Conjoncture
Machinisme agricole : une année 2023 encore incertaine

Marie-Cécile Seigle-Buyat
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Le marché du machinisme en 2022 a été porté par les prix. Toutefois les délais de livraison qui se sont allongés au fil des mois du fait notamment d’une pénurie de matières premières, d’une hausse des charges et d’une instabilité diplomatique, inquiètent pour 2023. Le point avec les distributeurs et les constructeurs. 

Machinisme agricole : une année 2023 encore incertaine
Avec des délais de livraison atteignant 13 à 14 mois pour l’achat de matériels neufs, certains agriculteurs préfèrent se reporter sur des achats d’occasion. D’autant que les prix du neuf ont flambé.

Dans la filière machinisme, l’année 2022 peut être considérée comme une « bonne année ». En effet, se­lon la dernière note de conjoncture du syndicat national des entreprises de ser­vices et distribution du machinisme agri­cole, d’espaces verts et des métiers spé­cialisés (Sedima) en date du 7 décembre, l’augmentation du chiffre d’affaires pour la distribution de matériels agricoles est estimée entre 8 et 9 % par rapport à 2021. « Cette croissance tient à un bon niveau de la demande depuis le début de l’année, mais également aux hausses de prix que les dis­tributeurs ont été contraints de répercuter pour préserver l’équilibre économique de leurs entreprises », indique le commu­niqué de presse du syndicat. L’enquête du Sedima démontre également que sur les neuf premiers mois de l’année, les prix d’achat des matériels augmentent en moyenne d’au moins 10 % pour la majorité des distributeurs, et dépassent parfois 20 % pour certains matériels. « Il y a, toutefois, beaucoup de variations selon les régions, note Anne Fradier, secrétaire générale du Sedima. Où la sécheresse a sévi, le marché est moins porteur que dans les régions céréalières par exemple ». À noter également que le chiffre d’affaires des pièces en ma­gasin et les prestations de l’atelier ont également contribué au chiffre d’af­faires en 2022 « même si près de 60 % des entreprises sont toujours contraintes de gérer l’allongement des délais d’appro­visionnement des pièces ». Du côté des constructeurs, David Targy, responsable du pôle économique d’Axema, le syn­dicat français des acteurs industriels de la filière des agroéquipements et de l’agroenvironnement, dresse également un bilan plutôt positif de l’année 2022. « Dans l’ensemble, l’année a été très cor­recte, portée par les prix. Les volumes de leur côté se maintiennent », explique-t-il. Sur l’ensemble des neuf premiers mois, le tableau de bord de l’agroéquipement d’Axema fait état d’une activité en hausse de 9,9 % en valeur et en retrait de 1,9 % en volume.

Un ralentissement en 2023 ?

En revanche, les constructeurs comme les distributeurs pointent du doigt les délais de livraison qui ont grevé le mar­ché et impacteront certainement celui de 2023. « Les délais de livraison ont presque doublé. Pour certains matériels, la livraison se situe entre neuf mois et un an. En conséquence, des opportunités de vente sont perdues. Certains renoncent à l’achat ou se rabattent sur l’occasion dont les marchés sont aussi tendus », précise le responsable du pôle économique d’Axe­ma. Au Sedima, le constat est sans appel : « à l’issue du troisième trimestre, près de 90 % des distributeurs sont toujours confrontés à des allongements de leurs délais d’approvisionnement ». Toujours selon le syndicat de la distribution de machinisme agricole, « à mi-octobre, les délais d’approvisionnement annoncés aux distributeurs par leurs fournisseurs allaient de vingt-cinq à quarante semaines selon les matériels ». Une fin d’année in­certaine qui laisse planer des doutes quant à l’évolution de la demande pour l’année prochaine. « Dans un contexte économique global incertain et inflation­niste et malgré ou à cause du dynamisme de l’activité depuis le début de l’année, l’évolution de la demande était à mi-oc­tobre, l’une des principales préoccupations des distributeurs. Certains craignent un ralentissement voire un retournement de l’activité en 2023 », alerte le Sedima. Autre point de vigilance : l’acceptabili­té des hausses des prix des matériels par les clients. « À l’issue du troisième trimestre 2022, le moral des agriculteurs était toujours considéré comme bon pour le marché des grandes cultures et, dans une moindre mesure, pour celui de la vi­tiviniculture », d’après le communiqué. La situation apparaît « moins favorable en polyculture élevage ». Quant aux pers­pectives d’activité des distributeurs, elles semblent « plutôt mitigées » pour le pre­mier semestre 2023 : seule une minorité des sondés envisagent une augmentation de leurs prises de commandes en va­leur de matériels neufs ou d’occasion, quand des « sources de croissance » sont plutôt attendues en atelier ou magasin. Du côté des constructeurs, selon David Targy, « les perspectives s’annoncent assez correctes. Nous sommes sur un marché résilient ».

 « Le marché de l’occasion ne s’est jamais aussi bien porté »
Vincent Chambon, responsable occasion au sein du groupe Chavanel agri à Pont-de-l’Isère (Drôme).
Alternative

« Le marché de l’occasion ne s’est jamais aussi bien porté »

Responsable occasion au sein du groupe Chavanel agri dans la Drôme, Vincent Chambon n’a jamais vu ça : porté par des pénuries et des délais de livraison beaucoup trop longs dans le neuf, le secteur de la seconde main n’a jamais été aussi actif qu’aujourd’hui.

