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Interview

«Les Français sont attachés à l’agriculture française et à la consommation française»

Deux jours après l’action syndicale des agriculteurs à Paris, Christiane Lambert, Présidente de la FNSEA était à Auxerre, dans l’Yonne, pour assister au match de football AJ Auxerre – Orléans (Ligue 2), placé sous le signe de l’agriculture. Peu avant, elle a accepté de nous accorder une interview exclusive.
Par Propos recueillis par Christopher Levé
«Les Français sont attachés à l’agriculture française et à la consommation française»
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA était à Auxerre, vendredi 29 novembre.
- Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs montent aux créneaux pour alerter sur leur situation qui se dégrade et la fragilité des systèmes d’exploitation français. Pensez-vous que ces messages que vous relayez également auprès du gouvernement soient véritablement entendus et que ces fortes attentes aient une chance d’être satisfaites ?
«Notre manifestation de mercredi 27 novembre a été digne, responsable et très pédagogique. Les agriculteurs se sont mobilisés en masse. Certains sont venus en tracteur avec 8 heures de route, merci à eux. Le fait d’associer la mobilisation très nombreuse et démonstrative et la négociation en parallèle est une bonne stratégie syndicale. Nous avons obtenu un rendez-vous auprès du ministre de l’Agriculture, accompagné de la secrétaire générale adjointe de l’Élysée et du conseiller agricole de Matignon. C’est ce que nous voulions pour être au plus près de l’écoute du Président de la République sur les problèmes rencontrés par les agriculteurs.
La mobilisation si nombreuse traduit un vrai malaise chez les agriculteurs qui ne se sentent pas considérés. Apporter les messages en direct au plus haut niveau de l’État est essentiel. Durant 2 heures nous avons été écoutés et à la sortie, le ministre de l’Agriculture a confirmé trois choses : sur la loi alimentation, tous les dispositifs doivent s’appliquer dès cette année et il doit y avoir du retour de valeur aux agriculteurs. Sur les intrusions en exploitations agricoles et notamment en élevage, une loi est en préparation pour sanctionner les délits d’entrave, c’est-à-dire ceux qui empêchent la tenue d’une activité. Enfin, sur le sujet des distorsions et des accords commerciaux inéquitables, nous avons dénoncé les surtranspositions françaises et les taxes toujours plus fortes.
À la sortie, le fait que le Ministre de l’agriculture dise lui-même : nous écouterons la science, toute la science, rien que la science pour déterminer les règles pour les ZNT, et si la science dit zéro mètre, le Gouvernement suivra. C’est ce que nous voulions entendre. Dans notre pays, la science n’est pas suffisamment écoutée dans de nombreux domaines. Il n’est pas du ressort des maires de prendre des arrêtés de cette nature. Le Président de la République l’a dit lors du congrès des maires la semaine dernière. Il était nécessaire que ce soit validé une nouvelle fois et redit devant les agriculteurs».

- Selon vous, comment ramener de la valeur ajoutée sur les exploitations, alors que les effets des Égalim tardent à venir et que le revenu agricole s’installe dans une baisse tendancielle pour les productions et les produits les plus exposés à la concurrence en Europe et dans le monde ?
«Il faut être clair : pour les négociations de l’année dernière, tous les dispositifs n’étaient pas opérationnels car les décrets de la loi n’étaient pas sortis. Les industriels et les distributeurs en ont joué en contournant les dispositifs. Cette année est donc l’année 1 d’application de la loi puisque tous les textes sont parus. Le Ministère de l’agriculture et la direction de la concurrence ont dit que l’intégralité de la loi devait être respectée. Il y a quelques avancées de la loi alimentation qu’il faut souligner, sur le lait, avec des engagements de certains industriels à des niveaux de prix de 175 €/tonne en prix de base. Nous souhaitons que la très grande majorité des acheteurs de lait suivent. Il y a quelques contrats signés en viande bovine avec des niveaux de prix plus élevés, mais ils sont encore trop peu nombreux. À nous, syndicalisme agricole, s’affirmant comme syndicalisme économique, de donner plus de poids aux organisations de producteurs, pour négocier avec fermeté, avec les industriels, et intégrer une référence aux coûts de production dans les contrats pour la négociation des prix en ce qui concerne les débouchés sur le marché national.
Ces frémissements positifs sont pour nous un encouragement. Il faut les étendre pour que plus d’agriculteurs voient des retours positifs. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a annoncé 6 000 contrôles, les mauvais joueurs n’ont qu’à bien se tenir».

