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Recyclage

Plus de pain à perdre !

Convertir localement le pain invendu en farine, tel est le défi qu'ont relevé des étudiants Arts et Métiers de Cluny, en Saône-et-Loire. Grâce à un procédé innovant le pain invendu est transformé en farine alternative. Un système présenté récemment chez Poulaillon, à Saint-Vit dans le Doubs.

Par Séverine Vivot
Plus de pain à perdre !
Inauguration de la Flour Box dans les ateliers Poulaillon de Saint-Vit, dans le Doubs.

Jeter du pain ? Sacrilège ! Pourtant, chaque année, en France, 150 000 tonnes de pain sont perdues. Alors que 13 % de la population est en situation de pauvreté, que chacun est plus sensible à la question du gaspillage alimentaire et à la réutilisation des ressources pour limiter l'empreinte carbone, l'idée de réemployer le pain a germé dans la tête d'une poignée d'étudiants ingénieurs à l'école des Arts et Métiers de Cluny, en Saône-et-Loire. « Au départ du projet, il y a des étudiants qui éprouvent des difficultés à se nourrir correctement faute de moyens. Puis la présentation d'un module innovation en 1re année qui laisse libre cours à la construction d'un projet… et une insatiable envie de réduire notre empreinte carbone. Voilà comment la Flour Box est née » confie Jonas Caillet, élève ingénieur aux Arts et Métiers et président de l'association « Blé du cœur », chargée de déployer la fameuse box sur tout le territoire national. Cette Flour Box, ou boîte à farine, en bon Français a donné lieu à une présentation récente au sein de l'entreprise Poulaillon, à Saint-Vit, dans le Doubs, entre Dole et Besançon. Il s'agit d'une véritable micro-usine installée dans un container, et donc facilement déplaçable, pour transformer le pain en farine écoresponsable. Chaque Flour Box est dimensionnée pour 27 boulangeries, soit, au final, plus de 11 t de farine.

Précieux partenaires

Piloter un tel projet ne se fait pas sans acteurs convaincus. Il aura fallu trois ans et une détermination frôlant parfois le harcèlement pour aboutir à la Flour Box. Comme pour tout projet, il y avait un postulat : tisser des liens entre les hommes. « Notre premier interlocuteur a été la fédération des entreprises de boulangeries » confie Jonas Caillet. Un premier maillon qui a permis d'entrer en relation avec l'entreprise familiale Poulaillon, créatrice des célèbres Moricettes (célèbre petit pain en pâte à bretzel) et qui ne tarde pas à rejoindre la réflexion. « Mes parents ont démarré dans les années soixante-dix en Alsace où nous avons notre siège social. Aujourd'hui nous fabriquons 110 000 moricettes et 55 000 baguettes par jour » explique Magali Poulaillon. La société a investi dans des ateliers de fabrication et des magasins en Bourgogne et en Franche-Comté où ses produits sont connus et appréciés (cf. encadré). Par la suite, les banques alimentaires, le département du Doubs, la région BFC, le ministère de l'Agriculture, des banques et Carrefour, qui distribuera la farine alternative issue de la Flour box, ont rejoint l'aventure.

Procédé en container

L'usine de production Poulaillon de Saint-Vit, où travaillent 47 personnes, est totalement standardisée. Vincent Chavelet, chef d'équipe au sein de cette usine, a guidé un groupe qui s'apprêtait à découvrir la Flour Box. « Des tests de qualité sont présents à tous les niveaux de la production » détaillait-il. Deux lignes de production animent les ateliers. La première dédiée à la baguette de pain. Toujours 330 g, précuite au four une douzaine de minutes, elle est destinée aux boulangeries de Grandes et moyennes surfaces (GMS). La seconde, dédiée à la Moricette, 70 g cuite une quinzaine de minutes, est distribuée dans les magasins et partenaires Poulaillon. Tous les produits ne respectant pas strictement les normes attendues sont écartés. « Cette Moricette est un peu trop gonflée, celle-là insuffisamment. Elles ne partiront pas à la vente » poursuit Vincent Chavelet en saisissant une Moricette mise de côté. Des petits bretzels n'entrant pas exactement dans les normes de vente, sont en revanche retenus pour le passage dans la Flour Box. « Après avoir été séchées et tranchées, les Moricettes attendent l'entrée dans le système containérisé » annonce Jonas, futur ingénieur qui somme les participants de ne pas prendre de photos de l'intérieur de la Flour Box, secret industriel oblige ! Celle-ci se présente sous la forme d'un procédé en container facilement déplaçable. Après un boucan d'enfer et quelques tremblements, la machine livre son butin. Les étudiants ont présenté un paquet de farine prête à l'emploi floqué « Blé du cœur » vendu, par exemple, au Carrefour Chalezeule, à Besançon. Mais la Flour Box ne demande qu'à partir à la conquête de nouvelles contrées et partenaires, prête à semer les petites graines qui feront la belle farine, et ainsi former un réseau.

Plus de pain à perdre !

Poulaillon, acteur de l'agroalimentaire locale

Paul et Marie-France Poulaillon ont ouvert leur première boulangerie en 1973 à Wittelsheim dans le Haut-Rhin. Très vite, Paul a l'idée d'allonger de la pâte à bretzel pour former un petit pain garni de charcuterie : la Moricette est née. Très appréciée en Alsace, l'entreprise s'est développée au fil des ans et s'est installée en Bourgogne-Franche-Comté. Aujourd'hui, le groupe est coté en Bourse. L'entreprise familiale est dirigée par Magali et Fabien, les enfants des créateurs de la Moricette. À Saint-Vit, en 2017, le groupe a racheté les locaux où sont fabriqués Moricettes et baguettes mais aussi un pain spécial remboursé par la sécurité sociale. Poulaillon a investi 7 millions d'€ sur ce site. L'entreprise tourne en trois huit sauf le samedi et le dimanche. Près de 7 200 moricettes sont produites chaque heure. Baguettes de pain et moricettes sont conditionnées sur place puis surgelés et expédiées dans les magasins Poulaillon et chez les partenaires de l'entreprise.

Réactions

Magali Poulaillon : « Nous avons pour principe de ne jamais dire non à un client. Lorsque les jeunes de l'école des Arts et Métiers nous ont contactés, nous avons été fidèles à notre approche habituelle : aider les gens qui en veulent. Le concept de la Flour Box est appelé à se développer sur tout le territoire. La mise en place de la première Flour Box née ici dans nos ateliers, marque le début d'une belle histoire". 

Christian Morel, vice-président du Conseil régional de BFC, en charge de l'agriculture : « J'ai produit du blé pendant ma carrière professionnelle. ça prend du temps, ça mobilise de l'énergie, du travail et donc du respect. Le blé c'est le pain, base de notre nourriture. Votre projet conduit à ne pas gaspiller ce blé. Ça a beaucoup de sens et nous ne pouvons que vous encourager à poursuivre sur cette voie avec le soutien des collectivités".