Société
« Il y a un sacré manque de reconnaissance envers les agriculteurs »
Le 8 octobre, près de 10 000 agriculteurs se sont mobilisés dans toute la France, d’après la FNSEA et des JA, à l’origine de l’appel. Leur mot d’ordre : « France, veux-tu encore de tes paysans ? » Un slogan a rassemblé des agriculteurs inquiets de leur image et de leur perte d’influence politique. Reportage en zones céréalière et d’élevage.

« Ras le bol. » Ces trois mots revenaient continuellement dans la bouche de nombreux agriculteurs mobilisés le 8 octobre dernier, à l’appel de la FNSEA et des JA. D’après les syndicats majoritaires, 10 000 agriculteurs ont participé à une centaine de blocages routiers ou d’opérations escargots dans « l’ensemble des départements français ». Dans leur viseur, trois sujets : « l’agribashing », les accords de libre-échange (Ceta et Mercosur) et les distorsions de concurrence. Derrière le slogan « France, veux-tu encore de tes paysans ? », les manifestants étaient nombreux à exprimer leur lassitude face à un contexte sociétal et économique lourd.
« Déjà qu’on ne gagne pas notre croûte, et en plus on nous casse du sucre sur le dos tout le temps ! », résume cet agriculteur rencontré lors d’une opération escargot au Mans. Ce 8 octobre, ils étaient une petite cinquantaine à s’être rassemblés, sous la pluie, au rond-point de l’Océane, un point d’accès stratégique vers le chef-lieu sarthois. « Il y a un sacré manque de reconnaissance envers les agriculteurs », déplore Quentin, jeune salarié en élevage laitier à Domfront-en-Champagne. « Ce qui revenait tous les jours quand je croisais des voisins aux ensilages, c’était les antispécistes », constate Hervé de Viron, vice-président des JA 72. D’après cet éleveur laitier, « l’ambiance est à l’énervement, tout le monde en a assez de voir tous les matins un nouveau reportage à charge sur l’agriculture ».
Alors que les intrusions dans les élevages se sont multipliées ces derniers mois, un nouveau palier a été franchi à la mi-septembre, avec l’incendie de trois poulaillers dans l’Orne. Producteur laitier installé à une dizaine de kilomètres du Mans, Émeric n’hésite pas à parler de « discriminations » : « Les mouvements végans représentent un faible pourcentage de la population. Quand on voit le pouvoir qu’on leur donne, le temps de parole qu’ils ont dans les médias, ce n’est pas normal. Ça m’inquiète pour l’avenir ».
Les agriculteurs inquiets de leur perte d’influence politique
En zone céréalière, c’est surtout le sujet des phytos qui dégrade les relations de voisinage. « On nous lance des cailloux, des cannettes. On se met en face de votre pulvérisateur, cela m’est arrivé il y a deux ans », raconte Christophe Lerebour, céréalier à Gometz-la-Ville (Essonne). « Les ZNT, je n’ai même pas envie de calculer », lance-t-il, en référence au projet d’arrêté sur les zones de non-traitement. Le gouvernement a indiqué qu’il publiera son texte avant la fin de l’année. Mais de nombreux maires, souvent de communes rurales, ont déjà pris leurs propres arrêtés anti-phytos.
Le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) avait ainsi proposé d’interdire les pesticides dans un rayon de 150 m des habitations, alors que l’Anses recommande des ZNT de 5 à 10 m selon les cultures. Une décision finalement retoquée, mais qui a ouvert une brèche politique. « On arrive à la veille des élections municipales. Tout le monde est arc-bouté sur les 150 mètres ; tous les maires vont mettre ça dans leur programme », craint un autre céréalier rencontré par Agra Presse en Essonne. « J’ai une parcelle qui fait 300 mètres de large ; avec les ZNT, elle disparaissait », raconte encore un jeune cultivateur de 21 ans, récemment installé.
Pour Hervé de Viron, cette polémique autour des ZNT a « mis le feu aux poudres ». « Il y avait déjà eu la signature du Ceta, celle probable du Mercosur, les intrusions dans les élevages… ». Au-delà du débat sur la largeur des zones non traitées, les agriculteurs semblent s’inquiéter de leur perte d’influence politique. « Le monde politique est trop loin de chez nous, estime Michel, exploitant à la retraite dans le canton de Conlie (Sarthe). Les politiques n’ont pas assez pris conscience de la gravité de la situation. Ils s’imaginent que si on ne produit pas notre alimentation en France, il suffira de l’importer car il y a de la nourriture de qualité partout. Mais ce n’est pas vrai. ». « On a l’impression de ne pas être écoutés, il y a un esprit de fatalisme », renchérit Fabien Denis, jeune éleveur installé en 2011 près de Fresnay-sur-Sarthe.
