Anticiper
Dossier Mise à l'herbe 1

Alexandre Coronel
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Les conditions météo de ces derniers jours favorisent le redémarrage des graminées en plaine… et font entrevoir une prochaine mise à l’herbe. C’est donc le moment d’anticiper en préparant une transition alimentaire douce, pour éviter tout désordre digestif, notamment en élevage laitier.

Après un hiver marqué par de fréquentes gelées, quoiqu’assez légères, le printemps semble s’installer précocement en cette année 2022. Les prévisions météorologiques vont en tout cas dans ce sens, avec de petites gelées nocturnes suivies de belles journées douces et ensoleillées. La pluviométrie généreuse apportée par les dernières perturbations a bien hydraté les sols, et les conditions sont donc propices à un redémarrage de la pousse herbagère. La production laitière, stimulée par des fourrages de bonne qualité, a retrouvé son niveau habituel, après un début d’hiver plutôt poussif. « Le prix de l’alimentation reste néanmoins élevé, de l’ordre de 10 € de plus aux 1 000 l par rapport à l’année dernière, essentiellement dû à l’augmentation du coût des concentrés », note Florine Leuvrey, responsable de l’encadrement technique de Conseil élevage chez Geniatest. Le début de la saison de pâturage peut permettre de réaliser d’importantes économies sur les apports de concentrés. En plaine, on peut déjà apercevoir des génisses sorties, voire certains troupeaux de vaches laitières. La « météo de l’herbe » a d’ailleurs repris, le 11 mars. L’exploration des pistes d’adaptation des élevages au changement climatique a mis en évidence l’intérêt de tirer parti de la pousse de l’herbe de manière opportuniste, à avancer la date de mise à l’herbe si les conditions le permettent, pour maximiser la période de pâturage… et compenser un éventuel déficit estival qui serait causé par la sécheresse.

Déprimage et transition alimentaire

Côté prairie, c’est donc le moment de procéder à quelques petites vérifications et aux réaménagements qui s’imposent : vérifier le bon état des clôtures, les chemins d’accès et les points d’eau, mais aussi évaluer la portance du sol. Un moyen simple et empirique consiste à donner un coup de talon dans la prairie. Celui-ci ne devrait pas laisser une trace de plus d’1,5 cm de profondeur… Le premier tour de pâturage remplit une fonction bien particulière, celle du déprimage des graminées. La consommation par les vaches de l’apex dominant va en effet stimuler le tallage et favoriser des repousses vigoureuses, avec un petit décalage de pousse entre les parcelles qui sera appréciable au moment de l’explosion végétative quelques semaines plus tard. Le troupeau laitier se prépare aussi. « L’enjeu est d’éviter les désordres digestifs d’un changement de régime alimentaire trop brutal. Une bonne transition alimentaire dure trois semaines, pendant lesquelles les quantités d’herbe ingérées vont augmenter progressivement, tout en diminuant simultanément les quantités de fourrages distribuées à l’auge. » L’organisation de cette « rencontre entre la vache et l’herbe », pour reprendre l’expression de l’agronome André Voisin, le théoricien du pâturage tournant dynamique, est un des piliers de la productivité des prairies, au cœur du métier d’éleveur. « Pour éviter une consommation trop importante de cette herbe de printemps, très appétente pour les animaux et en même temps très riche en eau et en azote, pauvre en fibres, on peut choisir de ne les laisser accéder au pâturage que l’après-midi, quand les panses sont déjà bien pleines. Vis-à-vis des problèmes digestifs, l’apport de bicarbonate de soude dans la ration constitue un bon complément, à la fois peu cher et facile à distribuer – notamment pour ceux qui ont une ration mélangée. On peut aussi utiliser de l’argile, à hauteur de 50 à 100 g/VL/jour, pour réduire les risques de diarrhée pendant cette phase de transition (mais pas sur une durée prolongée, car l’argile modifie l’absorption intestinale des minéraux). Enfin, l’oxyde de manganèse a aussi son intérêt pour compenser les fuites de minéraux. On sera aussi vigilant sur la complémentation en sel, encore plus à cette période », complète la spécialiste. Il est recommandé de laisser du foin à disposition des animaux, pour amortir la modification drastique du régime alimentaire des vaches. L’éleveur propose, l’animal dispose, car on ne peut pas lui imposer de consommer. Il faut donc lui laisser le temps de s’adapter. Avec du fourrage sec grossier, on ralentit le transit. Toujours côté préparation du troupeau, c’est aussi le bon moment pour réaliser un parage préventif afin de faciliter les déplacements forcément plus importants des vaches.

Compter les jours d’avance

Un repère pratique, pour bien gérer la phase de mise à l’herbe, consiste à s’appuyer sur une estimation du stock sur pied, traduit en nombre de jours d’avance. Le seuil de 10 jours correspond à la fin de la période de déprimage, signe qu’on peut passer sur des niveaux de chargement de pâturage proprement dit, où l’herbe assure l’essentiel de la ration. Sur des prairies extensives, à faible potentiel, une surface importante de pâturage est réservée pour chaque animal. Plus le système est extensif, plus on peut sortir tôt. On peut avoir la même sécurité avec moins de rendement. La hauteur d’herbe nécessaire, mesurée à l’herbomètre, varie de 8 centimètres (prairie à faible potentiel) à 10 centimètres (fort potentiel) pour pouvoir sortir avec une marge de sécurité suffisante, et arriver progressivement à environ 20 jours d’avance. Dans le même temps, un apport de foin assure une transition alimentaire optimale. Une sortie précoce permet de terminer suffisamment tôt le premier cycle de pâturage par rapport aux dates d’épiaison de certaines graminées. Cela évite aussi d’être débordé avec l’herbe.