Cela fait trois mois que Sascha Liechti, 22 ans, est employé à l'EARL de Chouix (Ville-Langy). Si cela peut paraître banal, en y regardant de plus près, il n'en est rien.

S'ouvrir au monde
Catherine Larrivée souligne : « Il était nécessaire que le jeune parle français, afin que le travail puisse se faire. Nous avons une entreprise à faire tourner et nous ne pouvons nous permettre de perdre trop de temps. Bien évidemment nous nous assurions à chaque fois que Sascha comprenait bien ce qu'on lui demandait ».

« Depuis l’an dernier, nous avons – sur l’EARL de Chouix et l’EARL Larrivée (340 ha de cultures) – perdu deux employés » détaille Catherine Larrivée, 54 ans et exploitante de l’EARL de Chouix (110 vêlages de Salers pur sang ainsi que 170 ha de prairies et de cultures) avant d’ajouter : « avec Alex (exploitant de l’EARL Larrivée), mon époux, nous avons tout essayé mais nous n’avons pas trouvé de personnes assez motivées ou compétentes pour remplir les tâches demandées ». Cette situation, Catherine et Alex Larrivée avaient fini par en prendre leur partie et continuer à travailler d’arrache pied pour remédier au manque. Puis, un élément vient tout changer : « notre fils a voulu aller au Québec pour voir comment les exploitations fonctionnaient là-bas ».

De fil en aiguille

« Son voyage a été organisé avec l’organisme Odysée Agri (https://odyssee-agri.com/). Et c’est en discutant avec eux que nous avons évoqué notre problème pour trouver des salariés. De là, ils nous ont proposé de trouver un jeune dans un autre pays pour venir faire un contrat d’apprentissage chez nous. Un peu désespérés par notre situation, nous avons accepté » précise Catherine et Alex. En parallèle, Sascha Liechti, se manifeste auprès d’un de ces dits homologues, en Suisse.

Trouver sa voie

« Je viens de la vallée d’Emmental (Suisse allemande) et mon père à une exploitation de vaches laitières » explique Sascha avant de poursuivre : « j’ai toujours voulu m’installer dans le domaine agricole, mais je voulais travailler dans ce milieu avant de me lancer et surtout voir autant d’exploitations diverses que possible ». Avec un certificat fédéral de capacités (CFC - diplôme Suisse : https://www.orientation.ch/dyn/show/1922) en menuiserie, puis un autre en agriculture, il décide donc de partir à l’étranger pour parfaire ses connaissances. « En Suisse, les exploitations ne sont pas aussi grandes qu’ici. Et cela me tenait à cœur de découvrir cela, comme je parle français, c’était l’occasion ». C’est ainsi que via Odysée Agri, les deux parties se rencontrent et tombent d’accord sur la venue de Sascha à Ville-Langy.

Humilité

Le fils d’Alex et Catherine ayant quitté le nid familial en début d’année, sa maison d’habitation était donc libre pour accueillir Sascha. Catherine se souvient d’ailleurs : « quand il est arrivé, il nous a dit qu’elle était trop grande pour lui tout seul. Nous avons été un peu surpris, mais cela résume assez bien le caractère humble de Sascha ». Au fil des jours, Alex et Catherine se prennent d’affection pour le jeune.

L’envie d’apprendre

« Il est très agréable, il parle de tout, il sourit tout le temps, et surtout il s’intéresse à tout et pose des questions afin d’apprendre ; un point que l’on ne retrouve pas chez les jeunes d’ici malheureusement » spécifie Catherine et Alex de rajouter : « on sent qu’il cherche à monter en compétences, qu’il est là pour engranger autant d’informations qu’il peut pour devenir performant, le tout en gardant un esprit critique et d’analyse. En plus, il a une très bonne mémoire ainsi qu’un répondant intellectuel. Tout cela mis bout à bout c’est un plaisir au quotidien de travailler avec lui ». Ils évoquent également le caractère très travailleur de Sascha « impossible à arrêter de travailler tant que les tâches ne sont pas terminées, ce qui est très déroutant au premier abord » pointe Catherine ; une déformation professionnelle que Sascha explique.

Divergences

« Le système Suisse est très différent d’ici. Nous sommes à 50 heures / semaine et nous ne concevons pas de ne pas finir ce qui est enclenché. Quand je suis arrivé en France, je n’ai pas compris pourquoi on ne faisait que 35 heures / semaine. Chez moi, on travaille à partir de 5 heures du matin dans les exploitations. Les places y sont d’ailleurs très prisées et il est rare de voir une structure en manque de main-d’œuvre. J’ai donc été très surpris de comprendre qu’Alex et Catherine ne trouvaient de salariés alors que leur exploitation est des plus intéressantes ».

Particularité

Catherine expose : « Les Suisses ont une vision du travail bien différente de celle de l’Hexagone : ils sont dévoués à leurs emplois car, pour eux, cela est gratifiant, ce qui explique en partie qu’il n’y ait presque pas de chômage chez eux. Ce sentiment est d’ailleurs cultivé par d’autres biais à l’image du service militaire (non obligatoire pour les filles) qu’ils ont conservés - c’est d’ailleurs pour cette raison que Sascha n’a pu venir plus tôt, car il le terminait ». Sascha insiste : « Nous pouvons le faire en 300 jours d’affilée soit en scindés sur plusieurs années. Pour ma part, j’ai choisi la première solution (comme chauffeur de poids lourds), car je voulais pouvoir commencer à travailler ensuite. J’ai beaucoup apprécié cette expérience car on nous y apprend l’importance du service rendu à la nation et à la personne – ce qui est très agréable car on se sent utile ». Pour toutes ces raisons, Sascha tient désormais une place particulière au sein de l’EARL de Chouix, « c’est un peu comme un autre fils » avoue Catherine avec pudeur. Si le contrat de Sascha se termine au 15 août, les Larrivée ont décidé de retenter l’expérience avec un camarade de classe de Sascha : « nous l’avons rencontré et je pense que le courant passe déjà bien ; à voir si l’alchimie sera aussi belle qu’avec Sascha ».

Rester serein

Pour la suite, Alex et Catherine souhaiteraient tout de même embaucher un salarié à temps plein sur l’EARL de Chouix, mais malheureusement : « si nous ne trouvons personne nous envisageons sérieusement de stopper l’élevage, car nous ne voulons pas devenir esclaves de notre exploitation » martèlent-ils. Avant de conclure : « Cette année, avec la présence de Sascha ainsi que de sa bonne humeur – et l’aide précieuse de Laurent Gey (entrepreneur) – nos moissons se sont déroulées sereinement. Ce sentiment qui n’a pas de prix, nous avons pu le ressentir grâce au sourire inconditionnel et à la bonne humeur de Sascha… ».

 

IMAGE SUPPLÉMENTAIRE
Alex et Catherine Larrivée sont passés d'un élevage Charolais au Salers pour plus de « simplicité, car cette race est rustique et nécessite moins de temps de travail que la première, notamment pour les vêlages » expliquent-ils.