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Interview d’Arnaud Gaillot, secrétaire général de Jeunes Agriculteurs et Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA

«Matin, midi et soir on a besoin des paysans»

Les agriculteurs sont en action syndicale depuis fin septembre, avec deux grosses mobilisations qui ont eu lieu les 8 et 22 octobre. Trois sujets les préoccupent particulièrement. L’agribashing, qui génère un climat délétère dans les campagnes, les surtranspositions réglementaires qui créent des situations de concurrence déloyale et les accords de libre-échange qui conduisent à importer l’alimentation qui n’est pas acceptée en France.
Par Propos recueillis par Actuagri
«Matin, midi et soir on a besoin des paysans»
- Vous avez demandé au Président de la République de vous répondre. Il s’est exprimé le 22 octobre, lors de son déplacement à Mayotte. Que retenez-vous de son intervention ?
Arnaud Gaillot : «Effectivement, le Président de la République nous a entendus et nous a aussi répondu lors de son discours à Mayotte. Il a eu des mots forts, reconnaissant qu’en France, nous avons une des agricultures les plus exigeantes au monde. Il a conscience que la pression subie par les agriculteurs risque de fragiliser notre agriculture alors même que nous aurons toujours besoin des agriculteurs pour nourrir la population. Nous risquons donc de remettre en question notre souveraineté alimentaire. Le Président de la République a aussi condamné fermement les attaques subies par les agriculteurs. Au-delà des mots, nous notons aussi des avancées certaines. Nous avons fait bouger les lignes lors des rendez-vous ministériels qui se sont multipliés. Les premières condamnations d’associations antispécistes ont été prononcées suite aux intrusions dans les élevages. Une cellule spécifique a même été mise en place pour identifier et poursuivre les auteurs d’intrusions ou d’agressions. La sécurisation de nos exploitations devrait être renforcée avec la signature imminente d’une convention tripartite entre la Gendarmerie, JA et FNSEA. Nous avons aussi obtenu gain de cause sur plusieurs sujets comme le financement des chambres, le maintien de l’exonération sur le GNR, etc. Et en matière de gestion de l’eau, le verrou du stockage commence à céder».

- L’État répond donc à vos demandes. Pourquoi vous mobilisez-vous à nouveau ?
Jérôme Despey : «Oui, nous avons obtenu de premières avancées significatives et l’intérêt porté à l’agriculture par le Président de la République est important pour nous. Mais nous progressons à petits pas, trop lentement et les intentions doivent se traduire plus rapidement en actes concrets. Les effets des mesures prises ne se perçoivent pas encore sur les exploitations. Au lendemain de l’expression du Président de la République nous avons pris le temps de l’analyse et de la mesure des avancées. Nous avons organisé la consultation de nos réseaux. Le compte n’y est pas. Nous avons besoin de faire une pause dans la surenchère et la course aux normes et aux contraintes. L’exigence conduit à l’excellence, certes, mais l’excès conduit lui au découragement et au renoncement. Préservons le professionnalisme des paysans français et faisons leur confiance. L’État devrait concentrer son action pour mettre en place les outils et les moyens de contrôle pour faire respecter la loi Égalim, à tous les échelons. Mais ce sont également les acteurs économiques, distributeurs et industriels, qui doivent jouer le jeu de la loi car leur participation, alors qu’elle est indispensable, est clairement insuffisante aujourd’hui. Faisons changer ce qui est probablement devenu culturel. Le prix ne se décrète peut-être pas, mais nous savons qu’il peut se construire et que nous pouvons être exigeants. Nous le sommes et le rappellerons».

- Quelle forme va prendre cette mobilisation ?
AG : «Les attentes ne sont pas strictement identiques selon les territoires et les productions. La pression subie par les paysans non plus. Nous avons clairement besoin de considération et de revenu. La question du revenu des agriculteurs doit être prise à bras-le-corps. Une récente étude de l’INSEE révèle en effet que presque 20 % des exploitants français ne vivent pas de leur métier. Si la loi Égalim a joué son rôle en consolidant notamment les indicateurs de prix et le seuil de revente à perte, elle ne permet pas une meilleure rémunération des agriculteurs. Pour l’heure, les résultats se font attendre et à défaut d’avoir plus de prix, les exploitants ont surtout plus de charges. À partir du 27 novembre, nous demanderons aux opérateurs (transformateurs et distributeurs au premier chef) de respecter les agriculteurs dans les négociations commerciales. Les indicateurs de prix sont désormais établis et connus de tous. Il est temps que l’argent revienne aux agriculteurs. La valeur existe, elle doit être répartie entre tous ! Et l’État doit également soutenir les filières au lieu d’investir son énergie à mettre en place de nouvelles distorsions (Ceta, Mercosur, ZNT…) qui engendrent toujours plus de charges supplémentaires plombant nos exploitations».

- Les agriculteurs ont-ils intérêt à rejoindre le mouvement social national et grossir les mobilisations de cette fin d’année ?
JD : «Nos revendications sont spécifiques. Nous comprenons la grogne des différents corps de métier. Mais nous devons rester lisibles et audibles. Nos revendications ne sont pas conjoncturelles. La loi Égalim consacre un travail de longue haleine. Nous devons lui donner une chance de réussir. Nous avons fait le choix du long terme pour nous faire comprendre. Nos actions du 27 novembre seront certainement multiples. Certains se dirigeront vers les acteurs économiques qui ont été évoqués pour les obliger à respecter leurs engagements sur les États généraux, d’autres iront vers les bâtiments des services déconcentrés de l’État, pour réclamer une baisse de la pression sociale ou fiscale, d’autres encore exprimeront le refus des ZNT, au profit du dialogue, des recommandations scientifiques et d’équipements adaptés. “Notre agriculture est importante en hexagone comme dans le territoire ultramarin. Matin, midi et soir on en a besoin, donc défendons-les” nous a dit le Président de la République. Leur défense passe clairement par l’amélioration de leur revenu et de leurs conditions de travail».