Point de vue
Guerre en Ukraine et risques sur l'élevage

Vincent Chaplot
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Vincent Chaplot, agriculteur basé à Époisses, en Côte-d’Or et chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) livre son analyse sur la situation. Pour lui, les États démocratiques occidentaux, en imposant des quotas sur les engrais produits en Russie et Biélorussie, accélèrent la destruction programmée de l’élevage au profit des viandes artificielles industrielles.

Guerre en Ukraine et risques sur l'élevage
La guerre en Ukraine génère, selon Vincent Chaplot, des réactions qui ne sont pas dénuées d'arrière-pensées. (Crédi Omer Sukru Goksu)

L’inflation des prix de l’énergie et des engrais n’a pas commencé le 24 février, date de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le monde connaît une inflation sous-jacente accélérée depuis les années 1970 suite à l’abandon de l’étalon or, phénomène qui s’est intensifié courant 2020 du fait de l’accélération de la création de monnaie et d’un certain nombre d’autres décisions politiques. Par exemple, le gouvernement canadien qui a imposé une taxe carbone sur l’énergie a conduit sur les deux dernières années au quasi-triplement des coûts de chauffage des bâtiments d’élevage et donc à un accroissement vertigineux des coûts de production de la viande. Les USA ont fermé en 2021 un pipeline qui transportait 540 000 barils de pétrole brut et de gaz naturel par jour, conduisant au doublement du prix de l’énergie. Le gouvernement Biden a également imposé un moratoire sur les permis d’exploration de gaz en 2021 et a ordonné début 2022 une réduction du transport, dans le pays, des fertilisants sous peine de perte de licence d’exploitation pour les entreprises concernées. Dans le même temps Bill Gates rachètent des terres (plus de 100 000 ha en 2020) qu’il met en jachère, les USA paient les agriculteurs pour qu’ils ne cultivent pas toutes leurs terres et le Royaume-Uni encourage les agriculteurs à prendre leur retraite en leur offrant une somme forfaitaire de 100 000 £. Tous ces acteurs politiques affirment pourtant vouloir contraindre l’inflation et prédisent publiquement des pénuries alimentaires imminentes.

Des engrais liés à l’élevage

À toutes ces mesures il faut ajouter les nombreux incendies de dépôts de grain, d’usines d’aliment, les éventrations de train de grain comme récemment en France par des « écologistes », et les récents quotas imposés par nos gouvernements aux exportateurs Russes et Biélorusses d’engrais et de grains vers le reste du monde et qui ne font qu’accentuer la raréfaction des engrais et des grains et donc l’augmentation de leur prix. Comment la raréfaction des engrais accélère la transition entre l’élevage traditionnel et la production de masse de viandes artificielles ? En premier lieu, les quotas des pays occidentaux ne portent pas sur tous les engrais mais majoritairement sur le phosphore, le nutriment essentiel à la production du maïs et du soja, les deux piliers de l’alimentation animale. En limitant la production d’aliment il y aura mécaniquement une baisse de la production de viande et un renchérissement de ses coûts, ce qui fera un appel d’air pour les produits de substitution de l’industrie que constituent les steaks végétaux et les produits carnés artificiels issus de la culture de cellules souches. La production de blé ne pourra pas compenser le déficit d’aliment d’élevage car les stocks actuels à l’Est sont gelés et la production mondiale à venir va probablement baisser en raison de la raréfaction des engrais mais aussi et surtout parce qu’en contexte de pénurie alimentaire la consommation humaine de blé est prioritaire par rapport à celle des animaux. À court terme les productions animales les plus touchées seront avicoles, porcines et d’engraissement bovines. Les groupes financiers Vanguard, BlackRock et State Street appartenant aux 7 familles les plus fortunées du monde détiennent aujourd’hui 90 % du capital des 500 plus grandes entreprises américaines mais aussi la majorité des entreprises mondiales dont celles de production d’engrais, de semences, de transformation agroalimentaire et de transport. La fin de l’élevage est une étape qui leur permettrait à terme de s’approprier la production de nourriture assurée aujourd’hui par des milliards de terriens sur les 5 continents. Ce scénario fait écho à la célèbre citation d’Henry Kissinger, ce Germano-Américain ayant servi comme secrétaire d’État des présidents Richard Nixon et Gerald Ford : « Qui contrôle la nourriture contrôle les populations ; qui contrôle l’énergie contrôle les continents ; qui contrôle l’argent contrôle le monde ».