Interview
« Nous sommes au travail ! »

Propos recueillis par Berty Robert
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Franck Robine, Préfet de Côte-d’Or et de Région Bourgogne-Franche-Comté, est revenu, pour nous, sur les deux semaines de crise agricole aiguë que nous avons vécues, et sur ce qu’elle a enclenché pour concrétiser les annonces gouvernementales.

« Nous sommes au travail ! »
Franck Robine reconnaît avoir été marqué par un niveau de mobilisation générale, à ses yeux inédit, en trente ans d'activité préfectorale.

Comment avez-vous vécu ces deux semaines de manifestations ? Aviez-vous senti la montée du mécontentement ?

Franck Robine : "Comme tous les Préfets, j’ai des relations fortes et fréquentes avec le monde agricole. J’ai réalisé une sortie terrain, le 16 janvier, en Haute-Saône, dans un Gaec d’élevage : on a beaucoup parlé environnement, mais aussi zones humides et j’avais été frappé, à ce moment-là, par le ras-le-bol exprimé sur les normes environnementales. Mes interlocuteurs m’avaient aussi parlé d’Égalim, des marges, du prix du lait, mais finalement, comparé à la question des normes environnementales, ce sujet-là n’était pas celui qui avait été le plus abordé. J’ai vraiment senti qu’il y avait un sujet sensible sur la question des normes. Ce thème est aussi largement revenu lors d’une réunion le 29 janvier à Dijon, avec les représentants agricoles de Côte-d’Or. Il y avait pour moi, un vrai sujet sur ce point. Je dois dire que j’ai été surpris par le fait que toutes les filières se soient mobilisées dans la protestation, contrairement à d’autres mouvements qui avaient pu ne concerner que l’élevage, ou que des productions végétales. Là, il y avait un caractère généralisé qui m’a marqué. Je suis dans la préfectorale depuis trente ans mais je ne souviens pas avoir vu cela auparavant".

Que retenez-vous de ce mouvement ?

F.R. : "J’en retiens que, globalement, la France reste « paysanne » : malgré les blocages de routes et les désagréments que cela entraînait, on a bien senti que les Français ont toujours une part d’attachement au monde agricole. Globalement, le mouvement a été positif, avec, il faut le souligner, un Gouvernement qui a été très à l’écoute, qui a dialogué. On a mis fin au mouvement par la discussion. Je pense qu’il est bon que la société entende aussi certaines expressions de désespoir. Le mouvement a exprimé de la désespérance, mais aussi une demande de sens".

La réponse gouvernementale a été rapide. Quels sont, selon vous, ses axes forts ?

F.R. : "Le Premier ministre a réaffirmé que nous voulons retrouver de la souveraineté alimentaire. C’est important, parce que, à part pour le vin, la balance commerciale de la France est négative sur les productions agricoles et c’est une évolution récente ! Nous avons perdu des parts de marché. Le Gouvernement a aussi annoncé un paquet de mesures sans équivalent, à la mesure des attentes exprimées. Le Premier ministre a affiché sa volonté d’aller très vite. À notre niveau, nous sommes déjà au boulot".

Concrètement, comment se traduit cette mobilisation des services de l’État ?

