, Japon…) avec des vins montant toujours en gamme.
Tous vins confondus, «dans les cinq prochaines années, l’Allemagne sera le plus important pays importateur. L’Angleterre sera en baisse. Et les États-Unis également car les américains préféreront leurs vins locaux», expliquait-il avant de zoomer sur le marché «dynamique»
des «super premium» (plus de 30 $) correspondant au positionnement d’une partie des vins de Bourgogne. «La France restera le premier pays consommateur. Ce marché grandira aussi en Amérique – le marché cible pour 2019 ! -, en Angleterre et au Japon. Ces clients sont prêts à dépenser plus pour un meilleur vin et aussi pour montrer qu’ils dépensent plus d’argent». Une «premium-isation» dixit le néologisme anglo-français de Marie-Laëtitia des Robert qui animait la matinée.

Des premium dès l’entrée de gamme
Après un retour sur l’histoire des marchés de la cave de Lugny, son directeur, Édouard Cassanet donnait sa «vision personnelle» qui finalement illustrait bien le positionnement vers lequel se tourne la coopérative du haut Mâconnais : «Le marché des vins va se scinder en deux. Les vins français n’auront pas d’autre choix que de se positionner de plus en plus haut, avec leurs cahiers des charges AOC qualitatifs mais restrictifs qu’on accepte. Dans ce groupe élitiste, la Bourgogne ne doit pas remettre en question d’être la référence des pinots et chardonnay d’AOC. Après, il y aura des vins plus «industriels» (VSIG) avec des marques fortes en concurrences avec celles de grands groupes de l’hémisphère sud».
Mais les AOC françaises ne sont pas les seules à se positionner sur le segment «premium». Ainsi le président de la commission Technique du BIVB, Géraud Aussendou mettait-il en garde contre une concurrence exacerbée : «En partant de zéro et des attentes des consommateurs, les vins de Nouvelle-Zélande sont perçus par les clients comme des pinots noirs avec de meilleurs rapports qualité/prix alors que certains sont plus chers que des bourguignons». Histoire de souligner que la Bourgogne ne doit pas se laisser aller sur la qualité de ces vins. «Les vins standards ne doivent pas être notre objectif. On doit connaître et cibler une clientèle premium, même pour nos régionales», complétait Frédéric Mazilly, président de la commission Marchés du BIVB. Car la Bourgogne n’a pas d’entrée de gamme comme l’entendent les clients... Des solutions techniques sont donc à rechercher tant commercialement qu’à la vigne et dans les chais.

«Droit dans le mur» des «vignes sans âge» ?
Et tout débute par les sols, le climat et les vignes. «A chercher à trop baisser les coûts, on va droit dans le mur», avertissait Géraud Aussendou. Mais le message ne s’adressait pas uniquement aux vignerons mais également «aux fermiers et aux propriétaires», glissait Michel Baldassini, ancien président du BIVB… Histoire de rappeler que le patrimoine viticole s’entretient avec des investissements nécessitant la volonté des deux parties. Ce qui n’est pas toujours le cas en Bourgogne.
Et pourtant, il y a du travail en la matière. En effet, le bilan que dressait Corinne Trarieux du pôle Technique du BIVB sur le matériel végétal en Bourgogne faisait réfléchir. Alors que les surfaces plantées et les récoltes n’ont cessé d’augmenter en Bourgogne, ces chiffres cachent des rendements à l’hectare qui eux en moyenne «baissent significativement depuis le début des années 2000». En dehors du climat, la principale cause vient des maladies de dépérissement faisant que 12 à 14 % des pieds sont aujourd’hui improductifs en Bourgogne !
Bien que les clones utilisés soient «moins productifs», le BIVB pointait surtout du doigt le «vieillissement des vignes», notamment en Saône-et-Loire et en Côte-d’Or. Le taux de renouvellement étant inférieur à 1 % dans ces départements. La pratique des complantations s’est de fait développée, pour «plus de la moitié des plants vendus» selon les pépiniéristes locaux interrogés. Du coup, la part des jeunes pieds improductifs «à plus que doublée en dix ans». Bref, les «vignes sans âge» sont légions et grèvent le potentiel de production de la Bourgogne.

