Génétique
Comment la crise sanitaire handicape l’amélioration génétique
Élément très important de l’élevage, l’amélioration génétique se bat au quotidien pour éviter la perte de précieuses données, en raison des contraintes du confinement. Tour d’horizon en Bourgogne Franche-Comté avec des bovins viande, lait, et des ovins.

<p>Retrouvez en podcast l'interview de Sébastien Cluzel et Nicolas Michaud</p>
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Difficile de composer facilement avec des règles drastiques de confinement pour une activité qui repose en très grande partie sur la visite régulière des élevages, la réalisation de nombreux contrôles et la collecte de données. C’est le cas de l’amélioration génétique. Dans un communiqué du 7 avril, France Génétique Élevage (FGE) s’inquiétait des répercussions du confinement, à moyen terme, sur les programmes de sélection. L’organisme constatait, dès la mi-mars, des niveaux de collecte de données en baisse de 30 à 70 %. Il travaille aujourd’hui sur plusieurs pistes afin d’adapter les calculs de valeurs génétiques de fin de printemps, automne et de l’hiver 2020. Sur notre région, qu’en est-il ? Le Herd-book charolais (HBC) est un bon poste d’observation. Son président depuis septembre 2019, Sébastien Cluzel, éleveur dans le Puy-de-Dôme, dresse un état de la situation : « Notre service est suspendu jusqu’à la fin du confinement. Nos techniciens ne vont plus dans les fermes. Quelques personnes en télétravail continuent de tenir leurs dossiers à jour. C’est compliqué pour la collecte des données même s’il faut savoir que cette période de l’année est traditionnellement marquée par une activité moins intense. Nous ne sommes pas en période de certification. Le pointage de génisses se trouve reporté à cause du contexte. On va surtout devoir gérer ce report d’activité. On espère que ce confinement va durer le moins longtemps possible. Le vrai problème qui se pose, c’est sur la collecte des poids et sur les pointages des bovins croissance, autant de données qui comptent pour le progrès génétique de demain. Pour les veaux d’automne pour lesquels il n’est pas possible d’obtenir un poids de 110 jours tout de suite en raison de l’arrêt des pesées, on a pris une décision au niveau de Charolais France, en concertation avec France conseil élevage (FCEL) : que l’on puisse prendre le poids 120 jours dans l’indexation charolaise. On a réaménagé les protocoles de pesée et de pointage de manière à ce que les éleveurs subissent le moins de conséquences possibles. On est également en train de voir si on peut génotyper certains animaux, mais pour cela, il faut pouvoir prélever chez nos éleveurs ce qui sous-entend des prises de précautions pour nos personnels que nous ne sommes pas pour l’instant capables d’instaurer. Nous n’avons ni masques, ni gel hydroalcoolique, d’autres secteurs sont prioritaires sur ces points et c’est bien normal ».
Revoir les protocoles ?
Le président du HBC considère néanmoins que la situation actuelle doit conduire à une réflexion de fond : « Elle doit nous amener, au niveau de Charolais France et du HBC à réfléchir sur la rigidité des protocoles actuels de collecte de données. Ils n’ont plus à prouver leur efficacité. Ils fonctionnent, c’est un fait, mais le contexte actuel met aussi en évidence leur lourdeur et leur rigidité. Cela implique des obligations d’adaptation mais je pense qu’une fois que nous serons revenus à la normale, il faudra tirer des enseignements de ces adaptations, et peut-être s’en servir pour faire évoluer des protocoles qui ont été définis dans les années quatre-vingt-dix. On a un peu évolué vers des pesées éleveurs en présence de techniciens, avec, parfois, quatre pesées par an pour tous les animaux : ça, aujourd’hui, c’est l’exemple type de lourdeurs et de coûts que ne peuvent plus supporter les éleveurs et ce, d’autant plus que l’objectif du retour à la normale s’accompagne d’une absence totale de visibilité sur ce que va être le marché de la viande. Il faudra qu’on tire des enseignements de cette crise pour faire évoluer nos protocoles d’amélioration génétique, les rendre moins lourds, plus agiles et capables de s’adapter à des situations anormales ».