- Face au changement climatique qui va devenir le fil d’Ariane de toutes les politiques publiques, quelles mesures d’urgence devraient être prises pour aider les exploitations dans toute leur diversité à s’adapter et surtout à pérenniser l’acte de production ?
«Le changement climatique s’impose à tous. Nous, agriculteurs, l’avons déjà appréhendé avec l’alternance de sécheresses, inondations, canicules, gels, qui n’ont pas manqué d’affectés nos exploitations ces deux trois dernières années. Lorsque l’on parle d’adaptation, il faut dire que bon nombre d’agriculteurs se sont déjà adaptés en changement leurs assolements, en choisissant des variétés ou itinéraires techniques adaptés, selon les contextes territoriaux. Il est possible de faire plus avec du conseil vraiment zoomé sur les particularités des territoires, voilà pourquoi ce sont les conseillers locaux des Chambres d’agriculture ou des structures techniques qui peuvent accompagner les agriculteurs, pour limiter la prise de risque.
Nous travaillons pour déverrouiller la possibilité de créer des réserves d’eaux. Le Ministère a annoncé la nécessité de sortir 60 projets en France, dans les meilleurs délais. Il faut pour cela que les administrations ne soient plus dans la rétention ou dans le blocage, pour l’instruction et les aspects administratifs.
Il faut aussi que les agriculteurs se remettent à y croire. Nous avons assoupli l’instruction qui datait de 2015. Il est désormais possible de stocker des volumes d’eau conséquents.
Il faut également travailler sur le sujet de l’assurance, notamment l’assurance climat, en améliorant ces dispositifs. Mais j’encourage vivement plus d’agriculteurs à s’assurer. Il ne faut pas prendre de risque et rester sans assurance.
Nous avons également travaillé sur les dispositifs fiscaux, notamment l’épargne de précaution qui est opérationnelle depuis le 1er janvier 2019 qui permet de faire une épargne de précaution soit en épargne soit en nature, et ainsi se préparer à des moments plus difficiles. C’est en combinant tous ces dispositifs sans oublier les dispositifs de prévention, que nous pourrons résister face au changement climatique qui nous montre tous les jours qu’il est vraiment installé».

- La France n’est pas dans la meilleure position à Bruxelles pour faire avancer la Pac post 2020 au mieux de ses intérêts et la Pac ne résoudra pas tous les problèmes de l’agriculture française. Quelle vision de l’agriculture d’ici 2050 souhaiteriez-vous partager avec le gouvernement ?
«Tout le calendrier Pac a été retardé en raison du Brexit. La date du Brexit est désormais au 30 janvier 2020. Nous devrions connaître le budget au printemps 2020 voire été 2020. Notre première priorité est la hauteur du budget et il faut un engagement politique très fort des Ministères de l’agriculture européens mais aussi des chefs d’États. On souhaite que le Président de la République porte la nécessité d’un budget maintenu. Nous demandons 1,14 % du revenu national brut. On ne peut pas demander plus aux agriculteurs si le budget est en diminution.
Ensuite viendront les trilogues. Il y aura donc un retard pour la mise en œuvre. Voilà pourquoi une période de transition d’un an a été décidée. Sur ce sujet, nous avons rencontré le Ministre de l’agriculture ainsi que la secrétaire d’État en charge des relations européennes, et nous en parlerons également au Premier Ministre. Toute l’équipe France doit jouer dans la même direction.
Faire une prévision à 2050 est bien compliqué quand on voit comment les choses bougent très vite en l’espace de cinq ou dix ans. Une chose est certaine, l’enjeu alimentaire est très présent et tous les pays veulent contribuer à produire plus et mieux pour répondre à l’enjeu crucial de la sécurité alimentaire. Il faut le faire sur tous les continents et la France doit faire valoir ses atouts agronomiques, génétiques, savoir-faire, excellence. Aujourd’hui, il faut le faire dans le respect de l’environnement, c’est-à-dire avoir une production performance économiquement, écologiquement et environnementalement.
Les compétiteurs sont très forts et déterminés. Nous le voyons tous les jours avec la Russie qui est revenue dans le jeu, notamment dans le secteur céréalier, qui a fermé ses frontières à toutes importations porcines, ce qui a complètement chamboulé les équilibres.
Les aspects sanitaires ne sont pas à minimiser quand on voit la catastrophe de la production chinoise, première production mondiale, qui a perdu 41 % de sa production en un an à cause de la fièvre porcine africaine. Tout ceci nous montre qu’entre les risques économiques, climatiques, sanitaires, environnementaux, il est très difficile de se projeter, mais il faut amplifier les dispositifs de résistance et de résilience des exploitations, avoir des agriculteurs mieux formés et confortés, y compris psychologiquement pour faire face aux risques, et être très ouvert et réactif aux opportunités de marché qui s’ouvrent à nous.
Une chose est certaine, il faut probablement reconquérir tous les débouchés locaux et nationaux. La France a trop laissé venir d’importations de produits qui ne respectent pas du tout les mêmes règles. Les Français sont attachés à l’agriculture française et à la consommation française. Il y a là des opportunités de reconquêtes. C’est ce que nous essayons de faire notamment en volaille et en production laitière.
La France est aussi un pays attendu sur les marchés internationaux pour les vins et les spiritueux, mais aussi pour les semences, la génétique, les viandes de qualité. L’ouverture sur la Chine pour la viande bovine est un formidable espoir. J’espère qu’il produira la même embellie des cours que ce que connaît le secteur porcin aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’être optimiste ou pessimiste, il faut être déterminé et accompagner au jour le jour, avec lucidité, tous les secteurs de l’agriculture».