Matériel végétal : Qanopée, le coffre-fort végétal de la vigne du futur
Porté par trois régions et trois vignobles, le Beaujolais, la Bourgogne et la Champagne, le projet Qanopée, (Quart Nord-Est Prémultiplication Collective) a été porté sur les fonts baptismaux vendredi 20 juin dans la commune de Blancs-Coteaux au sud d’Epernay (Marne). L’objectif est de prémultiplier greffons et porte-greffes dans un environnement confiné pour assurer l’intégrité sanitaire des plants et être plus réactif dans la production de clones adaptés aux nouveaux défis viticoles.

« Quel bonheur », l’émotion du président Thiébault Huber n’était pas feinte vendredi dernier, 20 juin, au moment de prononcer les premiers mots des discours d’inauguration de la structure baptisée Qanopée. Il n’est pas si fréquent de voir trois vignobles (Beaujolais, Bourgogne et Champagne) issus de trois régions administratives différentes (Aura, BFC, Grand-Est) se lancer main dans la main dans un projet aussi structurant pour l’avenir de la filière.
Ce qui faisait dire au président Champenois, David Chatillon : « nous célébrons plus qu’un bâtiment, nous célébrons la force du collectif, nous célébrons des ambitions et une vision partagées ». L’histoire de la viticulture française est trop remplie de guéguerres et de replis égoïstes pour ne pas s’en réjouir. Le Jura a d’ailleurs rejoint l’aventure en tant que membre associé et il se murmure que d’autres vignobles pourraient emboîter le pas dans les années à venir.
Naissance d’un nouvel acteur de la prémultiplication
Le projet Qanopée vise donc à répondre à plusieurs défis et en premier lieu aux problèmes de dépérissement du vignoble liés aux différentes maladies et viroses, mais aussi au changement climatique et à la demande croissante de matériel végétal sain et adapté. « Le dépérissement est devenu dans nos régions un enjeu majeur en amputant la rentabilité de nos vignobles et en créant des difficultés chez les pépiniéristes avec des menaces sur les vignes-mères et sur le matériel végétal commercialisable, estime le président-délégué du BIVB, François Labet. Le modèle de prémultiplication en plein champ atteignait ses limites, ne permettant plus d’assurer la qualité sanitaire des plants et la quête de réactivité face à ces nombreux enjeux ».
Local de l’étape, Maxime Toubart, l’un des deux présidents du Comité Champagne, ne cachait pas non plus sa satisfaction de voir émerger cet « espace sécurisé, innovant qui deviendra le véritable coffre-fort de nos plants de vignes pour préserver, améliorer et transmettre ce patrimoine aux générations futures ».
Qanopée devient donc un nouvel acteur de la prémultiplication de matériel végétal, le maillon entre le conservatoire de l’IFV et les pépiniéristes-multiplicateurs. La filière en compte actuellement 11 à l’échelle nationale (dont le Grapvi en Bourgogne et la Sicarex en Beaujolais) représentant un parc de vignes-mères d’environ 66 hectares.
Les premiers bois ne vont pas tarder
Les premiers plants sont arrivés en mars dernier en provenance du Conservatoire de clones de l’Espiguette (Gard). « Ils sont mis directement, francs de pied, dans un pot de substrat. Le taux de reprise est assez important, meilleur qu’en extérieur. La récolte de bois se fera de janvier à mars 2026. On gagne plusieurs années par rapport au système en plein champ. On peut changer de clones d’une année sur l’autre et donc gagner en flexibilité. L’objectif ? Je ne vais pas vous donner un chiffre, il s’agira de répondre aux besoins des vignobles du quart nord-est », (hors Alsace qui n’est pas dans le projet) explique Sébastien Dubuisson, directeur qualité et développement durable du comité Champagne.
Dans les vignobles, les attentes sont fortes, à l’instar du Beaujolais représenté lors de cette inauguration par Sébastien Kargul, vice-président de l’interprofession. « Nous avons créé une dynamique avec la montée en qualité de nos vins et la communication autour de nos valeurs qui a permis l’arrivée d’une nouvelle génération de vignerons. On se doit de leur fournir, de leur transmettre des outils qui leur permettront de pérenniser le vignoble, leur matériel végétal et faire face au dérèglement climatique et aux défis environnementaux ».
Un nouveau partenaire pour les pépiniéristes
La fédération française des pépiniéristes, futurs clients/partenaires de Qanopée était présente en force à l’évènement. Le président, le Savoyard Christophe Raucaz, a noté une « convergence d’objectifs » avec la structure associative. « Nous, les pépiniéristes, sommes les racines de la viticulture. Ce qu’il se passe ici, c’est aussi notre avenir à nous ». Et de rappeler que le secteur aussi était touché par la crise, avec un recul des commandes de l’ordre de 30 à 40 % dans certains vignobles, contraignant les entreprises à faire également des demandes de primes à l’arrachage de vignes-mères, après 15 années de croissance dues à la forte demande liée notamment au dépérissement du vignoble. « Il faut continuer à répondre aux attentes des viticulteurs. La serre permet de mettre tous les atouts de notre côté sur le matériel végétal de base. Nous avons la chance en France d’avoir une bonne qualité de plants grâce notamment à l’encadrement de l’IFV ».
Une chose est sûre, dans les années à venir, le matériel végétal du vignoble va vivre une véritable révolution après quasi un siècle de stabilité. « Le vaisseau est lancé, j’ai vécu une aventure extraordinaire. Nous connaîtrons sûrement des tempêtes, mais nous faisons tout cela pour l’avenir de nos enfants », a conclu le président Huber.
Un projet bien financé
Le projet est né à la faveur d’un appel à projets « Mise en œuvre de projets pilotes dans les domaines de l’agriculture, la viticulture et la forêt » lancé en 2021 par la Région Grand-Est, remporté donc par le collectif Qanopée. Ce dispositif a permis à l’association de bénéficier de l’apport de 4,826 M€ du Feader pour financer le projet, conditionné à la levée d’une contrepartie nationale totale de 1,207 M€ (assurée par trois Régions, six Départements et des Communautés de communes). Ce qui faisait dire au vice-président de la Région Bourgogne-Franche-Comté, Christian Morel : « Des fonds européens, il y en a, il faut venir les chercher ! » ; ou encore au président la région Grand-Est, Franck Leroy : « On nous demande souvent : à quoi sert l’Europe ? On a la réponse : à préparer l’avenir ! »
Le montant global du projet s’élève à plus de 8 millions d'€, comprenant les études préalables, le pilotage du projet, et surtout, la construction de la nouvelle unité de production avec son bâtiment d’exploitation. Les interprofessions ont contribué à hauteur de 0,826 M€ et la structure Qanopée a emprunté un peu plus de 1,4 M€ pour boucler le budget.
Une serre totalement confinée