La question des bovins croissance
Toutefois, jusqu’à quand peut-on considérer que la perte de données actuellement subie ne constitue pas un fossé impossible à combler, et donc, un vrai handicap pour l’amélioration génétique en race charolaise ? « Au HBC, précise Sébastien Cluzel, nous sommes en charge du pointage des animaux adultes : les génisses à partir de 30 mois et après vêlage. Là-dessus, nous avons une certaine souplesse qui fait que nous allons pouvoir reporter la collecte, mais si ce report dépasse deux mois cela va nous poser des problèmes de surcharge d’activité. Le plus problématique, c’est sur les bovins croissance et la question des pesées des veaux, comme je vous l’expliquais. Après un mois d’inactivité, nous avons des Poids âge type (PAT) qui vont sauter et qui ne serons pas pris en compte. C’est pourquoi nous avons vu avec FCEL comment nous pouvions adapter au plus vite et de manière transitoire le protocole pour faire en sorte que nous perdions le moins de PAT possibles, tant que l’indexation continue à avoir son effet. À court terme, la crise actuelle n’a pas bouleversé notre quotidien en tant qu’éleveurs, on fait toujours notre boulot mais nous risquons de payer les pots cassés à plus long terme, face à une désorganisation économique totale, nationale et internationale. Quelles consommations aurons-nous après la crise ? Comment seront valorisés nos produits ? C’est l’inconnue, d’autant plus qu’on attendait une consommation de viande française un peu plus importante du fait de l’arrêt de la Restauration hors domicile (RHD) et on s’aperçoit que les cours sont à la baisse ce qui est incompréhensible. La situation est tellement inédite qu’on n’a pas beaucoup de réponses ». Au HBC, c’est donc pour l’instant des questions d’organisation du travail dans le futur proche qui s’imposent, comme le confirme Aude Torrent, sa directrice technique : « Nos collectes de pointage sont repoussées à plus tard. Elles nous permettent d’estimer différents points sur des animaux adultes : le bassin, la rectitude du dos, les aplombs, la longueur ou la largeur des culottes… Ces données nous permettent de qualifier les animaux. Le fait qu’on ne fasse que du pointage d’adultes a quand même un avantage dans les circonstances actuelles : la donnée est moins impactée que dans le cas d’animaux jeunes pour lesquels on doit réaliser des pointages à des étapes bien précises de la croissance. Après la crise, nous aurons plus de travail parce qu’il y aura plus d’animaux à voir et que nous aurons du retard à rattraper, mais cela n’impactera pas les données derrière. Notre activité d’inscription des animaux au HBC est également reportée pour l’instant ».
L’équilibre fragile du contrôle laitier
L’amélioration génétique doit faire face à d’autres problématiques dans le cas d’élevages de vaches laitières. Nicolas Michaud, éleveur de prim’holstein en Côte-d’Or, président d’Alysé et impliqué dans la charte de l’Organisme de sélection (OS) Gènes Diffusion y est directement confronté : « C’est un problème sur la partie échange de données. Nous avons stoppé le contrôle laitier et nous n’avons plus de données sur les performances laitières qui remontent dans les bases de collecte génétique. Pour l’instant, nous n’avons qu’un mois de retard mais, en temps normal, nous devons avoir 90 jours entre deux contrôles, pour ne pas perdre l’agrément. Au regard de l’évolution de la situation, on risque de se retrouver à la limite de la perte de l’agrément. Avec les OS et France conseil élevage, nous regardons actuellement comment faire pour mettre des coefficients permettant de réindexer nos animaux ». Les relevés pour les indexations interviennent tous les mois : « nous réalisons 11 contrôles sur une année. Ils servent à vérifier la qualité du lait, sa quantité. Nous avons également des personnes qui viennent pointer les vaches une à deux fois par an. Ils regardent la qualité de la mamelle, son encombrement sur la vache, les aplombs (une donnée très importante qui conditionne le rendement laitier de l’animal), le caractère de la vache, la morphologie du bassin… Cet aspect-là peut se décaler et être rattrapé par la suite, en revanche, les contrôles mensuels qui n’auront pas été effectués seront perdus ». Pour un éleveur tel que Nicolas Michaud, fortement impliqué dans l’amélioration génétique, (son exploitation s’est inscrite dans la charte Gènes Diffusion en 2012) quelles peuvent être les conséquences de ces pertes de données ? « Cela peut poser des problèmes pour l’indexation de mère à taureau. Si nous avons des mâles qui naissent de mères à taureau, nous ne disposerons pas d’assez d’éléments pour pointer la mère et pour valider que le taureau soit sélectionné afin de devenir un futur reproducteur. Notre exploitation fait partie de celles, en Bourgogne Franche-Comté, qui participent à la sélection de mères à taureau. Sur la centaine de vaches que nous avons, une vingtaine est issue du schéma de sélection dans le but d’améliorer la génétique ». Une des prim’holstein de Nicolas Michaud est aujourd’hui classée parmi les vingt meilleures, génétiquement, au classement national.
