Mécontentement agricole
Une colère doublée d'un regard sur l'évolution du revenu agricole

Berty Robert, avec Actuagri
-

Alors que plus de 500 tracteurs étaient annoncés sur Paris pour une manifestation agricole ce mercredi 8 février, les motifs de mécontentement produisaient un écho particulier avec la parution d’un rapport ministériel sur l’évolution du revenu agricole en France, ces trente dernières années.

Une colère doublée d'un regard sur l'évolution du revenu agricole
Plus de 500 tracteurs et 2000 agriculteurs ont convergé sur Paris ce mercredi 8 février (Capture d'écran BFM TV)

L’élément déclencheur de la manifestation d’agriculteurs organisée le 8 février à Paris, c’est la décision de la Cours de justice de l’Union européenne (CJUE) de mettre fin à la dérogation que la France avait décidée, sur l’usage des néonicotinoïdes. Rappelons que le gouvernement français avait décidé la mise en place de cette dérogation à la suite d’importants dégâts provoqués en 2020 sur les cultures de betteraves sucrières par la jaunisse nanisante, une maladie provoquée par un insecte ravageur. L’usage dérogatoire des néonicotinoïdes avait pour but de permettre, en parallèle, l’émergence de solutions alternatives dues aux travaux de recherche. Dans un communiqué du 3 février, la FNSEA avait appelé « tout son réseau et l’ensemble de ses filières à se mobiliser à partir du 8 février à Paris et jusqu’au 20 février dans toute la France », selon un mot d’ordre dépassant la problématique de la betterave sucrière et insistant plus globalement sur la souveraineté alimentaire. Le syndicat a justifié ces actions par le fait que le secteur agricole est notamment en « première ligne face à une succession de crises (climatique, sanitaire, géopolitique et énergétique) » et qu’il est « en butte à des contraintes réglementaires de tous ordres qui freinent les projets innovants dans les territoires (irrigation, bâtiments d’élevages…) ».

Un contexte tendu

Autant de dossiers auxquels s’ajoutent les négociations commerciales avec la grande distribution, les importations massives de produits « moins disant, issus, ou non, d’accords de libres-échanges inéquitables et pénalisants. » L’appel à manifester de la FNSEA et de JA ainsi que de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) a été rallié par de nombreuses organisations spécialisées : FNPF, UNPT, AGPB, AGPM, FOP, APEF AOP. Ce mouvement de colère intervient aussi en écho à une publication du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation portant sur l’évolution du revenu agricole en France depuis 30 ans. Ce rapport, dû à Élisabeth Mercier, inspectrice générale de l’agriculture, Xavier Ory, ingénieur des ponts, des eux et des forêts, et Dominique Tremblay, inspecteur général de l’agriculture indique que depuis 30 ans, le revenu net de la branche agricole (RNBA) a significativement baissé en France. Mais la diminution proportionnellement plus forte du nombre d’exploitations agricoles a permis un progrès du RNBA par exploitation, en euros constants. Ces trente dernières années, le RNBA a baissé de près de 40 % en France en euros constants. Dans le même temps, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 60 % avec des évolutions importantes des structures juridiques. L’évolution démographique a permis un accroissement du résultat net par actif agricole non salarié (Utans), mais de fortes fluctuations ont été enregistrées au cours des dix dernières années.

Obligations d’évolution

Sur la base du Réseau d’information comptable agricole (Rica) des trois dernières décennies, l’excédent brut d’exploitation par Utans a augmenté de 35 % alors que le revenu disponible par Utans a été structurellement stable, en euros constants. Ces moyennes, cachent une très forte hétérogénéité des revenus agricoles suivant les catégories d’exploitations. Le rapport précise que « pour l’avenir, outre les niveaux d’aides publiques, les revenus des exploitations agricoles sont dépendants des marchés de produits agricoles et des intrants, ainsi que de la productivité des facteurs de production alors que les aléas climatiques et sanitaires sont croissants. Ceux-ci obligent les agriculteurs à faire évoluer leurs systèmes et pratiques d’exploitation et à faire face à une hausse des coûts de production, accentuée par l’impact de l’élévation des normes pour répondre aux attentes sociétales dans les domaines de l’environnement et du bien-être animal ». Les responsables de la mission qui a conduit à l’élaboration de ce rapport formulent des recommandations :

- elles visent à approfondir les analyses et les débats sur les revenus agricoles en prenant plus en compte la diversité des systèmes de production et de commercialisation

- elles soulignent aussi la nécessité de renforcer les compétences des agriculteurs, dans un contexte très exigeant pour eux, par le développement du conseil stratégique et une évolution substantielle des modes de diffusion des connaissances

- une recommandation invite également à explorer, au moins pour la PAC d’après 2027, les possibilités de régulation des marchés.

- une autre vise à assurer des cohérences d’ensemble au plan régional où tous les facteurs peuvent être pris en compte, qu’ils résultent de décisions européennes, nationales ou régionales et locales.

Le 8 février, à Paris, les manifestants étaient en plein dans cette logique…