« La montée en gamme, on l’a faite »
Du point de vue économique pourtant, « pour la majorité, ce n’est pas le marasme aujourd’hui », reconnaît Michel. On est loin du coup de force de 2015, quand les syndicats agricoles avaient occupé la place de la Nation en pleine crise du lait. « Il ne faut pas se leurrer, on n’a pas des prix qui nous permettent de réinvestir dans nos élevages », tempère Émeric. Avec « un prix de base à 330 € les 1 000 litres », il manque d’après lui « 30 à 40 € pour vivre de notre métier et investir ».
Pour nombre d’agriculteurs rencontrés, les mesures issues des EGA n’ont pas encore produit leurs effets espérés sur le revenu. « Le gouvernement n’est pas allé au bout, dénonce Fabien Denis. Il n’a pas le courage de faire des réformes et de s’opposer aux énormes groupes agro-industriels et aux GMS ». « La montée en gamme, on l’a faite », estime celui qui est aussi président régional des JA. « Le gouvernement nous rajoute des contraintes qui, soi-disant, vont tirer notre agriculture vers le haut et, parallèlement, est prêt à signer des accords commerciaux avec l’Amérique du Nord et du Sud, qui n’ont pas les mêmes standards de production que nous ».
Accords de libre-échange, revenu agricole ou dénigrement des pratiques agricoles : pour tous ces sujets, les syndicalistes agricoles se tournent vers les pouvoirs publics. « Ce qu’on aimerait, c’est que l’État affiche clairement son soutien », lance Hervé de Viron. Pour la FNSEA et les JA, la journée du 8 octobre se voulait un « premier avertissement au gouvernement ». Rendez-vous est déjà donné le 22 octobre pour une nouvelle mobilisation.
« Déjà qu’on ne gagne pas notre croûte, et en plus on nous casse du sucre sur le dos tout le temps ! », résume cet agriculteur rencontré lors d’une opération escargot au Mans. Ce 8 octobre, ils étaient une petite cinquantaine à s’être rassemblés, sous la pluie, au rond-point de l’Océane, un point d’accès stratégique vers le chef-lieu sarthois. « Il y a un sacré manque de reconnaissance envers les agriculteurs », déplore Quentin, jeune salarié en élevage laitier à Domfront-en-Champagne. « Ce qui revenait tous les jours quand je croisais des voisins aux ensilages, c’était les antispécistes », constate Hervé de Viron, vice-président des JA 72. D’après cet éleveur laitier, « l’ambiance est à l’énervement, tout le monde en a assez de voir tous les matins un nouveau reportage à charge sur l’agriculture ».
Alors que les intrusions dans les élevages se sont multipliées ces derniers mois, un nouveau palier a été franchi à la mi-septembre, avec l’incendie de trois poulaillers dans l’Orne. Producteur laitier installé à une dizaine de kilomètres du Mans, Émeric n’hésite pas à parler de « discriminations » : « Les mouvements végans représentent un faible pourcentage de la population. Quand on voit le pouvoir qu’on leur donne, le temps de parole qu’ils ont dans les médias, ce n’est pas normal. Ça m’inquiète pour l’avenir ».
Les agriculteurs inquiets de leur perte d’influence politique
En zone céréalière, c’est surtout le sujet des phytos qui dégrade les relations de voisinage. « On nous lance des cailloux, des cannettes. On se met en face de votre pulvérisateur, cela m’est arrivé il y a deux ans », raconte Christophe Lerebour, céréalier à Gometz-la-Ville (Essonne). « Les ZNT, je n’ai même pas envie de calculer », lance-t-il, en référence au projet d’arrêté sur les zones de non-traitement. Le gouvernement a indiqué qu’il publiera son texte avant la fin de l’année. Mais de nombreux maires, souvent de communes rurales, ont déjà pris leurs propres arrêtés anti-phytos.