L’indispensable adaptation
L’élevage ovin n’est pas non plus épargné. Aline Bonnot est directrice de l’Organisme de sélection (OS) Mouton Charollais. Actuellement, la majeure partie de son temps est consacrée à trouver des solutions d’adaptation face aux conséquences du confinement, pour les 110 adhérents répartis sur une trentaine de départements français : « la première conséquence porte sur le contrôle de performances, réalisé par une trentaine de prestataires sur toute la France. En tant que race bouchère, nous demandons aux éleveurs de peser les agneaux, autour de 30 et de 70 jours, mais, en raison du nombre de prestataires, il y a eu des élevages où le peseur a pu continuer de passer en appliquant les consignes de sécurités, et d’autres où les techniciens n’ont pas pu passer. Cette situation nous a conduits à assouplir un peu notre protocole : nous avons autorisé les pesées par l’éleveur. Aujourd’hui au moins 80 % des éleveurs ont donc procédé aux pesées par eux-mêmes. C’était indispensable pour maintenir les performances parce qu’on ne peut pas se permettre d’attendre si on veut traiter et analyser le poids de l’agneau. Cette étape est la base de tout pour l’amélioration génétique chez nous ». L’OS Moutons Charollais est aussi confronté à un autre écueil actuellement, car, en tant qu’OS qui cherche à améliorer les qualités bouchères, il organise chaque année deux stations d’évaluation de contrôle individuel à Palinges, en Saône-et-Loire. « La rentrée pour la première de ces deux stations, précise la directrice, aurait dû se faire le 9 avril, mais fin mars, nous avions décidé de l’annuler. Néanmoins, nous avons tâté le terrain auprès de nos éleveurs afin de voir qui serait motivé si, malgré tout, nous parvenions à organiser quelque chose. Finalement, le 10 avril, nous avons pris la décision de maintenir une entrée de station pour le 20 avril et pour éviter tout problème, nous sommes en train d’organiser des co-transports. Habituellement sur ces stations, nous avons entre 40 et 50 éleveurs qui amènent leurs animaux, et là nous faisons en sorte qu’il y ait des camions pour regrouper les béliers de chaque région et qu’il n’y ait au final que 4 ou 5 chauffeurs qui devront se déplacer jusqu’à la station de Palinges. Nous avons donné à chaque élevage un quota d’animaux à apporter, ce qui nous évitera de devoir nous-même faire le tri à l’arrivée, là encore pour préserver des conditions de sécurité sanitaire pour les personnes mobilisées. En temps normal, nous recevons 150 agneaux et nous sommes une dizaine à les trier pour en sélectionner 70. Certes, nos protocoles sont un peu décalés, mais l’Institut de l’élevage, qui nous suit, a validé le fait qu’en rapport avec le contexte, nous devions faire preuve d’adaptation ». S’adapter est en effet indispensable pour ne pas gâcher une année au cours de laquelle de nombreux éleveurs auront procédé à des accouplements, via l’insémination, entre les meilleurs béliers et les meilleures brebis. Il faut préserver le fruit de ce travail. « On est aussi inquiets, poursuit Aline Bonnot, à propos de la diffusion de la génétique. Nous subissons les problèmes qui touchent plus largement toute la filière viande : il y a eu les difficultés très récentes d’écoulement des agneaux de Pâques, mais, plus globalement, on craint que la conjoncture et le moral des éleveurs fassent qu’ils achèteront sans doute moins de béliers cette année. Moins de diffusion de génétique entraîne forcément des