Accès au contenu
Municipales

«Au revoir Monsieur le maire…»

Rencontre avec Jean-Pierre Prisot agriculteur et maire de la commune de Saint-Privé, en Puisaye, qui après quatre mandats successifs à la tête de la commune a décidé de ne pas se représenter.
Par Propos Recueillis par Dominique Bernerd
«Au revoir Monsieur le maire…»
Jean-Pierre Prisot aura effectué 4 mandats successifs de maire, avant de rendre son écharpe
Dans l’Yonne, on comptait un peu plus de 20 % d’exploitants ou retraités agricoles élus maire à l’issue du scrutin de 2008. Parmi eux, Jean-Pierre Prisot qui, après quatre mandats successifs à la tête de sa commune de Puisaye et un parcours sans faille, a fait le choix de ne pas se représenter et de se consacrer désormais à part entière à son métier d’éleveur laitier et à sa famille :
[G]- TdB : Comment décide-t-on un jour de devenir maire de sa commune ?
Jean-Pierre Prisot:[g] [I]«C’est un peu pour perpétuer la tradition familiale. Papa était maire depuis 1947 quand il est décédé subitement. J’avais alors 18 ans et venais de m’associer avec lui en Gaec. C’est en sa mémoire que je suis rentré pour la première fois au conseil municipal, Roger Letellier prenant alors sa succession, un peu dans l’urgence. Jusqu’à sa disparition en 1991, dans un accident dramatique. Remplacé à son tour par un conseiller qui était alors retraité, jusqu’à ce qu’il remette sa démission deux ans plus tard, face au poids de la charge. En mémoire de papa, je ne pouvais plus refuser et c’est comme ça que j’ai été élu maire. Mais en plus de mes vaches, j’étais aussi président de la Cuma de Saint-Privé et président de la fédération départementale des Cuma, alors on a tout de suite mis en place une organisation, avec pas moins de trois adjoints pour m’épauler, tous agriculteurs. Sans que cela cûte un centime de plus à la commune, puisque d’un commun accord, nous avons diminué nos indemnités pour en contrepartie, pouvoir multiplier le nombre d’adjoints».[i]
[G]- Est-ce compliqué d’être à la fois maire et exploitant agricole ?[g]
[I]«Ça ne complique pas les choses, c’est certain. On est proche du terrain, des réalités et c’est peut-être d’ailleurs ce qui manquait un peu à mon prédécesseur. Très compétent au niveau administratif, mais un peu dépassé face aux problèmes du quotidien. L’hiver ici, quand une buse se bouche et que l’eau se répand sur la route, je prends ma pelle et vais déboucher ! Avec mon binôme, Jean-Claude Renoux, on s’est sans doute d’ailleurs un peu trop impliqué, devenant dépanneur de tout ! La chaufferie, la maintenance de la station d’épuration pendant les congés des employés communaux, le déneigement l’hiver, le salage… Il faut savoir tout faire soi-même dans une petite commune rurale. Je me souviens de ce 1er janvier 2011, où Jean-Claude est grimpé avec une échelle sur le toit d’une maison bourgeoise dont l’alarme « gueulait » depuis deux jours sans que l’on parvienne à joindre les propriétaires… !».[i]
[G]- Avez-vous vu la fonction de maire changer en vingt ans ?[g]
[I]«Principalement en ce qui concerne la partie administrative, qui n’a cessé d’augmenter. En fait de simplifier, il me semble que l’on complique bien souvent les choses, avec des règles à mettre en place, décidées en haut lieu, parfois difficilement applicables sur le terrain… Quand par exemple, l’administration nous prévient à 22 heures d’un fort coup de vent à venir vers 2 ou 3 heures du matin et qu’on nous demande de faire le nécessaire auprès de nos administrés, on fait quoi ? La responsabilité d’un maire au fil des années est devenue énorme ! Il y a aussi le fait que nombre de personnes aujourd’hui, n’hésitent pas à vous envoyer au tribunal pour la moindre chose : de l’eau qui rentre chez eux après un orage, un conflit familial concernant une sépulture dans un cimetière, un nid de poule en face de chez soi… ! Il y a vingt ans, les gens étaient moins procéduriers».[i]