F.R. : "Nous sommes dans l’exercice de simplification qui est le plus attendu, à mon avis. Concrètement, les Direction départementales des territoires (DDT) et la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et des forêts (Draaf), avec d’autres organismes du milieu agricole, sont en train de compiler des propositions de mesures de simplification. Elles font l’objet d’aller-retour et de concertations avec les organisations agricoles. Le tout est envoyé au ministère de l’Agriculture qui devra nous faire des retours et prévoir une batterie de simplifications, avant le Salon de l’Agriculture. Il y a un second volet qui porte sur le revenu et l’action du Égalim. Le Gouvernement a annoncé un doublement des contrôles. En France, on dénombre environ 200 contrats Égalim qui sont tous en cours de vérification. En parallèle, à la demande des organisations syndicales, je suis en train de mettre en place une réunion régionale portant sur la question de l’approvisionnement local. Elle devrait se tenir avant le Salon de l’Agriculture. Par ailleurs, sur toute la Bourgogne-Franche-Comté (BFC), chaque Préfet de département rencontre les organisations syndicales et tente de déterminer ce qui est le plus « irritant » sur son territoire. Ce qui remonte de ce travail c’est une volonté d’avancer sur l’eau et, en particulier, les petites retenues d’eau, de moins de 1 000 m2. On regarde comment cela peut être rendu possible, réglementairement. Les DDT sont en contact avec les Chambres d’agriculture sur ce point. Il faut reconnaître que sur cette question de l’eau, l’agriculture est plutôt en avance, comparée à d’autres secteurs. J’ai aussi tenu une réunion, le 8 février, avec les représentants d’Enedis, d’EDF, et des syndicats agricoles, sur les conditions de branchement et d’achat des panneaux photovoltaïques. Le but est de parvenir à raccourcir les délais des branchements. Sur le loup, une réunion va se tenir pour ce qui concerne le département de la Côte-d’Or (Elle a eu lieu le 15 février N.D.L.R.). Mon collègue de l’Yonne, Pascal Jan, a fait une réunion sur le déroulement des contrôles, sur laquelle je vais aussi m’appuyer pour améliorer les choses. Dans le Doubs, il y a un sujet de prise en compte, par la Pac, des bois pâturés".

La question des contrôles a très souvent fait l’objet de discussions sur les barrages agricoles. De quelle manière y travaillez-vous ?

F.R. : "Les contrôles sont un sujet très sensible. Il faut rappeler qu’il y a des contrôles administratifs qui sont très importants, notamment ceux qui permettent le déclenchement des primes liées à la Pac. Il y a aussi les contrôles liés au respect de la réglementation environnementale. Je suis en contact, comme mes collègues Préfets départementaux, avec les organismes en charge des contrôles. Il faut comprendre comment ils fonctionnent et nous mettrons en application les instructions du Premier ministre sur ces questions".

Présente dans le paysage agricole régional depuis un an, la question de la gestion du Feader s’est logiquement agrégée au mécontentement général. L’État, qui a repris partiellement la main sur ce sujet, y travaille encore. Où en est-on ?

F.R. : "Lors de sa venue à Dijon, le 13 décembre, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, avait annoncé la reprise par l’État de la gestion de 250 dossiers de la Saône-et-Loire. Depuis, j’ai confirmé que ces 250 devenaient 600 dossiers qui concernent la totalité du territoire régional. Au total, l’État aura repris à son compte 800 dossiers. Je veux rendre hommage aux fonctionnaires des DDT qui font cela en plus du paiement des primes PAC du 1er pilier. C’est un travail que nous menons, main dans la main, avec le Conseil régional. On a tenu une réunion de suivi du Feader le 2 février. On est sur la voie d’une résolution des problèmes, même si cela va encore prendre un peu de temps".

D’ici le Salon de l’Agriculture, envisagez-vous des sorties sur le terrain, dans le prolongement du travail de fond que les services de l’État mènent pour la mise en œuvre des annonces gouvernementales ?

F.R. : "Je vais rencontrer la profession viticole le 20 février, à Pommard, en Côte-d’Or, pour discuter de nombreux sujets mais si on m’invite ailleurs, je m’y rendrai aussi".

Que pensez-vous des points de vue qui considèrent qu’en apportant satisfaction sur certains points aux agriculteurs, on a renoncé à une véritable ambition environnementale ?

F.R. : "Nous avons sans doute la responsabilité de faire en sorte que ces différentes composantes de la société se parlent plus mais, on ne peut pas avoir de paysage sans les paysans, et pas d’environnement non plus. Quand on va sur une exploitation comme celle que j’ai visitée, mi-janvier, en Haute-Saône, on est frappé par le fait que le paysage et l’environnement l’emportent. Nous sommes la région la plus rurale de France. Si on n’a pas d’agriculteurs, on ne parviendra pas à entretenir nos paysages. Nous devons être capables de le faire comprendre à ceux qui pointent du doigt l’agriculture".

Exergue : « J’ai été assez frappé par le ras-le-bol exprimé sur les normes environnementales »