conséquences sur la productivité des élevages ». Des foires favorisant ces ventes étaient justement programmées au printemps, notamment celle de Bellac, en Haute-Vienne, mais elle a été annulée, et elle n’est pas la seule dans ce cas. Face à cela, l’OS Mouton Charollais a recensé auprès de tous ses éleveurs le nombre de béliers qui restaient à vendre, et a réalisé une carte de France diffusée sur son site internet et sur Facebook afin de faire connaître les béliers à vendre à ceux qui souhaiteraient en acquérir. Il faut ensuite contacter l’OS pour obtenir les adresses des éleveurs vendeurs. Le commerce international n’est pas non plus épargné : Aline Bonnot précise que des acheteurs hongrois et espagnols devaient venir début juin. Pour l’heure, pouvoir les accueillir demeure très douteux. Néanmoins, l’OS Mouton Charollais espère toujours pouvoir organiser son grand concours national, programmé pour les 6 et 7 août à Charolles.
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Difficile de composer facilement avec des règles drastiques de confinement pour une activité qui repose en très grande partie sur la visite régulière des élevages, la réalisation de nombreux contrôles et la collecte de données. C’est le cas de l’amélioration génétique. Dans un communiqué du 7 avril, France Génétique Élevage (FGE) s’inquiétait des répercussions du confinement, à moyen terme, sur les programmes de sélection. L’organisme constatait, dès la mi-mars, des niveaux de collecte de données en baisse de 30 à 70 %. Il travaille aujourd’hui sur plusieurs pistes afin d’adapter les calculs de valeurs génétiques de fin de printemps, automne et de l’hiver 2020. Sur notre région, qu’en est-il ? Le Herd-book charolais (HBC) est un bon poste d’observation. Son président depuis septembre 2019, Sébastien Cluzel, éleveur dans le Puy-de-Dôme, dresse un état de la situation : « Notre service est suspendu jusqu’à la fin du confinement. Nos techniciens ne vont plus dans les fermes. Quelques personnes en télétravail continuent de tenir leurs dossiers à jour. C’est compliqué pour la collecte des données même s’il faut savoir que cette période de l’année est traditionnellement marquée par une activité moins intense. Nous ne sommes pas en période de certification. Le pointage de génisses se trouve reporté à cause du contexte. On va surtout devoir gérer ce report d’activité. On espère que ce confinement va durer le moins longtemps possible. Le vrai problème qui se pose, c’est sur la collecte des poids et sur les pointages des bovins croissance, autant de données qui comptent pour le progrès génétique de demain. Pour les veaux d’automne pour lesquels il n’est pas possible d’obtenir un poids de 110 jours tout de suite en raison de l’arrêt des pesées, on a pris une décision au niveau de Charolais France, en concertation avec France conseil élevage (FCEL) : que l’on puisse prendre le poids 120 jours dans l’indexation charolaise. On a réaménagé les protocoles de pesée et de pointage de manière à ce que les éleveurs subissent le moins de conséquences possibles. On est également en train de voir si on peut génotyper certains animaux, mais pour cela, il faut pouvoir prélever chez nos éleveurs ce qui sous-entend des prises de précautions pour nos personnels que nous ne sommes pas pour l’instant capables d’instaurer. Nous n’avons ni masques, ni gel hydroalcoolique, d’autres secteurs sont prioritaires sur ces points et c’est bien normal ».
Revoir les protocoles ?
