Accès au contenu
Conférence

De l’intérêt de bien nourrir nos militaires

Parmi la trentaine de conférences qui ont rythmé le Forum de France de l’alimentation qui s’est déroulé du 9 au 14 septembre dernier, une d’elles, organisée par le Centre d’études stratégiques de la Marine (lire encadré) a porté sur le thème « Alimentation dans nos armées ».

Par Christophe Soulard, Actuagri
De l’intérêt de bien nourrir nos militaires
Actuagri/CS
Cette conférence a permis de souligner le rôle de protection que joue la Marine nationale dans la protection des convois de ravitaillement pour les populations touchées par la guerre.

« Le 29 juin 1694, pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg qui opposait le Royaume de France aux Provinces Unies, sept navires français (dont cinq frégates) conduits par Jean Bart et forts de 222 canons se sont opposés à huit bâtiments ennemis dont l’objectif était clairement d’affamer la France. En effet, le contre-amiral Hidde Sjoerds de Vries avait reçu l’ordre du prince d'Orange d'intercepter tout navire chargé de blé se rendant en France. L’affrontement a lieu au large de l'île néerlandaise du Texel. Nous avons gagné la bataille du Texel et le contre-amiral de Vries y a perdu la vie », relate le contre-amiral Laurent Bechler, directeur du Centre d’études stratégiques de la marine. Il entend souligner ici le rôle de protection que joue la Marine nationale dans la protection des convois de ravitaillement pour les populations touchées par la guerre. Cette bataille a d’ailleurs eu une incidence notable sur le prix du blé qui, après avoir accosté en France, a fait chuter les prix de 30 deniers à 3 deniers le boisseau(1). Plus près de nous, en 2008, lors de l’opération Atalante, la Marine française a contribué à sécuriser l’acheminement de 2,35 millions de tonnes de blé au large de la corne de l’Afrique en particulier au profit du Programme alimentaire mondial.

Convivialité du repas et moral des troupes

L’approvisionnement reste notre cœur de métier a renchéri le général Philippe Pourqué, directeur de l’Économat des armées (EDA). Cet établissement public industriel et commercial a en charge le soutien opérationnel de la vie courante des militaires, notamment celle d’approvisionner 80 % des restaurants des armées et répondre « à la grande diversité des besoins ». « En effet, selon que vous êtes légionnaire, sous-marinier, en forêt équatoriale, en chalet de montagne, en instruction, en casernement ou en opérations extérieures, vos besoins caloriques sont différents et l’alimentation diffère », explique-t-il. La médecin chef des services (générale) Alexandra Malgoyre, de l’Institut bio médical des armées insiste sur l’importance du rôle d’éducation à l’alimentation qui est aussi conditionné par le milieu d’emploi. Elle cite l’exemple de ces militaires partis en raid au Groenland et devant, en autonomie complète, absorber 5 000 kcal par jour en deux repas : un le matin et l’autre le soir. « C’est tout un travail de recherche qui a été mené, car il faut que l’alimentation reste pratique et accessible. Si une barre énergétique par -30 °C devient dure, elle ne sera pas consommée et cette absence de calories pourra influer sur la santé du soldat ». Pour la générale, professeure à l’École du Val-de-Grâce, le repas revêt un aspect psychologique, quelles que soient les conditions : « Il faut qu’il y ait une dimension plaisir (…) On s’habitue à ne pas avoir faim, mais le partage du repas reste un moment très important. La convivialité du repas est bon pour le moral des troupes », insiste-t-elle.

Loi Égalim

L’EDA participe aussi au rayonnement de la France en approvisionnant les grandes tables : celle des généraux, des attachés de défense avec deux impératifs stricts : « il ne peut y avoir aucune rupture d’approvisionnement et la sécurité sanitaire doit être sans défaut », souligne-t-il précisant qu’à l’inverse des autres restaurants, l’EDA dispose d’au moins trois semaines de stocks stratégiques. L’EDA s’approvisionne auprès de très nombreuses industries agroalimentaires françaises. « Nous nous soumettons aussi aux obligations de la loi Égalim et dans ce domaine, nous sommes, je pense les meilleurs, avec un taux de satisfaction autour de 42 % à 45 % quand la loi exige 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques ». Après s’être approvisionné auprès de l’EDA, le service du commissariat des armées (SCA) délivre plus de 43 millions de repas par an dans environ 350 restaurants militaires « qui fonctionnent 7/7 jours matin, midi et soir, en tout temps et tous lieux », certifie le général Olivier Goudard directeur Emplois et Activités à la Direction centrale du commissariat des armées.

Excellence gastronomique

En bout de chaîne, les cuisiniers s’adaptent, surtout quand l’espace est exigu dans un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) et même sur un navire comme le porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle. « Quand nous partons 90 jours en mission, il n’est pas question de faire surface. Nous travaillons par quatorzaines, aussi bien en congelé qu’en sec. Pour l’espace, nous faisons du “Tetris”. Nous avons notre boulangerie à bord nous rythmons le quotidien des sous-mariniers en essayant de casser la routine », explique le Premier-maître C.(2), cuisinier sur SNLE. Tous les menus ont été écrits avant l’embarquement et validés par une autorité médicale. La problématique est semblable sur le Charles-de-Gaulle avec cette spécificité que le navire fonctionne 24/24 h. « C’est un bateau mais aussi un aéroport et un état-major embarqué, soit environ 1 900 personnels à bord, et donc des services différents, en fonction des relèves, des quarts etc. Le bateau dispose de six salles de restauration auxquelles s’ajoute le carré du Pacha(3) », explique le lieutenant de vaisseau (capitaine) Nicolas(2), chef du service « restaurant » sur le Charles-de-Gaulle. Quand le Pacha reçoit des autorités (ministres, ambassadeurs…), les ingrédients sont quasiment les mêmes que les 1 900 autres personnes à bord « mais ils font l’objet d’un soin plus particulier », ajoute-t-il. Naturellement, sans les agriculteurs français, sans les industriels, sans logistique et sans les cuisiniers, cette excellence gastronomique ne serait pas au rendez-vous. Même dans les conditions extrêmes, la France agricole et culinaire reste au top, et l’une des meilleures au monde. La preuve : sur les théâtres d’opérations, la ration de combat individuelle réchauffable (RICR) française s’échange contre deux, voire trois autres rations étrangères !

Le CESM en bref

Le CESM : Héritier de l’École supérieure de la Marine, qui va fêter ses 400 ans en 2026, le Centre d'études stratégiques de la Marine (CESM) est un lieu d'échanges et de réflexion. « Il contribue à une meilleure compréhension et diffusion des grands enjeux maritimes et navals. S'appuyant sur les liens tissés avec la société civile, cercles de réflexions, universités, réservistes, il participe à l'ouverture et à la réflexion stratégique de la Marine nationale au travers d'événements et de publications ».

(1) Un boisseau équivaut à 12,695 litres. Un denier vaut 1/240e de livre et une livre de 1 684 équivaut à environ 22,5 € de 2025. Le boisseau de 3 deniers équivaut donc à environ 0,28 euro.
(2) Le nom a été volontairement anonymisé.
(3) Surnom donné au commandant d’un navire