Le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) avait ainsi proposé d’interdire les pesticides dans un rayon de 150 m des habitations, alors que l’Anses recommande des ZNT de 5 à 10 m selon les cultures. Une décision finalement retoquée, mais qui a ouvert une brèche politique. « On arrive à la veille des élections municipales. Tout le monde est arc-bouté sur les 150 mètres ; tous les maires vont mettre ça dans leur programme », craint un autre céréalier rencontré par Agra Presse en Essonne. « J’ai une parcelle qui fait 300 mètres de large ; avec les ZNT, elle disparaissait », raconte encore un jeune cultivateur de 21 ans, récemment installé.
Pour Hervé de Viron, cette polémique autour des ZNT a « mis le feu aux poudres ». « Il y avait déjà eu la signature du Ceta, celle probable du Mercosur, les intrusions dans les élevages… ». Au-delà du débat sur la largeur des zones non traitées, les agriculteurs semblent s’inquiéter de leur perte d’influence politique. « Le monde politique est trop loin de chez nous, estime Michel, exploitant à la retraite dans le canton de Conlie (Sarthe). Les politiques n’ont pas assez pris conscience de la gravité de la situation. Ils s’imaginent que si on ne produit pas notre alimentation en France, il suffira de l’importer car il y a de la nourriture de qualité partout. Mais ce n’est pas vrai. ». « On a l’impression de ne pas être écoutés, il y a un esprit de fatalisme », renchérit Fabien Denis, jeune éleveur installé en 2011 près de Fresnay-sur-Sarthe.
« La montée en gamme, on l’a faite »
Du point de vue économique pourtant, « pour la majorité, ce n’est pas le marasme aujourd’hui », reconnaît Michel. On est loin du coup de force de 2015, quand les syndicats agricoles avaient occupé la place de la Nation en pleine crise du lait. « Il ne faut pas se leurrer, on n’a pas des prix qui nous permettent de réinvestir dans nos élevages », tempère Émeric. Avec « un prix de base à 330 € les 1 000 litres », il manque d’après lui « 30 à 40 € pour vivre de notre métier et investir ».
Pour nombre d’agriculteurs rencontrés, les mesures issues des EGA n’ont pas encore produit leurs effets espérés sur le revenu. « Le gouvernement n’est pas allé au bout, dénonce Fabien Denis. Il n’a pas le courage de faire des réformes et de s’opposer aux énormes groupes agro-industriels et aux GMS ». « La montée en gamme, on l’a faite », estime celui qui est aussi président régional des JA. « Le gouvernement nous rajoute des contraintes qui, soi-disant, vont tirer notre agriculture vers le haut et, parallèlement, est prêt à signer des accords commerciaux avec l’Amérique du Nord et du Sud, qui n’ont pas les mêmes standards de production que nous ».
Accords de libre-échange, revenu agricole ou dénigrement des pratiques agricoles : pour tous ces sujets, les syndicalistes agricoles se tournent vers les pouvoirs publics. « Ce qu’on aimerait, c’est que l’État affiche clairement son soutien », lance Hervé de Viron. Pour la FNSEA et les JA, la journée du 8 octobre se voulait un « premier avertissement au gouvernement ». Rendez-vous est déjà donné le 22 octobre pour une nouvelle mobilisation.
Focus Poussés par le terrain, les syndicats maintiennent la pression tout l’automne
Après la mobilisation du 8 octobre, la FNSEA et les JA maintiendront la pression tout l’automne : ils ont annoncé un calendrier de mobilisations jusqu’à la mi-novembre. Après une campagne d’étiquetage sur l’origine des aliments, les syndicats aborderont le thème de la restauration à partir. Le 22 octobre, des convois agricoles convergeront vers les préfectures avec le message « Macron, veux-tu encore de nous ? » Le gouvernement disposera d’un « temps de réponse » la semaine du 4 novembre, avant un « temps fort sur l’Europe » organisé par les syndicats, le 15 novembre à Strasbourg. Ces mobilisations étaient prévues de longue date : le 25 juin, la présidente de la FNSEA Christiane Lambert avait annoncé des actions « à la rentrée », notamment contre l’accord avec le Mercosur. Mais la pression du terrain s’est fait sentir avant la date prévue. Le 23 septembre, une vingtaine de FDSEA ont mené leurs propres actions, à l’appel de la FRSEA Grand Bassin Parisien. En première ligne sur le dossier des ZNT, les syndicalistes d’Ile-de-France ont confirmé le rôle moteur qui leur est souvent attribué dans le lancement d’actions syndicales. Pour Hervé de Viron, vice-président des JA de la Sarthe, « le mot d’ordre vient du national. Mais s’il y a un mot d’ordre, c’est bien parce qu’il y a une pression du terrain ».