Le président du HBC considère néanmoins que la situation actuelle doit conduire à une réflexion de fond : « Elle doit nous amener, au niveau de Charolais France et du HBC à réfléchir sur la rigidité des protocoles actuels de collecte de données. Ils n’ont plus à prouver leur efficacité. Ils fonctionnent, c’est un fait, mais le contexte actuel met aussi en évidence leur lourdeur et leur rigidité. Cela implique des obligations d’adaptation mais je pense qu’une fois que nous serons revenus à la normale, il faudra tirer des enseignements de ces adaptations, et peut-être s’en servir pour faire évoluer des protocoles qui ont été définis dans les années quatre-vingt-dix. On a un peu évolué vers des pesées éleveurs en présence de techniciens, avec, parfois, quatre pesées par an pour tous les animaux : ça, aujourd’hui, c’est l’exemple type de lourdeurs et de coûts que ne peuvent plus supporter les éleveurs et ce, d’autant plus que l’objectif du retour à la normale s’accompagne d’une absence totale de visibilité sur ce que va être le marché de la viande. Il faudra qu’on tire des enseignements de cette crise pour faire évoluer nos protocoles d’amélioration génétique, les rendre moins lourds, plus agiles et capables de s’adapter à des situations anormales ».
La question des bovins croissance
Toutefois, jusqu’à quand peut-on considérer que la perte de données actuellement subie ne constitue pas un fossé impossible à combler, et donc, un vrai handicap pour l’amélioration génétique en race charolaise ? « Au HBC, précise Sébastien Cluzel, nous sommes en charge du pointage des animaux adultes : les génisses à partir de 30 mois et après vêlage. Là-dessus, nous avons une certaine souplesse qui fait que nous allons pouvoir reporter la collecte, mais si ce report dépasse deux mois cela va nous poser des problèmes de surcharge d’activité. Le plus problématique, c’est sur les bovins croissance et la question des pesées des veaux, comme je vous l’expliquais. Après un mois d’inactivité, nous avons des Poids âge type (PAT) qui vont sauter et qui ne serons pas pris en compte. C’est pourquoi nous avons vu avec FCEL comment nous pouvions adapter au plus vite et de manière transitoire le protocole pour faire en sorte que nous perdions le moins de PAT possibles, tant que l’indexation continue à avoir son effet. À court terme, la crise actuelle n’a pas bouleversé notre quotidien en tant qu’éleveurs, on fait toujours notre boulot mais nous risquons de payer les pots cassés à plus long terme, face à une désorganisation économique totale, nationale et internationale. Quelles consommations aurons-nous après la crise ? Comment seront valorisés nos produits ? C’est l’inconnue, d’autant plus qu’on attendait une consommation de viande française un peu plus importante du fait de l’arrêt de la Restauration hors domicile (RHD) et on s’aperçoit que les cours sont à la baisse ce qui est incompréhensible. La situation est tellement inédite qu’on n’a pas beaucoup de réponses ». Au HBC, c’est donc pour l’instant des questions d’organisation du travail dans le futur proche qui s’imposent, comme le confirme Aude Torrent, sa directrice technique : « Nos collectes de pointage sont repoussées à plus tard. Elles nous permettent d’estimer différents points sur des animaux adultes : le bassin, la rectitude du dos, les aplombs, la longueur ou la largeur des culottes… Ces données nous permettent de qualifier les animaux. Le fait qu’on ne fasse que du pointage d’adultes a quand même un avantage dans les circonstances actuelles : la donnée est moins impactée que dans le cas d’animaux jeunes pour lesquels on doit réaliser des pointages à des étapes bien précises de la croissance. Après la crise, nous aurons plus de travail parce qu’il y aura plus d’animaux à voir et que nous aurons du retard à rattraper, mais cela n’impactera pas les données derrière. Notre activité d’inscription des animaux au HBC est également reportée pour l’instant ».
