Point de vue
Reprendre les données sur le Glyphosate et les vers de terre

Vincent Chaplot
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Vincent Chaplot, agriculteur de Côte-d’Or et directeur de recherche à l’IRD, livre un point de vue sur le lien entre la présence des vers de terre et le glyphosate.

À l’occasion des discussions sur le renouvellement d’autorisation du glyphosate pour dix ans fin 2023, de nombreux chercheurs spécialistes des sols et de leur faune alertaient dans la presse sur ses effets délétères sur les vers de terre, ces puissants alliés de l’agriculture durable. Or, les agriculteurs en ACS (Agriculture de conservation des sols), qui utilisent souvent de plus grandes quantités de glyphosate pour produire de la nourriture qu’en agriculture conventionnelle, observent un accroissement des populations de lombric. Comment expliquer une telle divergence entre ce que dit la recherche et ce qu’observent les acteurs de terrain ? Devant cette apparente contradiction, il est intéressant de regarder de plus près les données disponibles.

Une soixantaine d’études académiques

L’étude de Lima-Silva et Pelosi publiée en 2023 dans le journal Integrated Environmental Assessment and Management, qui est à notre connaissance la plus récente sur le sujet, reprend les conclusions des 63 études de par le monde publiées sur le sujet entre 1982 et 2022. Ces auteurs concluent à une absence d’impact du glyphosate utilisé aux doses recommandées et indiquent toutefois que plusieurs applications par année peuvent induire des effets négatifs sur la reproduction et la structure des populations de vers de terre, ce que les expérimentations disponibles ne peuvent toutefois mettre en évidence par manque d’études long terme.

Jusqu’à 15 000 litres par hectare

La réanalyse des données de base des 63 études « glyphosate » montre que seulement 32 d’entre elles présentent des données expérimentales sur les vers de terre et ont été publiées dans des revues internationales faisant appel à des experts pour valider les résultats. Nous observons que la très grande majorité de ces études ont été réalisées au laboratoire, loin des conditions réelles de terrain et que le volume appliqué moyen (converti pour la couche 0-30 cm) est de 2500 litres ha-1 (avec un maximum de 15 000 litres, soit 5 000 fois la dose maximale autorisée, dans l’étude de 2020 de Garcia-Perez au Mexique utilisant 2380 mg de glyphosate par kg de sol et publiée dans le journal Applied soil ecology). Huit études seulement appliquent moins de 10 litres ha-1. Dans tous les cas aucune surmortalité liée au glyphosate n’est observée.

Impact de la diminution du travail du sol ?

L’Agriculture de conservation des sols (ACS) qui adopte un travail du sol moins intensif et des couverts végétaux, vise à une plus grande biodiversité dans le sol pour une agriculture durable. Les agriculteurs en ACS qui utilisent classiquement du glyphosate pour la destruction des couverts voient pourtant les populations de vers de terre de leurs champs augmenter. Cette évolution peut être liée à la fois à la diminution du travail du sol et aux opérations agronomiques comme la protection chimique des cultures, deux facteurs évalués par l’étude de Briones et Schmidt (2017) dans Global Change Biology à partir de 165 publications mondiales. Ces chercheurs montrent que le fait de moins perturber le sol augmente significativement l’abondance des vers de terre de 137 % en moyenne pour le semis direct et 127 % pour un travail superficiel par rapport au travail profond alors que l’utilisation de glyphosate n’a pas d’effet significatif. La communauté scientifique en collaboration avec les agriculteurs dispose de 10 années pour mettre en place des dispositifs expérimentaux qui étudieraient au champ et sur le long terme l’impact du glyphosate sur les populations de vers de terre, et ainsi alimenter de la meilleure des façons les discussions à venir en 2033 sur l’avenir du glyphosate en Europe.