Guerre en Ukraine
Un an après le début du conflit, quels sont les impacts sur l'agriculture ?

Christopher Levé
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Lors de la session de la Chambre d’agriculture de l’Yonne du 23 février, Marine Raffray, du réseau Chambres d’agriculture France, est intervenue sur l’agriculture française et sa situation, un an après le début de la guerre en Ukraine. Nous avons pu échanger avec elle, afin de mieux comprendre les impacts de cette guerre sur l’agriculture française, voire mondiale.

Conjoncture
En grandes cultures, les surfaces semées sont en recule ces dernières années.

Selon Marine Raffray, du réseau Chambres d’agriculture France, pour bien comprendre la situation dans laquelle est l’agriculture aujourd’hui, il faut déjà rappeler « qu’il y a eu différents chocs qui ont touché ce secteur et l’économie française en général entre 2020 et 2023 : le choc sanitaire avec la pandémie, le choc énergétique dès la seconde moitié de 2021, et le choc géopolitique des 2022 avec l’invasion russe en Ukraine », commence-t-elle. « Finalement, parmi les changements que l’on a pu observer sur le secteur agricole en 2022, il y a des répercussions de ces trois chocs. Ce n’est pas seulement dû à la guerre en Ukraine. Celle-ci a aggravé les répercussions de ce choc énergétique, qui était déjà en préparation à la suite de la reprise économique post-Covid. La situation actuelle est liée sur ce qui s’est passé ces trois dernières années », insiste Marine Raffray.
Ainsi, plusieurs impacts en découlent. « En grandes cultures, on remarque qu’en surfaces semées, notamment en maïs, en colza et en blé, cela a considérablement baissé (- 18,5 % pour le maïs grain irrigué, - 1,6 % pour le maïs grain non irrigué, - 1,3 % pour le colza et - 2,8 % pour le blé tendre d’hiver) ».
Au niveau des betteraves, là aussi, la baisse est conséquente (- 10,3 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années). Les éléments d’explication sont simples : des fluctuations assez forte du prix de la betterave ces dernières années et des difficultés sanitaires, qui ne devraient pas s’arranger avec l’arrêt de l’utilisation des NNI, ce qui pourrait donc encore faire baisser les surfaces de production.
À l’inverse, des cultures ont gagné en surface comme le tournesol (+ 33.5 % de surface) et le soja (+ 13.4 %), des cultures qui semblent mieux résister à la sécheresse (tous ces premiers chiffres proviennent d’Agreste, ndlr).

L’élevage français menacé ?

Sans être liée aux chocs précédemment cités, une autre évolution est à constater ces dernières années, en France : la baisse des productions animales. « On le voit au niveau des abattages, que ce soit en volaille, en bovin et en porc », indique Marine Raffray. La principale cause provient du manque de renouvellement des générations. « La baisse des cheptels de vaches allaitantes et de vaches laitières est continue depuis une dizaine d’années. On a perdu 7 % du cheptel entre 2012 et 2022 en vaches laitières. L’inquiétude est que cela s’accélère depuis un an ou deux ans. On a perdu 80 000 vaches laitières 110 000 vaches allaitantes en un an. Ce n’est plus un signal faible », assure-t-elle.
Des pertes de surfaces, des pertes de cheptels, la France tend irrémédiablement vers une hausse des importations pour répondre à une consommation qui elle, ne diminue pas. « En grandes cultures, on a encore de la marge à l’exception près de certains oléagineux. Mais sur les bovins, les importations ont augmenté pour pouvoir répondre à la demande ».
Un point positif ressort toutefois sur la dernière année pour le monde agricole : la hausse des coûts de revient. « Lorsque l’on regarde la commission des comptes de l’agriculture, on est sur une année 2022 exceptionnelle au regard des précédentes années. On renoue avec une hausse du résultat de la branche agricole autour de + 20 %. Et ce malgré la hausse des coûts de production qui était en moyenne de + 33 % selon l’Insee », affirme Marine Raffray. « Cependant, on ne sait pas si cette situation va se maintenir ou non ».
Et lorsque l’on regarde les prix de l’énergie et des engrais s’envoler, il y a de quoi se poser des questions. « Au sujet des coûts de production, il y a eu cette crise énergétique d’abord sur le gaz, puis sur le pétrole. Cette hausse des prix du gaz est venue percuter le marché des engrais. Il faut savoir que la Russie c’est quand même l’un des deux plus gros exportateurs d’engrais, donc le post-engrais a plus que doublé (+ 116 %) sur l’année 2022. La question est de savoir si la demande va ralentir pour la prochaine campagne ? Si les achats des agriculteurs seront plus réfléchis ? Est-ce qu’ils vont arbitrer différemment leurs achats ? Si oui, comment vont-ils compenser un moindre apport ? Vont-ils implanter des cultures différemment ? Il est probable que beaucoup cherchent à ajuster au mieux l’apport d’azote ou d’autres engrais. Il est clair qu’avec le tel prix, il va sûrement y avoir des décisions prises au sein des exploitations », pointe-t-elle.

Le retour de l’insécurité alimentaire

Enfin, dernier gros point abordé lors de son intervention : le retour de l’insécurité alimentaire dans le monde. Selon Marine Raffray, « l’objectif initial de faim zéro pour 2030 est un objectif, dont on s’éloigne ».
Plusieurs raisons à cela. D’abord le retour et la progression à la hausse du nombre de personnes en insécurité alimentaire depuis 2016. « Lorsque l’on regarde la courbe de la FAO, celle-ci augmente même à partir de 2019-2020. Pourquoi ? Essentiellement à cause des conflits géopolitiques », explique-t-elle. « Et cette pauvreté, c’est principalement les paysans qui la subissent. C’est dramatiquement ironique de le dire, mais les paysans, qui produisent la nourriture, sont très souvent les premières victimes de la faim. Et tout ce qui s’est passé depuis 2020 n’a fait qu’empirer cette situation en mettant à l’arrêt toute une économie informelle de personnes qui étaient dans des emplois précaires, sans filet de sécurité sociale, et qui se sont retrouvées sans revenu. Ajoutez à cela la hausse des prix qui a démarré à partir de 2021. Dans les ménages les plus pauvres, des pays les plus pauvres de la planète, l’alimentation représente 70 % des dépenses. La hausse des prix aussi importante qu’elle est aujourd’hui plonge certains ménages dans l’incapacité de se nourrir (sur la scène mondiale) ».
Alors, beaucoup doivent arbitrer leurs dépenses, « c’est-à-dire acheter différentes qualités de produits en différentes quantités, et c’est ce qui se produit en ce moment ». Les gens tendent vers des produits de moins bonnes qualités nutritionnelles pour faire des économies. « En France par, exemple, on observe qu’on a une baisse plus nette sur l’achat de produits frais, c’est-à-dire de fruits et légumes, de la viande, du fromage à la coupe. À l’inverse, on observe une hausse sur 2022 des achats dits « de grande consommation » comme l’épicerie sèche ou des produits pré emballés et pré pesés ». Le bio aussi connaît un net recul.
En résumé, la guerre en Ukraine et les précédents chocs économiques et sanitaires ont des conséquences importantes sur l’agriculture française et mondiale. Mais aussi sur ceux qui la consomment.