Quand conjuguer bio et agroforesterie devient difficlie
Après avoir lancé un projet de diversification en agroforesterie, Jean-Marie Fromonot est forcé de constater qu'il va être obligé d'arrêter le bio pour pouvoir survivre.

En 2020, Jean-Marie Fromonot, agriculteur en bio à Vermenton, souhaite se lancer sur de la plantation d'arbres sur son exploitation. Accompagné par le Centre régional de la propriété forestière (CRPF), il souhaite, à travers ce projet d'agroforesterie, « contribuer à l'atténuation et à l'adaptation au changement climatique, ainsi qu'aux énergies renouvelables, favoriser le développement durable et la gestion efficace des ressources naturelles », explique-t-il. La SAS La Loge, représentée par Corinne Moriano, la fille de Jean-Marie Fromonot, est une exploitation céréalière de « 23 ha à Sacy, commune associée à la nouvelle commune de Vermenton dans l'Yonne. Elle est située sur les sols superficiels et filtrants des plateaux calcaires de l'Yonne, et malgré un placage de limons sur certaines des parcelles de l'exploitation, la productivité y est limitée et très impactée par les aléas climatiques récurrents, notamment les sécheresses et les canicules qui se sont succédé ces 10 dernières années », détaille Nadia Baruch, chargée de mission Haie-Agroforesterie CRPF BFC, à l'initiative du lancement du projet. Dans ce contexte, la famille Fromonot a décidé de lancer le projet, en comptant sur les aides apportées par la PAC 2022, concernant l'installation de plants d'arbres et l'aide au maintien des projets de diversification. Cette aide au maintien était « indispensable et était de 160 euros par hectare », confie le retraité. Face à ce constat, Jean-Marie Fromonot a décidé d'implanter 1 800 arbres dont des « noyers communs, poiriers sauvages, alisiers blancs, alisiers torminaux, cormiers, merisiers, chênes sessiles, chênes pubescents et des tilleuls à grandes feuilles », énumère l'ancien agriculteur. Suivi de près par d'autres agriculteurs, Jean-Marie Fromonot devient donc le premier à se lancer, avant d'être rejoint, car « pour les agriculteurs engagés actuellement dans une démarche agroécologique, l'arbre devient un élément incontournable de leur système agronomique. Par ailleurs, réussir une plantation actuellement demande un important investissement personnel, certes financier, mais surtout en temps et suivi régulier des plants, au moins les 10 premières années », explique Nadia Baruch. À cela s'ajoute la difficulté de planter des arbres dans un contexte agricole, à cause de « problèmes de dégâts de gibier qui mangent, frottent, arrachent les plants », constate la spécialiste en agroforesterie. Pour remédier à cette problématique, la SAS La Loge a décidé de « protéger ses arbres du gibier par des gaines de type Mancon Nortène Climatic Agro de 1,5 m minimum », ajoute à son tour Jean-Marie Fromonot.
Une exploitation avant-gardiste vouée à disparaître
Sauf qu'en 2023, tout ne se déroule pas comme prévu… « Pour la PAC 2023, on voulait tous se tourner vers l'environnement, on se disait que c'était porteur, que c'était l'avenir, sauf qu'ils ont décidé de supprimer la mesure d'aide au maintien pour les agriculteurs déjà en bio, même pour ceux ayant un projet d'agroforesterie », ajoute-t-il, déçu. Cette annonce a donc redivisé les cartes. Avant-gardiste, Jean-Marie Fromonot a réalisé de nombreux tests sur son exploitation avant de se tourner vers le bio, afin de « réduire la quantité et le coût des intrants, et d'optimiser le revenu net dégagé sur la ferme », commente Nadia Baruch. Elle poursuit en listant les grosses étapes : « En 1977, il a arrêté le labour pour passer en technique culturale simplifiée et limiter ainsi au maximum le travail du sol. En 1990, il décide d'aller plus loin dans la démarche et de passer au semi-direct sous couvert. Dans les années 2000, il opta pour le travail simplifié du sol, tout en faisant de la production intégrée. C'est en 2008, au vu de l'évolution de ses méthodes de travail et de la diminution de l'utilisation de produits phytosanitaires sur ses cultures, que Monsieur Fromonot décide alors de convertir son exploitation entière en agriculture biologique », énumère-t-elle. Pourtant aujourd'hui, l'ancien agriculteur baisse les bras. « Réaliser de la diversification en agroforesterie, sans aide au maintien, ça devient impossible. Ce n'est pas l'installation de plants qui nous coûte le plus, mais le maintien de plants. Cela peut se compter en temps investi, en coût financier ou encore en rentabilité, on sait très bien que ce sont des investissements sur le long terme, mais pour l'instant on ne voit toujours pas les effets positifs », confie-t-il. « Dans une dizaine d'années, les arbres, implantés tout autour de la ferme, permettront de nous protéger de l'augmentation de la température due au réchauffement climatique, certes, mais c'est peut-être la seule chose positive », ajoute-t-il défaitiste. Aujourd'hui, il compte arrêter tout ce pour quoi il s'est battu. « Nous sommes en déficit depuis plusieurs années, notamment à cause du manque d'aides. À la fin de l'année, nous pensons sérieusement à revenir en conventionnel sur nos cultures, sinon nous ne pourrons pas tenir le choc », conclut-il, en se baladant sur ses parcelles de diversification.