Les GPS sont allés moins vite que les fondateurs de l’association Qanopée, ils ne connaissent pas forcément la route idoine et peuvent vous faire arriver sur site par un chemin en terre bosselé et poussiéreux.
C’est ici, au bout d’une zone artisanale, au pied des coteaux champenois, que se découvre cette grande serre bioclimatique de 4.500 m2 qui se veut “insect-proof”, c’est-à-dire protégé des insectes potentiellement nuisibles grâce à un système de surpression et prémunir les plants contre les vecteurs de maladies (court-noué, flavescence dorée, virus du pinot gris, etc.). Elle comprend des espaces dédiés à la production de porte-greffes et de greffons de base, un espace pour la conservation du matériel de biodiversité́ issu des conservatoires régionaux ainsi qu’un bâtiment technique et administratif de 900 m2.
L’établissement se veut exemplaire en matière de sobriété énergétique avec ses serres bioclimatiques, ses matériaux biosourcés (chanvre notamment), ses panneaux solaires et son système de récupération d‘eau de pluie.
L’ensemble du site, pensé avec une architecture évolutive, est prêt à répondre à la montée en charge progressive de la demande jusqu’à 2028.
Quels cépages ?
Les cépages prémultipliés sur le site seront les suivants : aligoté, arbane, artaban, beaugaray, chardonnay, chardonnay rose, floreal, gamaret, gamay, gamay de chaudenay, gamay de bouze, gamay fréaux, gaminot, granita, meunier, petit meslier, picarlat, pinot blanc, pinot gris, pinot noir, vidoc et voltis
Aux travaux déjà en cours, qu’il s’agisse de cépages traditionnels ou de variétés résistantes (les fameux ResDur), s’ajouteront dans les années à venir ceux sur les variétés résistantes issues des programmes régionaux comme CEPInnov.
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ILS ONT DIT

Franck Leroy, président de la Région Grand Est et président de l’Assemblée des régions européennes viticoles (AREV)
« C’est un projet ambitieux qui vise à refuser la fatalité d’un déclin potentiel du matériel végétal, à refuser de se résigner face aux maladies et aux effets ravageurs du changement climatique qui nous accable. C’est un défi formidable qui, j’espère, inspirera d’autres vignobles en France mais aussi en Europe.
Qanopée crée un pont entre les pratiques d’hier, un savoir-faire unique et les exigences du monde d’aujourd’hui qui impliquent de tout remettre en question pour faire face à un défi qui nous dépasse. C’est l’avenir de nos vignobles qui se joue dans un équipement comme celui-ci.
C’est une belle aventure, elle restera gravée dans ma mémoire jusqu’à mon dernier jour. On s’est battu comme des chiens, on a contourné un tas d’obstacles, il a fallu être inventif sur le plan technique, scientifique et en recherche de financement. C’est un grand jour pour nos vignobles ».
Christian Morel, vice-président de la Région Bourgogne-Franche-Comté
« Ce projet repose sur la science et le savoir à une époque où quelques voix tentent de les dégager… Il est bon de rappeler que c’est par la science, le savoir, par la réflexion des hommes que l’on avance et Qanopée va nous le prouver ».
Bernard Enjolras, président de l’IFV
« On s’inscrit dans la création de vignes, dans la sélection variétale, nous avons des défis importants à relever avec de moins en moins de produits phytosanitaires et le changement climatique. Qanopée va devenir un centre de recherche important dans le paysage national tant sur les variétés que sur les porte-greffes.
Nous traversons une crise profonde, ce partenariat est plein d’espoir, il doit rassurer les vignerons, les inviter à se projeter sur des projets d’avenir. À travers Qanopée, on va bâtir la viticulture du futur, s’inscrire dans une dynamique française. Nous sommes un leader, ce patrimoine viticole national, il faut le garder, le développer et le faire connaître dans le monde entier ».