Débat
Débat sur l'agriculture et la géopolitique

Berty Robert
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Dans le cadre des Internationales de Dijon, un débat s’est tenu sur la place de l’agriculture dans le contexte de tensions internationales que l’on connaît. Plus largement, c’est la question de l’adaptation et du futur qui était ainsi abordée.

Débat sur l'agriculture et la géopolitique
Les participants à cette table-ronde consacrée au futur de l'agriculture : de gauche à droite : Didier Lenoir, président de Dijon Céréales, Philippe Lemanceau, en charge de l'agriculture à Dijon Métropole, Sébastien Abis, chercheur à l'Iris et animateur de la table-ronde, Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France, et Pierre Guez, président de Vitagora.

Lorsqu’il y a sept ans, Sébastien Abis a fait paraître un ouvrage intitulé Géopolitique du blé, beaucoup se sont interrogés sur la pertinence qu’il y avait à établir un lien entre une production agricole et les grands enjeux stratégiques, militaires ou diplomatiques mondiaux. Mais c’était il y a sept ans : une éternité, en regard de l’évolution de la situation géopolitique mondiale de ces dernières années. Aujourd’hui, face à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, deux pays parmi les plus gros producteurs mondiaux de blé, on comprend parfaitement le lien. Sébastien Abis, chercheur au sein de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et directeur général du club Déméter, qui produit de la prospective sur les enjeux internationaux liés à l’agriculture et l’alimentation, était l’animateur, le 8 octobre à Dijon, d’une table ronde intitulée « L’Agriculture pour nourrir le futur », organisée dans le cadre des Internationales de Dijon. La manifestation est consacrée aux grands enjeux géopolitiques et, à l’occasion de sa cinquième édition, elle abordait pour la première fois la question agricole, au prisme des tensions internationales.

« Pas de sécurité humaine sans sécurité alimentaire »

Autour de la table, des représentants de l’univers agricole et agroalimentaire local tels que Didier Lenoir, président de la Coopérative Dijon Céréales, Pierre Guez, président du pôle de compétitivité Goût-Nutrition-Santé Vitagora, Philippe Lemanceau, en charge de l’agriculture et de l’alimentation au sein de Dijon Métropole, mais aussi Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France, organisation qui milite pour une alimentation saine et durable. Afin de lancer le débat, Sébastien Abis rappelait une évidence : « il n’y a pas de sécurité humaine sans sécurité alimentaire et tout cela est corrélé à la soutenabilité des productions agricoles ». Face à ce constat, Didier Lenoir nuançait le propos en soulignant que si, indéniablement, la période actuelle, entre guerre et réchauffement climatique, était complexe elle ouvrait aussi des perspectives intéressantes « à condition que l’on attache suffisamment d’importance au partage entre agriculture de terrain et agriculture expérimentale. Il y aura des opportunités formidables à venir dans une agriculture dont les pratiques vont changer ». Pour sa part, Pierre Guez a tenu à rappeler qu’à Dijon, on n’a pas attendu le déclenchement de la guerre pour nouer des relations avec les milieux agricoles ukrainiens : « il y a 15 ans, nous avions reçu une délégation de Vinnytsia, dans le centre-ouest du pays et Vitagora entretenait aussi des liens avec la Russie. Nous avions même, un temps, imaginé la possibilité pour des agriculteurs bourguignons, d’aller exploiter des terres en Ukraine. Lorsqu’on sait que ce pays possède parmi les meilleures terres agricoles du monde, avec une moyenne de 15 % d’humus quand, dans le Châtillonnais, le taux est plutôt de 2 ou 3 %, on comprend l’intérêt de la chose et aussi le poids que cela représente dans le commerce agricole mondial, lorsque tout est perturbé par la guerre. Si la Russie parvenait à s’emparer de l’Ukraine, elle détiendrait un tiers des exportations mondiales de blé ! Et il faut aussi compter avec le poids des productions de maïs ou de tournesol propres à ces deux pays… »

La qualité et l’accès, plus que la quantité

Devant une telle menace, c’est le risque d’insécurité alimentaire qui inquiète le plus. Karine Jacquemart rappelait qu’il concerne de manière sévère 800 millions de personnes dans le monde mais elle en décrivait les contours d’une manière détaillée : « les critères qui définissent la sécurité alimentaire sont la quantité de nourriture disponible, sa qualité et la possibilité d’y avoir accès. Contrairement à ce qu’on croit, la quantité n’est pas un problème actuellement, mais il y a une vraie question sur la qualité de la nourriture disponible et aussi sur les difficultés d’accès à une nourriture de qualité et c’est vrai même en Europe ». Cette question d’une qualité de nourriture réelle et accessible au plus grand nombre, elle doit résulter de choix politique, comme le soulignait Philippe Lemanceau, s’appuyant sur les choix faits par la métropole dijonnaise en ce sens depuis quelques années : « nous travaillons à favoriser la transition agroécologique et le potentiel de recherche et d’innovation que nous avons en France avec l’Inrae n’est pas à négliger. Il faut être clair et lucide : à l’avenir l’agriculture sera confrontée à des rendements en baisse, il y a donc aussi la nécessité de faire évoluer les modes de consommation alimentaire. Il faudra réduire le gaspillage alimentaire et remplacer une partie des protéines animales par des protéines végétales. La question fondamentale qu’on doit se poser, c’est celle de l’échelle territoriale la plus pertinente pour agir en agriculture. Faut-il de l’ultra-local et s’affranchir des règles mondiales ? Les consommateurs pourront-ils payer le prix de la vraie valeur des produits agricoles ? ». Les grandes ambitions affichées peuvent se heurter à la réalité des marchés, comme le rappelait Didier Lenoir : « Il faut une correspondance entre les productions et leurs débouchés commerciaux et il ne faut pas non plus négliger, pour l’avenir, l’importance des productions énergétiques issues de l’agriculture, d’autant plus que l’évolution des technologies va nous permettre de produire sur une même parcelle, de l’énergie photovoltaïque et des cultures alimentaires, voire de l’élevage ». Et de citer en illustration de son propos la récente inauguration d’un site pilote en Haute-Saône, qui permet cette double activité. Un second devrait prochainement voir le jour en Côte-d’Or. S’ajoute également à cela le projet de méthaniseur Sécalia porté par Dijon Céréales, dans le Châtillonnais, qui fédère 150 agriculteurs et s’appuie sur des productions agricoles dédiées. Un exemple, parmi d’autres, d’une agriculture qui tente de réfléchir à son avenir, sans attendre pour cela que l’on prenne conscience du fait que cette activité est aussi une arme, à ne jamais prendre à la légère…