[G]- Et en ce qui concerne la gestion au quotidien de la commune ?[g]
[I]«Saint-Privé a la particularité de compter 140 résidences secondaires sur son territoire, pour 570 habitants. Et parfois, la cohabitation n’est pas facile, mais on se doit d’être le maire de tout le monde. Expliquer aux uns qu’ils ont acheté une maison au milieu des champs, avec les contraintes que cela suppose, rappeler aux copains agriculteurs que l’épandage du lisier un dimanche après-midi peut bien attendre le lundi matin… Le maire a un rôle pédagogique à jouer de part et d’autre et savoir être médiateur, en quittant sa casquette d’agriculteur, afin de rester neutre».[i]
[G]- Et pour parvenir à concilier métier d’éleveur laitier et charge de maire ?[g]
[I]«J’ai toujours mis un point d’honneur à rester agriculteur, c’est-à-dire traire mes vaches matin et soir. Etre maire et éleveur laitier, c’est prendre trois douches par jour (ndlr : rires), se changer autant de fois dans la journée pour honorer un rendez-vous entre la traite et les soins aux animaux… Mais je crois que les gens ont apprécié que je sois en permanence disponible. En cas d’urgence, on venait me voir à la maison ou au bout du champ selon la saison… Mais je n’aurai jamais pu faire tout ça sans l’aide précieuse de mon épouse et d’ailleurs, le plus souvent, c’est elle qui prenait les appels téléphoniques, la première engueulade, c’était toujours pour elle !».[i]
[G]- Votre plus mauvais souvenir en tant que maire ?[g]
[I]«Sans hésiter, l’accident dramatique du 16 juillet 2009 qui a coûté la vie à deux jeunes scouts, fauchées par une voiture folle. Je revois encore mes collègues agriculteurs assurer la circulation, dans l’attente de l’arrivée des forces de gendarmerie, les corps des gamines toujours dans le fossé, plusieurs heures après l’accident alors que les familles commençaient à arriver, les deux ministres arrivés par hélicoptère … Pas facile non plus pour un maire, de prévenir les familles en cas de décès. Je me souviens notamment de parents, qui travaillaient chacun de leur côté, que j’ai dû convoquer à la mairie, pour leur annoncer la mort de leur fils de vingt ans, brûlé dans sa voiture suite à un accident… Et en plus, c’était des amis !».[i]
[G]- Et les meilleurs ?[g]
[I]«Tous les travaux effectués : les nouveaux locaux de la mairie, la création de l’étang, la rénovation de l’église : 1,5 millions € de travaux ! Nous étions l’une des premières communes à mettre en application le nouveau dispositif nous donnant la maîtrise totale de l’ouvrage, là où avant pour tout ce qui était bâtiment historique, cela relevait de l’Etat. On a même dû faire un appel d’offre dématérialisé, sans que personne à l’époque, ne sache trop comment faire ! Le suivi des travaux, le montage financier… Les mêmes contraintes et obligations que des communes urbaines plus importantes, les services techniques en moins ! J’ai aussi beaucoup aimé le relationnel avec les gens. Aujourd’hui, sachant que je ne me représente pas, certains m’envoient un petit mot, une petite phrase en passant et ça me touche».[i]
[G]- A la veille de refermer la porte un petit pincement au cœur ?[g]
[I]«Non car la décision est collégiale, une partie de l’équipe arrêtant avec moi et elle a été décidée dès le début de mon dernier mandat alors on y était préparé. Et puis cela va me permettre de me consacrer un peu plus à ma famille et à mes petits-enfants, j’ai envie de rattraper le temps perdu !».[i]