Malgré ses années d’expérience, Vincent Chambon, le responsable occasion au sein du groupe Chavanel Agri à Pont-de-l’Isère (Drôme), fait face à une situation inédite. « Le mar­ché de l’occasion ne s’est jamais aussi bien porté, lâche-t-il. Aujourd’hui, on vend en deux semaines maximum alors que normalement, il fallait compter environ six semaines ». La raison en est très simple : les difficultés que rencontre le marché du neuf génèrent un report d’une partie des achats non négligeable vers le secteur de la seconde main.

En effet, de nombreux fournisseurs de matériels agricoles ont aujourd’hui du mal à répondre aux commandes de leurs clients. Face à des pénuries, les délais de livraison s’allongent. « Les agriculteurs ont toujours des besoins d’achat de tracteurs ou autres engins agricoles. Mais lorsque les fournisseurs leur annoncent des délais de livraison atteignant treize à quatorze mois, certains préfèrent se reporter sur des achats d’occasion. D’autant que les prix du neuf ont flambé. Les tarifs des tracteurs par exemple ont pris environ 30 % en deux ans ». Alors, le marché de l’occasion devient encore plus intéressant d’un point de vue tarif. Et il permet aux acheteurs de repartir rapidement après avec leur matériel. « Et l’époque où l’achat d’une occasion n’offrait que peu de garanties est terminée. Aujourd’hui, sur les machines récentes, nous pouvons offrir des garanties équivalentes à une machine neuve », relève Vincent Chambon. Celles-ci rencontrent un tel succès que les machines qui n’ont que deux ou trois ans d’utilisation et qui sont en très bon état peuvent, en ce moment, être vendues au même prix que ce que leur premier propriétaire avait dépensé à l’époque. Voire parfois, sur les marques ayant le plus de difficultés à livrer dans des délais raisonnables leurs clients, peuvent se rapprocher des prix actuels du neuf, ceux-ci ayant subi la hausse des prix non négligeable de ces derniers mois.

Ce marché des secondes mains récentes, voire très récentes, s’est emballé. Les ventes ont été telle­ment abondantes que le marché de l’occasion se confronte finalement aujourd’hui à un phénomène de tarissement. « La pénurie de matériel neuf entraîne une raréfaction sur le marché de l’occasion, relève ainsi Vincent Chambon. Il y a trois ans, nous avions 35 000 tracteurs sur le marché. Aujourd’hui, il n’en reste que 13 000 ». Alors, les revendeurs ont plus de difficultés à se fournir. Là où il travaillait avant prin­cipalement en région, Vincent Chambon se fournit aujourd’hui à une échelle nationale. Cette situation montre à la fois les forces du marché de l’occasion et ses limites, notamment liées à la dépendance vis-à-vis de celui du neuf. Le responsable occasion de Chavanel Agri reste cependant optimiste, notam­ment parce que « le neuf se vend toujours. On voit notamment que si les immatriculations de tracteurs ont diminué, ce n’est pas de façon extrêmement im­portante ». Par ailleurs, comme plusieurs acteurs le remarquent, l’espoir réside dans le fait que les délais de livraison, qui ont amené de la lenteur sur les marchés du neuf, mais également de l’occasion, se réduisent dans les mois à venir.

ArcelorMittal réduit la voilure
Le site ArcelorMittal de Mardyck, dans le Nord de la France.
Acier

ArcelorMittal réduit la voilure

Depuis le mois de septembre, le groupe ArcelorMittal a adapté sa production d’acier à la de­mande, fragilisée par la hausse des coûts de l’énergie. Mais le groupe a d’autres ambitions, parmi lesquelles la production d’énergies renouve­lables tels que l’éolien, le solaire et des aciers adaptés aux moteurs électriques. Le 2 septembre dernier, le géant de l’aciérie ArcelorMittal avait annoncé baisser sa production d’acier dans certaines usines euro­péennes et de la moitié Nord de la France. Selon la direction de la com­munication du groupe, ces mesures sont toujours en vigueur et auraient été prises « avant tout en raison de la baisse de la demande de nos clients, avec les prix de l’énergie comme facteur aggravant ». L’objectif est d’aligner le niveau de la production sur celui de la demande et de maintenir la compéti­tivité d’ArcelorMittal sur ses marchés. Afin de faire face à cette situation, le groupe sidérurgique a mis en œuvre, dès le mois de septembre, plusieurs moyens d’adaptation. Côté industrie, a notamment été enclenché « le fonc­tionnement d’un haut-fourneau sur le site de Dunkerque pendant la période d’entretien du haut-fourneau n° 3, en complément de l’arrêt du haut-fourneau n° 2, effectif depuis juillet dans le cadre de la décarbonation du site, ainsi que l’arrêt d’une chaîne d’agglomération et de deux lignes de galvanisation et des ralentissements d’activité ».

Ce ralentissement de la production n’empêche pas le mastodonte de se donner un ambitieux objectif : fabri­quer seulement de l’acier « vert » d’ici 2050. « ArcelorMittal est un maillon es­sentiel de la transition énergétique et climatique avec des aciers qui servent les marchés de l’énergie renouvelable éolien et solaire, de la construction de bâtiments à faible impact, de la mo­bilité électrique avec des aciers pour les moteurs électriques et des aciers résistants contribuant à l’allègement des véhicules », indique le service communication du groupe.Selon Édouard Vaquié-Menut, responsable national pour le marché des bâti­ments agricoles au sein d’Arcelor­Mittal construction, la majorité de la demande de son secteur repose, dorénavant, sur la pose de photovol­taïque avec un système d’intégration par fixation.