Changement d’état d’esprit
Ce basculement n’est pas le seul. Le «blanchiment» des vignes en Bourgogne pourrait devenir un défi. Un groupe de consommateurs Dijonnais interrogés par Bruno David, le directeur du cabinet Symetris, sur «si je vous dis Bourgogne, vous me dites ?» : «vins rouges», lui ont majoritairement répondu ces «jeunes» amateurs de vins. Un «décalage» donc avec la réalité
(62 % blancs ; 29% rouges et rosés ; 9% crémants). Et les ODG «bi-couleur», comme en bourgogne, n’ont plus la possibilité d’orienter ces choix, désormais individuels, avec les nouvelles autorisations de plantation.
Ce qui soulève bien des questions. Les consommateurs pourront-ils comprendre que bien qu’historiquement, la renommée de la Bourgogne se soit construite autour des vins rouges de garde, les vignerons ont choisi la «facilité» et la «stabilité» des chardonnays comparativement aux pinots qui «craignent le moindre grain de sable» ? Serait-il préférable désormais de s’appuyer sur le fait que «les vins blancs de Bourgogne ont très peu de concurrents» ? L’histoire du triangle d’Or, Chassagne-Puligny-Meursault, peut-elle être reproduite ? Dans ce cas, un travail sur «l’imaginaire» des prescripteurs et des clients seraient à bâtir et à consolider, toujours en ré-expliquant les quatre niveaux d’appellations.

Entre 16 et 40 millions de cols en plus
Quoiqu’il en soit, la Bourgogne continue de croitre. Sauf crise majeure, les surfaces augmentent d’1% par an. Ce qui dans 20 ans fait passer le vignoble de 25.000 ha à 30.000 ha/35.000 ha plantés. Le BIVB estime approximativement que si les rendements se stabilisent autour de 50 hl/ha, «il faudra vendre 40 millions de cols supplémentaires et particulièrement sur les AOC régionales (surface disponible)». Sur les 20 dernières années, la Bourgogne n’a vendu que 20 millions de cols supplémentaires de ces AOC à l’export. La Bourgogne en commercialise actuellement 200 millions environ chaque année. En revanche, faute de renouvellement des vignes en place, si les rendements baissent (-0,5%/an), la fourchette débuterait à +16 millions de cols à vendre. Mais si les rendements progressent (+0,5%/an) pour atteindre la moyenne de 55 hl/ha, alors la Bourgogne devra apprendre à commercialiser «40 millions de cols en plus même en limitant la progression des surfaces à 0,5 % par an»… Un sacré défi !

Changer de clientèle avec des AOC «moins connues»

Directeur technique et achats de la Maison Bichot, Alain Serveau a expliqué pourquoi ce négociant beaunois a «mis la main» sur des vignes «pour rester dans la course» qualitativement surtout. «Les prescripteurs font vendre mais les consommateurs sont vos ambassadeurs et il faut les satisfaire» sur le long terme. Avec cinq cuveries, réparties de Chablis à Mâcon, le retour sur investissements passait obligatoirement par un changement progressif de clientèle «qui ne pouvait plus forcément assurer des hausses de prix».
Parlant quelque part au nom de sa famille viticole, les Maisons de négoce, il appelait à «retrouver de l’intérêt» avec des appellations «moins connues» pour de nouveaux consommateurs. Il mettait en garde sur la lassitude de sa clientèle suite aux hausses des prix. «Plus on monte le segment des régionales, plus on monte mécaniquement les prix des autres segments. Même bon, cela devient difficile de faire admettre à nos clients qu’il faut mettre
50 € pour un village. Il faut raisonner pour laisser espérer nos clients actuels ; surtout si demain, on veut créer des vins premium».