L’équilibre fragile du contrôle laitier
L’amélioration génétique doit faire face à d’autres problématiques dans le cas d’élevages de vaches laitières. Nicolas Michaud, éleveur de prim’holstein en Côte-d’Or, président d’Alysé et impliqué dans la charte de l’Organisme de sélection (OS) Gènes Diffusion y est directement confronté : « C’est un problème sur la partie échange de données. Nous avons stoppé le contrôle laitier et nous n’avons plus de données sur les performances laitières qui remontent dans les bases de collecte génétique. Pour l’instant, nous n’avons qu’un mois de retard mais, en temps normal, nous devons avoir 90 jours entre deux contrôles, pour ne pas perdre l’agrément. Au regard de l’évolution de la situation, on risque de se retrouver à la limite de la perte de l’agrément. Avec les OS et France conseil élevage, nous regardons actuellement comment faire pour mettre des coefficients permettant de réindexer nos animaux ». Les relevés pour les indexations interviennent tous les mois : « nous réalisons 11 contrôles sur une année. Ils servent à vérifier la qualité du lait, sa quantité. Nous avons également des personnes qui viennent pointer les vaches une à deux fois par an. Ils regardent la qualité de la mamelle, son encombrement sur la vache, les aplombs (une donnée très importante qui conditionne le rendement laitier de l’animal), le caractère de la vache, la morphologie du bassin… Cet aspect-là peut se décaler et être rattrapé par la suite, en revanche, les contrôles mensuels qui n’auront pas été effectués seront perdus ». Pour un éleveur tel que Nicolas Michaud, fortement impliqué dans l’amélioration génétique, (son exploitation s’est inscrite dans la charte Gènes Diffusion en 2012) quelles peuvent être les conséquences de ces pertes de données ? « Cela peut poser des problèmes pour l’indexation de mère à taureau. Si nous avons des mâles qui naissent de mères à taureau, nous ne disposerons pas d’assez d’éléments pour pointer la mère et pour valider que le taureau soit sélectionné afin de devenir un futur reproducteur. Notre exploitation fait partie de celles, en Bourgogne Franche-Comté, qui participent à la sélection de mères à taureau. Sur la centaine de vaches que nous avons, une vingtaine est issue du schéma de sélection dans le but d’améliorer la génétique ». Une des prim’holstein de Nicolas Michaud est aujourd’hui classée parmi les vingt meilleures, génétiquement, au classement national.
L’indispensable adaptation
L’élevage ovin n’est pas non plus épargné. Aline Bonnot est directrice de l’Organisme de sélection (OS) Mouton Charollais. Actuellement, la majeure partie de son temps est consacrée à trouver des solutions d’adaptation face aux conséquences du confinement, pour les 110 adhérents répartis sur une trentaine de départements français : « la première conséquence porte sur le contrôle de performances, réalisé par une trentaine de prestataires sur toute la France. En tant que race bouchère, nous demandons aux éleveurs de peser les agneaux, autour de 30 et de 70 jours, mais, en raison du nombre de prestataires, il y a eu des élevages où le peseur a pu continuer de passer en appliquant les consignes de sécurités, et d’autres où les techniciens n’ont pas pu passer. Cette situation nous a conduits à assouplir un peu notre protocole : nous avons autorisé les pesées par l’éleveur. Aujourd’hui au moins 80 % des éleveurs ont donc procédé aux pesées par eux-mêmes. C’était indispensable pour maintenir les performances parce qu’on ne peut pas se permettre d’attendre si on veut traiter et analyser le poids de l’agneau. Cette étape est la base de tout pour l’amélioration génétique chez nous ». L’OS Moutons Charollais est aussi confronté à un autre écueil actuellement, car, en tant qu’OS qui cherche à améliorer les qualités bouchères, il organise chaque année deux stations d’évaluation de contrôle individuel à Palinges, en Saône-et-Loire. « La rentrée pour la première de ces deux stations, précise la directrice, aurait dû se faire le 9 avril, mais fin mars, nous avions décidé de l’annuler. Néanmoins, nous avons