Analyse
Choisir entre le vital et le superflu

Berty Robert
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Le cabinet d’expertise comptable côte-d’orien Aucap a invité des clients et partenaires pour assister à une conférence, à distance, avec Sébastien Abis. Ce spécialiste livre une analyse qui affirme ce dont nous n’aurions jamais dû nous détourner : nous avons besoin de l’agriculture.

Choisir entre le vital et le superflu
Sébastien Abis, suivi en visioconférence par les invités du cabinet Aucap de Chevigny-Saint-Sauveur, le 15 mars.

Chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris) mais également dirigeant du club Déméter (qui regroupe des adhérents issus du secteur agricole et agroalimentaire français et européen), Sébastien Abis vient de publier l’ouvrage « Veut-on nourrir le monde ? » (1) Il était l’invité, le 15 mars, d’un événement organisé par le groupement AgirAgri, qui fédère des cabinets d’expertise comptable spécialistes des entreprises agricoles et viticoles. Si l’évènement avait lieu à Paris, il était néanmoins retransmis en visioconférence dans plusieurs cabinets membre d’AgirAgri, dont le cabinet Aucap, à Chevigny-Saint-Sauveur, près de Dijon. Des clients et des partenaires du cabinet ont ainsi pu entendre l’analyse de Sébastien Abis visant à faire prendre conscience du fait que l’agriculture se trouve aujourd’hui au cœur d’une mission inédite : nourrir une population mondiale croissante tout en préservant la nature. Vaste programme pour lequel l’ouvrage « Veut-on nourrir le monde ? » fournit des pistes de réflexion.

Souveraineté alimentaire globale

Sébastien Abis pose clairement le défi démographique qui est devant nous : « On est à 8 milliards d’habitants et on va grimper jusqu’à 11 milliards. La décroissance démographique n’interviendra que vers 2070. Si, pour redescendre de ce toit démographique, on n’a pas de conditions de viabilité sur la planète, ça va être compliqué ». La sécurité alimentaire est au centre de ce défi et c’est pourquoi l’analyste incite à faire la différence, lorsqu’on parle de décarbonation, « entre le carbone lié à l’activité agricole et celui lié au divertissement ». Il appelle de ses vœux une souveraineté alimentaire solidaire et pensée de manière globale. Un paradoxe ? En apparence seulement : « il va falloir lutter contre les micro-souverainetés locales. La souveraineté, c’est comment on combine dans un monde complexe, de manière incessante. Il va falloir apprendre à produire avec peu d’eau et un climat sec et ce sont les autres zones du monde qui vont nous l’apprendre ». Sébastien Abis abordait aussi à cette occasion l’inconscience profonde des sociétés occidentales plutôt riches et tellement habituées à vivre en paix qu’elles en sont venues à considérer que, au même titre que pour les forces armées, l’agriculture n’était plus une priorité, dans des économies tournées vers les services et le numérique, oubliant, de fait, que l’on mange trois fois par jour, et étant prêtes à déléguer à d’autres régions du monde, cette nécessité nourricière. Une aberration de raisonnement face à laquelle nous nous réveillons aujourd’hui avec brutalité, à la lumière du conflit russo-ukrainien et de son caractère déstabilisant sur les marchés agricoles mondiaux. Un réveil difficile ! « On a cru que l’agriculture, c’était fini, comme pour l’industrie. Pendant ce temps-là, une partie du monde qui avait faim a fait du réarmement alimentaire. On va devoir redéfinir ce qui est vital et ce qui est superflu ».

Les « trente glandeuses », c’est fini !

Il va falloir, en agriculture, apprendre à produire de manière stable et soutenable, en faisant preuve de lucidité stratégique, ce qui n’est pas toujours le fort de l’Europe. Ainsi, pour Sébastien Abis, se pose clairement la question du devenir du « green deal » dans le cadre d’une redéfinition agricole globale : « Il ne faut pas se faire d’illusion : les transitions à venir créeront des contraintes. C’est la fin des « trente glandeuses » ! Nous allons entrer dans de nouveaux cycles stratégiques et les économies vont bouger. La nécessité d’une économie de guerre va s’imposer à nous. Le durcissement des conditions qui viennent n’est pas entendu par tous. Il ne faut pas faire excessivement peur, mais il ne faut pas non plus se boucher les oreilles… » Un discours, pas toujours facile à entendre, qui avait le mérite de la franchise.

(1) « Veut-on nourrir le monde ? Franchir l’Everest alimentaire en 2050 », paru aux éditions Armand Colin.