Énergie
Faire face aux risques de délestages

Berty Robert
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Le secteur agricole n’est pas parvenu à faire valoir auprès du gouvernement son caractère prioritaire afin d’échapper aux risques de délestages électriques annoncés pour janvier. Il reste que si coupures il y a, elles devraient être dosées de manière à ne pas mettre en péril certaines activités agricoles. Et puis le pire n’est jamais sûr : tout dépendra des rigueurs de l’hiver.

Faire face aux risques de délestages
L'agriculture va devoir faire avec les risques de coupures électriques, mais tout dépendra du niveau de rigueur de l'hiver qui arrive. (Crédit Réussir)

Le 7 décembre dernier, en préfecture, à Dijon, avait lieu une réunion destinée à faire le point, avec les représentants du monde agricole, sur les risques de délestages électriques annoncés pour le mois de janvier. Vincent Lavier, président de la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or, y a participé. Le Préfet Franck Robine a précisé, sans surprise, que le secteur agricole ne faisait pas partie des domaines considérés comme prioritaires, lui permettant d’échapper à ces risques de coupures. Dans les fermes de Côte-d’Or et d’ailleurs, une certaine inquiétude se fait donc jour, même s’il ne faut pas exagérer le niveau d’anxiété. « Avant d’en arriver aux délestages, précise Vincent Lavier, d’autres choses seront mises en œuvre. Il sera demandé à certains clients gros consommateurs industriels de basculer sur des groupes autonomes, si jamais on devait se retrouver dans une situation sensible. On nous a également informés du fait qu’il pourrait y avoir des diminutions de tension, ce qui fait toujours gagner un peu d’électricité ».

Un vrai effort de réduction accompli

Les délestages n’apparaissent pas comme totalement inévitables : tout dépendra de la rigueur de l’hiver que nous aurons et, par ailleurs, la population française, dans son ensemble, a plutôt joué le jeu des efforts à accomplir : « Pour qu’il n’y ait pas de délestage, poursuit le président de la Chambre d’agriculture, il faudrait réduire la consommation nationale d’électricité de 10 %, or, les derniers chiffres de consommation globale en France démontrent que cette consommation s’est déjà réduite de 7 % en octobre et 8,3 % en novembre. Nous ne sommes donc pas si loin de l’objectif. Il faut bien sûr se préparer, au cas où. Des variations de température de 1 ou 2° peuvent suffire à faire basculer tout le monde d’un côté ou de l’autre. 1° en moins en hiver, cela se traduit par une augmentation de 2400 MW de la consommation électrique, soit l’équivalent de l’énergie fournie par deux à trois réacteurs nucléaires… » Sur un plan technique, les coupures se feront sur les départs haute tension, là où l’on passe de la haute à la moyenne tension. Il s’agit de « boucles » qui desservent un certain nombre de communes. Il y aura aussi des zones non-délestables (les zones urbaines qui comprennent des hôpitaux, installations prioritaires). À l’échelle de la France, elles représentent 32 % de la population.

Le souvenir de 1999

En revanche, toutes les zones de campagne seront délestables. « Selon ce qu’on nous a expliqué, les coupures de dépasseront jamais deux heures pour un même compteur. Cette période de deux heures permet de préserver la chaîne du froid ». C’est en particulier en pensant aux activités d’élevage que le milieu agricole avait demandé à être considéré comme prioritaire, prenant en compte les problématiques de traite, de conservation du lait, mais aussi d’aération des locaux d’élevage. « Il y a quand même de plus en plus d’élevages qui ont recours à des systèmes techniquement sophistiqués, souligne Vincent Lavier, et pour eux, des coupures constituent un problème important. Un certain nombre d’entre eux sont équipés de groupes électrogènes. De manière générale, beaucoup de paysans disposent de ce type de dispositif. Je conserve le souvenir de la tempête de 1999 qui avait entraîné de nombreuses coupures. On s’était prêté des groupes entre agriculteurs pour se dépanner ». Encore faut-il aujourd’hui disposer d’un groupe électrogène moderne et adapté à des dispositifs technologiques qui supportent mal les variations de tension. Au final, Vincent Lavier ne perd pas de vue que la situation doit être nuancée : « j’ai tendance à penser que si nous n’avons pas un hiver trop rigoureux, on devrait parvenir à passer au travers des menaces. De plus, il y a quand même des bonnes nouvelles, notamment la remise en route de plusieurs réacteurs nucléaires qui avaient été arrêtés pour des travaux de maintenance (Bugey, dans l’Ain, Cattenom, en Lorraine, et Belleville-sur-Loire, dans le Cher). Après, il reste que, politiquement, on a un peu de mal à comprendre que la France en arrive là… Et puis il y a sûrement encore des progrès à faire en matière de maîtrise des consommations, notamment sur certaines enseignes commerçantes lumineuses dans les villes ».

