Syndicalisme
Défiscalisation du GNR : une épée de Damoclès

Chloé Monget
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En juin, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, annonçait vouloir supprimer la défiscalisation du GNR agricole. Stéphane Aurousseau, exploitant à Charrin, membre du bureau de la FNSEA et de la FDSEA 58, réagit.

Défiscalisation du GNR : une épée de Damoclès
Stéphane Aurousseau consomme dans son exploitation (Gaec Aurousseau) environ 17 000 L par an.

« Il y a un risque que le projet de loi pour la suppression de la défiscalisation du GNR agricole soit intégré dans le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) et passé en 49.3, soit sans amendement possible pour modifier le texte. C’est un peu une épée de Damoclès que nous, exploitants, avons au-dessus de la tête » souligne Stéphane Aurousseau, membre du bureau de la FNSEA et de la FDSEA 58.

Pour lui, cette suppression progressive mais prévue totale et définitive d’ici 2030 représente un enjeu majeur pour les exploitations, et pour détailler cela, il prend son propre exemple. « Dans notre situation, en polyculture-élevage pour une exploitation en Gaec de 213 ha, nous utilisons 17 000 l de GNR par an. La disparition de cette défiscalisation (0,55 €/l) représentera une augmentation de charge de 9 000 euros par an. C’est encore un mauvais coup porté aux agriculteurs qui s’ajoute à toutes les hausses du coût de l’énergie que nous subissons déjà. Si cet avantage disparaît, qui pèse 1,40 M€ (milliards d’euros) pour l’ensemble de l’agriculture française, nous devons obtenir d’autres mesures fiscales de remplacement afin que cette enveloppe ne soit pas perdue pour l’agriculture. Mais il sera difficile de trouver des mesures fiscales qui soient aussi bien réparties sur toutes les exploitations. Le relèvement des seuils de taxation des plus-values ou de détaxation de l’épargne de précaution pourraient être des pistes mais toutes les exploitations ne peuvent y prétendre ».

Des alternatives en attente

Au-delà de cette situation, Stéphane Aurousseau insiste : « l’agriculture montre déjà depuis longtemps qu’elle est prête à changer pour aller vers des pratiques plus vertueuses et des systèmes plus décarbonés, avec toujours en tête la réduction des charges. Preuve en est la nouvelle génération de matériel plus économe en matière de carburant. Mais, soyons clairs, il n’y a pas encore d’alternatives au GNR pour nos engins. Tant que nous n’avons pas d’avancée significative pour le matériel, ou des carburants « verts » compatibles, avec des prix raisonnables, je ne vois pas comment nous pouvons atteindre, à grande échelle, les objectifs voulus par le gouvernement ». Il poursuit : « La conscience collective s’accorde sur une réduction des pollutions, mais cela demande une nouvelle fois de métamorphoser nos systèmes avec des investissements. Et, nous aurons du mal à être seuls pour supporter ces derniers. Aujourd’hui, je pense que la balle est dans le camp des motoristes. À court terme, il est possible pour certains engins d’incorporer 30 % de biocarburant. Mais, à ce jour, ce type de carburant n’étant pas agréé, il ne bénéficie pas des garanties constructeur. De plus, face aux annonces gouvernementales, les biocarburants ne sont qu’une solution transitoire, car perçues comme insuffisamment décarbonées. Il faut donc que l’État ait une stratégie auprès des constructeurs et des industriels pour accélérer l’innovation vers de nouvelles technologies ».

La compétitivité en danger ?

En lien direct avec l’augmentation des charges suite à la suppression de la défiscalisation et aux investissements à venir pour le renouvellement de matériel, Stéphane Aurousseau pointe une autre inquiétude : la compétitivité des exploitations françaises. « En effet, la répercussion de ces coûts supplémentaires pour nos exploitations devra forcément être reportée sur les prix de nos productions si nous souhaitons continuer à vivre de nos métiers. Et l’on sait à quel point c’est difficile. Nous perdrons alors de la compétitivité face à des produits d’importation ». Il conclut : « En somme, cette annonce de Bruno Le Maire est très inquiétante et nous sommes démunis par l’absence d’alternatives ou de solutions concrètes. C’est pourquoi des discussions sont en cours entre la FNSEA et le ministère pour obtenir le retrait total de ce projet de loi ou à défaut la progressivité et les compensations qui permettront aux agriculteurs français de préserver leur revenu et leur compétitivité sur les marchés ».

Note : (1) Le discours complet de Bruno Le Maire est disponible sur notre site www.agribourgogne.fr

Le discours de Bruno Le Maire en vidéo

Revirement ou adaptation ?

En 2019, Edouard Philippe, alors Premier ministre, expliquait dans son discours (1) à l’occasion de la convention nationale des Chambre d’agriculture que : « Toujours en matière fiscale, vous avez peut-être noté que le Gouvernement souhaite engager une augmentation de la TICPE sur le gazole non routier, en cohérence avec nos engagements en matière de transition écologique. Je vous confirme que les agriculteurs ne seront pas concernés par cette augmentation. Mais nous n’allons pas seulement les protéger, vous protéger de cette hausse. Nous voulons faire évoluer le système de remboursement pour le rendre plus favorable aux agriculteurs : en 2019, les agriculteurs continueront à payer, à l’achat, le taux actuel mais nous souhaitons réduire progressivement le taux de taxation à l’achat, pour que les agriculteurs n’aient plus à attendre le remboursement aujourd’hui accordé en année n + 1. Cette évolution se fera progressivement, sur 3 ans, ce qui contribuera à améliorer la trésorerie des exploitants sur cette période, pour un montant de près de 500 millions d’Euros, en allant vers un système ou les agriculteurs paieront directement le bon prix pour dire les choses simplement ».

Depuis, les crises se sont enchaînées, comme l’évoque Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, dans son discours d’ouverture (2) des Assises des finances publiques le 19 juin 2023. Ainsi, dans ce dernier il rappelle la situation des finances publiques et de la dette française. « Pour tenir le défi et évacuer le scepticisme ambiant sur les finances publiques nous avons besoin d’une stratégie. […] La réduction de la dette est l’affaire de la Nation, chacun doit jouer un rôle décisif […] » avant de poursuivre : « Nous avons identifié au moins 10 milliards d’euros d’économie. […]. Pour atteindre ces « au moins » 10 milliards nous avons ciblé trois axes de travail : […] dont le verdissement de notre fiscalité […] Pour y arriver nous devons faire des choix et trancher. Si notre choix collectif est d’inciter chacune et chacun, citoyens ou entreprises, à aller vers la décarbonation de son activité, il ne faut pas garder des avantages fiscaux sur les énergies fossiles. Nous devons réduire les dépenses fiscales sur les carburants. […] Cela concerne, pour être précis, les tarifs réduits sur les transports routiers, sur le gazole non routier non agricole et agricole […] Je refuse de faire cela du jour au lendemain. […] je propose que nous mettions fin à ces avantages fiscaux sur les énergies fossiles de manière progressive sur quatre ans avec un calendrier jusqu’à 2030 en accompagnant les professions avec les mesures pour les aider à opérer leur transition. […] ».

(1) https://www.gouvernement.fr/discours/10523-discours-d-edouard-philippe-premier-ministre-convention-nationale-des-chambres-d-agriculture-cite

(2) voir viédo sur www.agribourgogne.fr