Echanges internationaux
L'accord UE-Mercosur, véritable sujet d'inquiétude agricole et politique

Christophe Soulard
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Le projet d’accord, en gestation depuis plus de vingt ans entre l’Union européenne et le Mercosur, qui fédère le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay pourrait être signé cette année. Syndicats agricoles et élus alertent sur ses effets potentiellement néfastes.

L'accord UE-Mercosur, véritable sujet d'inquiétude agricole et politique
Christiane Lambert, en compagnie de Pascal Lavergne, député de la Gironde, et de Katia Dos Santos Penha, agricultrice brésilienne

La quasi-totalité des groupes parlementaires va cosigner dans les prochains jours la proposition de résolution relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Presque tous puisque le Rassemblement national (RN) n’a pas été invité à le faire « en raison du barrage républicain » mis en place par les députés La France Insoumise (LFI), même si les députés d’extrême-droite semblent plutôt enclins à s’opposer à cet accord de libre-échange. Côté syndicats agricoles, en revanche, tous soutiennent cette proposition de résolution : FNSEA en tête, suivie par la Coordination rurale et la Confédération paysanne. La présidente du syndicat majoritaire, Christiane Lambert, a d’ailleurs salué l’« initiative transpartisane » des parlementaires. Pour elle « l’heure est grave. D’autant plus que ce vieil accord ne correspond plus aux préoccupations d’aujourd’hui ». Les négociations ont commencé en 1999 avant de trouver un premier aboutissement en juin 2019 (lire encadré). Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et les attentes des États, des agriculteurs ou des consommateurs ont changé. À cet accord, se sont greffées de nouvelles contraintes : Green Deal, Farm to Fork, Cop 21, réforme de la PAC, etc.

Crainte d’une accélération du calendrier

Surtout, les députés et les syndicats agricoles craignent une accélération du calendrier. La Commission européenne sous l’impulsion de sa présidente, Ursula Van der Leyen, souhaiterait au mieux rouvrir les négociations au pire aboutir rapidement avec une « signature en l’état ». L’Allemagne aussi envisage d’avancer sur cet accord « viande contre voitures » comme il est surnommé. Deux de ses ministres ont entamé le 12 mars, une visite d’une semaine en Amérique du Sud. Officiellement, le ministre de l’Économie et du Climat, Robert Habeck, et le ministre de l’Agriculture, Cem Özdemir, tous deux écologistes, sont au Brésil et en Colombie, « dans l’espoir d’approfondir la coopération avec ces deux pays ». Une telle visite ne trompe personne et chacun y voit une tentative de contournement de l’accord. L’Union européenne serait tentée de scinder cet accord avec chacun des pays : Brésil, Argentine, Uruguay, etc. « Un découpage qui ferait perdre à l’Europe et à la France toute crédibilité », s’est exclamée Mathilde Dupré, de l’Institut Veblen associé à la démarche d’Interbev et de la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH). En « saucissonnant » cet accord, les parlementaires nationaux de l’UE à 27 n’auraient plus la possibilité de ratifier.

Application de la loi Egalim

Tous les intervenants ont plaidé pour la mise en place des mesures et clauses miroirs, sinon « nous mettrons l’agriculture et l’élevage français et européen en péril », a souligné le député Julien Dive (LR, Aisne) qui plaide comme ses collègues du MoDem, EELV, LFI et PS pour « une meilleure régulation ». Son alter ego, Pascal Lavergne (Renaissance, Gironde) a estimé que la « réciprocité des normes est une question de souveraineté alimentaire et de justice pour nos agriculteurs ». Ces derniers « n’ont pas à être sacrifiés sur l’autel du libre-échange », a-t-il ajouté. Quant à la FNSEA, elle demande l’application de l’article 44 de la loi Egalim qui stipule qu’il est « interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation ». En transposant cet article dans l’accord Mercosur « nous éviterions bien des problèmes », a indiqué François Ruffin. Au-delà de la seule problématique européenne, c’est aussi le sort des peuples autochtones qui est en jeu à travers cet accord. « Il compromet les efforts pour le développement d’une agriculture durable ou bas-carbone », a déclaré Katia Dos Santos Penha, agricultrice, défenseuse des droits de l’homme et représentant la Coordination nationale d’articulation des Quilombolas (CONAQ), une communauté afro-brésilienne d’Amazonie. « Pour qui est fait cet accord ? » s’est-elle interrogée, fustigeant la déforestation de son pays sous l’ère Bolsonaro. Considérant que l’accord actuel n’est pas équitable, le député Dominique Potier (PS, Meurthe-et-Moselle) estime que le combat des peuples autochtones et celui des agriculteurs européens sont les mêmes.