tâté le terrain auprès de nos éleveurs afin de voir qui serait motivé si, malgré tout, nous parvenions à organiser quelque chose. Finalement, le 10 avril, nous avons pris la décision de maintenir une entrée de station pour le 20 avril et pour éviter tout problème, nous sommes en train d’organiser des co-transports. Habituellement sur ces stations, nous avons entre 40 et 50 éleveurs qui amènent leurs animaux, et là nous faisons en sorte qu’il y ait des camions pour regrouper les béliers de chaque région et qu’il n’y ait au final que 4 ou 5 chauffeurs qui devront se déplacer jusqu’à la station de Palinges. Nous avons donné à chaque élevage un quota d’animaux à apporter, ce qui nous évitera de devoir nous-même faire le tri à l’arrivée, là encore pour préserver des conditions de sécurité sanitaire pour les personnes mobilisées. En temps normal, nous recevons 150 agneaux et nous sommes une dizaine à les trier pour en sélectionner 70. Certes, nos protocoles sont un peu décalés, mais l’Institut de l’élevage, qui nous suit, a validé le fait qu’en rapport avec le contexte, nous devions faire preuve d’adaptation ». S’adapter est en effet indispensable pour ne pas gâcher une année au cours de laquelle de nombreux éleveurs auront procédé à des accouplements, via l’insémination, entre les meilleurs béliers et les meilleures brebis. Il faut préserver le fruit de ce travail. « On est aussi inquiets, poursuit Aline Bonnot, à propos de la diffusion de la génétique. Nous subissons les problèmes qui touchent plus largement toute la filière viande : il y a eu les difficultés très récentes d’écoulement des agneaux de Pâques, mais, plus globalement, on craint que la conjoncture et le moral des éleveurs fassent qu’ils achèteront sans doute moins de béliers cette année. Moins de diffusion de génétique entraîne forcément des conséquences sur la productivité des élevages ». Des foires favorisant ces ventes étaient justement programmées au printemps, notamment celle de Bellac, en Haute-Vienne, mais elle a été annulée, et elle n’est pas la seule dans ce cas. Face à cela, l’OS Mouton Charollais a recensé auprès de tous ses éleveurs le nombre de béliers qui restaient à vendre, et a réalisé une carte de France diffusée sur son site internet et sur Facebook afin de faire connaître les béliers à vendre à ceux qui souhaiteraient en acquérir. Il faut ensuite contacter l’OS pour obtenir les adresses des éleveurs vendeurs. Le commerce international n’est pas non plus épargné : Aline Bonnot précise que des acheteurs hongrois et espagnols devaient venir début juin. Pour l’heure, pouvoir les accueillir demeure très douteux. Néanmoins, l’OS Mouton Charollais espère toujours pouvoir organiser son grand concours national, programmé pour les 6 et 7 août à Charolles.
Focus La commercialisation génétique s’attend à un contrecoup
Les problèmes qui se posent à l’amélioration génétique auront aussi des conséquences pour ceux qui s’occupent de commercialisation de cette génétique. Patrick Simon est le directeur commercial de Charolais Expansion : « Nous avions organisé des ventes en ligne au début du mois de mars et sans le savoir, nous avions finalement mis en place un outil adapté au contexte actuel mais tous les éleveurs ne peuvent pas adopter ce genre de solution à la même vitesse. Ceux qui, en ce moment, ont limité dans leurs déplacements, font un peu plus appel à des structures comme la nôtre. On voit bien qu’il y a plus de consultations sur notre site. C’est un bouleversement des habitudes qui consistaient d’abord à aller voir les animaux par soi-même ». Ce professionnel ressent-il l’impact de la difficulté de collectes de données pour les organismes d’amélioration génétique ? « Pour l’instant, on ne le ressent pas, mais je travaille sur des animaux inscrits qui ont besoin d’être pesés, pointés par des inspecteurs qui sont aujourd’hui confinés. Actuellement, mon travail porte sur des animaux qui étaient déjà inscrits avant le confinement, donc, pour l’instant il n’y a pas de problème mais si la situation perdure, j’aurai forcément une perte d’informations ».