Pour connaître et anticiper les tensions sur le réseau électrique : www.monecowatt.fr

Délestage et dispositifs d'atténuation

Franck Sander est membre du bureau national de la FNSEA et président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGPB). Il revient sur les risques de délestage et les dispositifs qui devraient permettre d’atténuer un peu les hausses de l’énergie : « Toutes productions confondues, les carburants, le gaz et l’électricité ont augmenté de 76 %, 25 % et 7 % en 2022 par rapport à 2021. Sans parler des engrais qui ont fait un bond de 94 %. Concernant les dispositifs gouvernementaux de bouclier tarifaire et d’amortisseur d’électricité, le premier dispositif permettra aux agriculteurs concernés de plafonner les hausses des factures d’électricité à 15 % l’an prochain et pour les autres, ils seront éligibles à l’amortisseur d’électricité. Les exploitations agricoles, qu’elles aient déjà signé un contrat ou qu’elles soient en cours de renouvellement, bénéficieront de ce mécanisme dès lors que le prix du mégawattheure de référence est supérieur à 180 €/Mwh. Cet amortisseur se matérialisera par une aide forfaitaire sur 50 % de la consommation permettant de compenser l’écart entre le prix plancher de 180 €/MWh et le prix du contrat plafonné de 500 €/MWh. Les agriculteurs n’échapperont pas aux délestages comme l’ensemble de la population française. Je crains d’ailleurs qu’ils soient davantage touchés, car les zones rurales seront davantage ciblées que les agglomérations ».

Une éventualité à prendre en compte
Justine Prévotat.

Une éventualité à prendre en compte

Justine Prévotat, éleveuse de chèvres à Boux-sous-Salmaise en Côte-d’Or, accepte de livrer son avis sur le risque de coupures de courant cet hiver. Cette jeune femme de 22 ans, lancée dans un atelier laitier depuis janvier 2021, transforme une partie de son lait, même en fin d’année : « Les chèvres qui ne sont pas pleines à la suite des échographies sont mises en lactations longues, je produis donc toute l’année, même si l’activité est un peu moindre en ce moment. Il est certain que toute coupure de courant serait très problématique pour moi. La première chose à laquelle je pense est ma chambre froide, qui contient plus de 350 fromages en fin de semaine. Cet équipement ne peut pas tolérer la moindre coupure, au risque que la production soit fichue. Pour dire vrai, je n’ai pas encore bien réfléchi aux alternatives que je pourrais mettre en place pour faire face à cette éventualité. Jusqu’à présent, je n’y croyais pas trop ». L’éleveuse de 110 chèvres alpines, poitevines, saanen et lorraines, gérante de la chèvrerie de l’Odysée, a également besoin d’électricité pour sa salle de traite et pour la majeure partie des outils qu’elle utilise pour fabriquer ses fromages. « Beaucoup de choses fonctionnent effectivement à l’électricité. Si les coupures de courant étaient inévitables et qu’il fallait choisir un créneau le moins impactant, ce serait sans doute entre midi et quatorze heures, car je transforme aussi bien en matinée que l’après-midi. Mais cela ne résoudrait pas la problématique de la chambre froide qui, elle, tourne en permanence. J’espère donc que ces coupures n’interviendront pas ».