Causon l'patouai
Nous avons rencontré le Côte-d'Orien Jean-Luc Debard, fervent défenseur du patois bourguignon.

Il y a quelques jours, nous avons échangé avec des personnes qui parlaient le patois. Ces mots très courants à l'époque : nous ne les avions pas entendus depuis longtemps... Des questions se sont alors posées : le patois se parle t-il encore dans certains secteurs et si oui, à quelles occasions, dans quelles proportions ? Est-il voué à disparaître ? Pour nous répondre, rencontrer Jean-Luc Debard nous a semblé le meilleur choix. Ce Dijonnais de 76 ans est à l'origine de la création de la Maison du patrimoine oral de Bourgogne, dont l'une des missions est faire perpétuer le plus possible cette langue locale. L'ancien directeur régional de l'Irtess (Institut régional supérieur du travail éducatif et social) nous accueilli chez lui, dans sa maison en haut du lac Kir et avec plusieurs verres de kéfir.
Précision d'emblée
Tout d'abord, de préférence, on ne dit pas le patois mais le bourguignon,. Notre interlocuteur insiste bien sur ce point : « Il y a une certaine connotation négative dans le mot patois... À la fin du 19ème voire au début du 20ème siècle, une idée s'est répandue : le patois était du mauvais français... Bien entendu, ce n'est pas le cas. Pour nous, c'est une vraie langue à part entière, au même titre que les autres ». Le français s'est progressivement imposé en langue administrative et politique : « autrement dit, c'était la langue du pouvoir. Dans l'Auxois, nos parents et grand-parents ne parlaient que le bourguignon, jusque dans les années 1960. Certains n'utilisaient le français que quand ils en avaient besoin. Les instituteurs, au début du 20ème siècle, ont fait un peu la guerre au patois, cela a affaibli notre langue, comme toutes leurs homologues des autres régions d'ailleurs... Nos parents nous disaient qu'en parlant patois, nous n'allions pas réussir dans la vie, il fallait parler français. Certains instituteurs n'étaient pas très gentils avec nous, cela n'a pas toujours été facile quand nous étions jeunes... On peut même parler d'humiliations dans certains cas ».
En diminution
Dans nos campagnes, à l'évidence, on parle de moins en moins le bourguignon. Cette langue, aujourd'hui « en grand danger », est malheureusement amenée, un jour ou l'autre, à disparaître, comme toutes les anciennes langues régionales. Jean-Luc Debard s'implique au quotidien dans son association pour retarder le plus possible l'échéance : « nous menons, dans ce cadre, une opération de revitalisation. Nous voulons permettre à toutes celles et à tous ceux qui ont envie de parler bourguignon de le faire. Tous les deuxièmes jeudis de chaque mois depuis 2011, nous organisons une soirée dans un village de l'Auxois. Ces rendez-vous sont intitulés « Les Rabaicheries du Bochot », en référence à un petit col au dessus d'Arconcey. Nous accueillons entre 70 et 100 personnes à chaque fois, avec un noyau de 40 à 50 patoisants qui sont constamment présents depuis 10 ans ! Cela va sans dire : nous ne parlons que le bourguignon ! Un thème est préalablement défini pour alimenter nos conversations. Nous avons aussi un groupe de chant et une petite troupe de théâtre ». Jean-Luc Debard observe que le bourguignon est encore très répandu dans l'Auxois-Morvan : « les plus de 60 ans sont en capacité de le parler, cette langue est encore très présente autour d'Arnay-le-Duc, Liernais, Pouilly, Bligny ou encore Précy. Nous avons la chance d'avoir un potentiel de locuteurs qui représente 30% de la population, ce qui est exceptionnel en comparaison à d'autres langues régionales ».
Travaux en cours
En plus des soirées à thème, des travaux sont entrepris par la Maison du patrimoine oral de Bourgogne : « des conventions d'écriture pour uniformiser l'orthographe du bourguignon sont au programme. Un autre point : nous sommes proches de signer une charte communale avec tous les mairies de l'Auxois, un manifeste formalisera l'importance et notre attachement à notre langue locale. Écrire le nom des communes en français et en bourguignon sur les panneaux d'entrée des villages est un projet en réflexion. Un ou plusieurs textes en bourguignon pourraient être rédigés dans les bulletins municipaux, c'est une autre idée ». L'Éducation nationale permet désormais quelques séquences sur les langues régionales, pour les classes qui le souhaitent : « cela fait des années que nous intervenons dans des écoles, mais désormais, nous le faisons officiellement. Le but n'est pas d'apprendre aux enfants à parler bourguignon, mais juste à les sensibiliser. Samuel Roussel, instituteur à Allerey, accorde quelques instants de son temps chaque semaine à ses élèves sur cette thématique. Une base de travail est aujourd'hui à disposition des instituteurs qui seraient intéressés. Une mallette pédagogique existe, il suffit de nous contacter ».
Une richesse à préserver
Pour Jean-Luc Debard, « une langue n'est pas seulement un outil de communication » : « c'est aussi un art de vivre, une manière d'exister, de rire... C'est aussi avec elle que l'on s'est fabriqué, c'est profond... Je suis très attaché au bourguignon pour plein de raisons. Quand j'étais à l'université, dans le cadre de mes études de droit, j'ai réalisé que parler le bourguignon n'était pas un inconvénient mais plutôt un atout. Une seconde langue apporte une ouverture d'esprit, et la beauté du bourguignon m'a toujours séduit. Cela rappelle en chacun d'entre nous de profonds souvenirs, mon grand-père maternel racontait d'ailleurs beaucoup d'histoires passionnantes en bourguignon dans les bistrots. Ne nous privons pas d'une langue qui est une langue de poésie, de plaisir... Pour moi et tous les membres de notre équipe, le bourguignon est une richesse à préserver ».
Contact : Maison du patrimoine oral de Bourgogne au 03 85 82 77 00 ou elise.mpob@gmail.com. Site internet : languesdebourgogne.com