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Viticulture

Le gel a encore frappé

Le triste scénario de 2016 est-il en passe de se répéter ? Les gelées blanches enregistrées la semaine dernière en Chablisien et dans l’Auxerrois ont d’ores et déjà hypothéqué la prochaine récolte pour nombre de viticulteurs.
Par Dominique Bernerd
Le gel a encore frappé
Pris dans sa coque de glace, le bourgeon est protégé, sous une température à 0° C
Il est cinq heures en ce jeudi matin. Dans la noirceur de la nuit chablisienne, les coteaux scintillent de lucioles enflammées. Quelques silhouettes s’activent encore dans les rangs, finissant d’installer chaufferettes et bougies au pied des vignes, pour prendre de vitesse les températures glaciales du petit matin. La nuit aura une fois encore été courte pour nombre de viticulteurs du Chablisien, alertés dès 2 heures du matin pour mettre en branle le dispositif. Un scénario qui s’est répété trois jours durant, ravivant les inquiétudes, notamment chez ceux qui avaient déjà tout perdu l’an passé, suite aux gelées noire ayant touché le vignoble dans la nuit du 26 au 27 avril 2016. D’autant qu’une petite partie seulement des 5 500 ha de chablis est protégée, comme le rappelle le président de la Fédération de Défense de l’Appellation, Frédéric Gueguen : «à peine 10 % de la totalité, soit environ 300 à 400 ha, avec les chaufferettes et guère plus de 220 ha par aspersion. Quant à l’efficacité, tout dépend de l’intensité du gel. Pour ma part, ce matin (ndlr : vendredi matin 21 avril), je n’ai pas réussi à remonter, suis resté bloqué à - 2° C. Le seuil de température limite que tolère la plante». Difficile encore de faire un chiffrage, même si l’on sait déjà que certains secteurs ont été plus touchés que d’autres : «tout ce qu’on peut dire, c’est qu’aucune commune ne s’est trouvée épargnée, contrairement à l’an passé. Particulièrement touché, le secteur englobant Maligny, Ligny-le-Châtel, Lignorelles, une partie de Beine aussi…» Vigneron à Maligny, Régis Segault a fait le tour de ses parcelles : «c’est très disparate, allant de 5 % à 80 % selon les secteurs. En fait, comme toujours, ce sont les bourgeons les plus beaux et les plus avancés, en bout de baguettes, qui ont morflé !» Ses vignes ne sont pas assurées, préfèrant miser sur l’hétérogénéité géographique avec un parcellaire réparti sur plusieurs communes. Viticulteur à Quenne Jean-Baptiste Thibaut a lui aussi déjà fait une croix sur une partie de sa récolte : «on peut espérer en rattraper un peu avec les contre-bourgeons qui heureusement, n’ont pas encore démarré et faire une demi-récolte, mais pour cela, encore faut-il un beau mois de mai et que derrière, tout aille bien !». Entre 5 et 10% du vignoble d’Irancy touché par le gel, selon le président de l’appellation, Christophe Ferrari. La sérénité reste de mise, mais la prudence aussi : «faut que ça s’arrête !». D’autant, rappelle son collègue Thierry Richoux, qu’ici, point de chaufferettes ou d’aspersion : «tout système a ses limites, mais la première d’entre elles, c’est quand même le prix. Des bouteilles vendues 40 ou 50 €, tu peux te permettre d’investir, à 10 €, tu ne fais que dépenser ce que tu n’as pas gagné !».

«La messe est dite !»
Résigné, Alain Duruz a cette formulaire lapidaire : «la messe est dite !». Le président de la section fruits à la FDSEA de l’Yonne a organisé une réunion de crise ce samedi : «tout le canton du grand Coulangeois est touché, avec des coins à 100 % de pertes. En terme de surfaces, c’est même plus important que l’an passé…». Une fois encore, c’est toute l’arboriculture du secteur qui va devoir payer un lourd tribut à Dame nature. Sur la seule commune de Jussy, le bilan est déjà très lourd : «sur 90 ha, 60 ha gelés à 100 %, plus de 20 ha à 70 % et le reste entre 40 et 50 %. Les variétés tardives de cerises ont morflé le plus car elles mettent en fleurs avant les autres et les fruits étaient déjà formés, sans espoir de se rattraper…». La pilule est amère et certains producteurs se disent prêts à mettre la clé sous la porte : «ils ont déjà tiré le diable par la queue pour démarrer la saison et sans aide extérieure de l’Etat ou de la région, ils ne repartiront pas ! Avec déjà un court terme en cours, les banques ne vont plus suivre…». L’urgence va être de faire remonter au plus vite les infos, par le biais de l’instance syndicale, auprès de la DDT, afin qu’une visite terrain soit organisée pour chiffrer les dégâts. Alain Duruz souhaitant profiter de la période électorale qui s’annonce, pour alerter députés ou candidats à la fonction, de l’importance que joue l’arboriculture dans le secteur : «bien sûr, les dégâts dans le Chablisien sont importants, mais il ne faut quand même pas oublier que sur l’ensemble du canton, tous producteurs regroupés, en temps normal, ce sont plus de 300 personnes qui travaillent pendant deux mois dans les vergers…».
Côté grandes cultures, la météo est également source d’inquiétudes, du fait d’une végétation en avance et de certaines céréales comme les orges d’hiver particulièrement sensibles au gel. D’autant qu’à la vague de froid s’ajoute un début de sécheresse, pénalisant d’autant le développement des cultures de printemps. Avec là aussi, le souvenir douloureux des rendements catastrophiques de l’été dernier et la crainte de voir le scénario se répéter… Combien seront-ils alors, à pouvoir franchir un nouveau cap ?