Blé
Gestion de l'ergot : un enjeu pour la filière céréalière

Léa Bounhoure - Arvalis
-

S’il ne porte pas préjudice aux rendements, l’ergot est un champignon produisant des alcaloïdes particulièrement toxiques. La qualité sanitaire étant une préoccupation absolue des acteurs de la filière céréalière, les partenaires du Forum Blé Tendre Saône-Rhône (responsables professionnels - producteurs, collecteurs, aval) s’accordent à communiquer collectivement sur les solutions pour gérer l’ergot. Ce sujet de la qualité sanitaire avait fait l’objet d’une intervention lors du colloque « Blé Tendre » du 21 septembre 2023 à Beaune, organisé par Arvalis et Intercéréales. 

Gestion de l'ergot : un enjeu pour la filière céréalière
L'ergot peut avoir des effets néfastes sur le bétail.

Un champignon dangereux pour les consommateurs

L’ergot est dangereux pour les consommateurs à partir d’une certaine quantité. C’est ce champignon qui avait causé de grandes épidémies au Moyen-Âge, connues sous le nom de « Mal des Ardents ». Les boulangers distribuaient sans le savoir des pains contaminés, provoquant, chez les consommateurs, hallucinations, brûlures intenses, convulsions et nécroses. En élevage, l’ingestion de l’ergot provoque un affaiblissement du bétail. Le taux de gestation et la production laitière sont diminués et, dans les pires cas d’empoisonnement, les bêtes présentent des symptômes nerveux et gangréneux.

Les spores de l’ergot contaminent les graminées (culture et adventices) en floraison

La contamination d’une parcelle commence par la présence de sclérotes dans le sol, qui peuvent germer en sortie d’hiver. Au début du printemps, les sclérotes enfouis à moins de 10 cm de profondeur produisent des stromas qui vont alors émerger et propager des spores dans les 20 m alentour. Ces dernières, portées par le vent, vont contaminer les graminées en floraison, cultures comme adventices. Sur les épis touchés, un miellat apparaît. Les spores contenues dans ce miellat vont ensuite contaminer à leur tour les graminées adventices et céréales en fleur. Des sclérotes vont ensuite se développer sur les épis. Pendant la moisson, une partie d’entre eux va tomber au sol, perpétuant ainsi le cycle du champignon.

Quelle sensibilité des céréales à l’ergot ?

Toutes les céréales sont sensibles à l’ergot, mais leur sensibilité va dépendre de leur mode de reproduction à la floraison. Les cultures allogames (fécondation croisée entre deux plantes d’une même espèce) peuvent être davantage contaminées par l’ergot, car elles ont une floraison plus longue avec des épillets plus ouverts, ce qui facilite la contamination par les spores. Le seigle, allogame, est de ce fait la céréale la plus sensible à la maladie, ce qui justifie l’appellation historique « ergot du seigle ». Le triticale, présentant une tendance plus prononcée que les autres céréales à l’allogamie, est également identifié comme très sensible à la maladie. Les autres céréales telles que les blés, l’orge ou l’avoine (préférentiellement autogame) sont moyennement sensibles à l’ergot. Quelle que soit la céréale, tout accident susceptible d’altérer la fécondation des épis (gel ou temps couvert lors de la méiose /gel ou pluies importantes lors de la floraison) va significativement augmenter les risques de contamination par l’ergot.

Que dit la réglementation ?

Compte tenu de la toxicité des molécules produites par ce champignon, la teneur en ergot est réglementée dans les céréales.

Pour l’alimentation humaine (Règlement européen 2023/915) :

- 0,2 g de sclérote d’ergot/kg sur les céréales brutes (excepté maïs et riz),

- 0,5 g de sclérote d’ergot /kg sur seigle (jusqu’au 30 juin 2025) puis 0,2 g de sclérote d’ergot /kg (à partir du 1er juillet 2025).

- Sur produits transformés, ce règlement prévoit en plus, des teneurs maximales réglementaires pour les alcaloïdes de l’ergot.

Pour l’alimentation animale (Directive européenne 2002/32) :

1 g de sclérotes d’ergot /kg céréales non moulues

Quels leviers pour gérer l’ergot ?

Pour briser le cycle de l’ergot, plusieurs actions sont possibles :

Il faut d’abord s’assurer de travailler avec des semences saines, pour ne pas amener d’autres sclérotes dans le sol de sa parcelle. Cette préconisation s’applique également aux semences de CIVE (avoine, seigle, raygrass…). Pour rappel, les CIVE, récoltées bien avant le stade de développement de l’ergot sur les épis, ne sont pas porteuses d’ergot à la récolte.
Réaliser un labour permettra d’enfouir les sclérotes à plus de 10 cm de profondeur. Dans ces conditions, ils ne pourront pas émettre de spores dans les cultures. Attention, un second labour l’année suivante pourrait les remonter à la surface ! C’est pourquoi, il faut impérativement réaliser un travail superficiel du sol au moins durant la campagne suivante.
Diversifier sa rotation est également un bon moyen de lutte, surtout lorsque le sol n’est pas travaillé. Puisque l’ergot contamine les graminées, il faudra éviter pendant au moins 2 ans d’implanter des céréales à paille sur la parcelle, et opter pour des cultures non-hôtes (oléoprotéagineux, luzerne, maïs…).
Il ne faut pas oublier que les graminées adventices, elles aussi, sont sensibles à l’ergot : elles peuvent amener des sclérotes dans toutes les cultures. C’est pourquoi, il est capital d’effectuer un désherbage minutieux de la parcelle. Les adventices au bord de champ sont aussi un vecteur non négligeable de la propagation de l’ergot. Un fauchage des bords de parcelle au début du stade floraison des cultures permettra de réduire la pression.
En utilisant différents leviers adaptés à la situation de son exploitation, il est donc possible de gérer l’ergot sur sa parcelle.

Si toutefois, des sclérotes d’ergot sont détectés dans les bennes à la moisson, il faut prévenir le collecteur de céréales qui évaluera le lot. S’il est non conforme à la réglementation, le lot sera nettoyé. Plusieurs techniques existent pour nettoyer les lots, mais elles sont longues et coûteuses. Un nettoyeur-séparateur bien réglé aura une efficacité partielle et permettra de réduire la teneur en sclérotes de l’ordre de 40 %, tandis que l’utilisation de trieur optique ou de table densimétrique permettra d’éliminer totalement les sclérotes d’un lot de céréales (plus de 95 %).

Enfin, la méthanisation est un moyen efficace de valoriser les lots de céréales contaminés par l’ergot sans risque de contaminer les parcelles après épandage des digestats (étude Arvalis et APESA, 2022).

Pour en savoir plus, Arvalis a mis au point une grille pour évaluer le risque ergot de votre parcelle : https://www.arvalis.fr/infos-techniques/reperer-les-parcelles-de-ble-risque-ergot. Une vidéo pédagogique « comment gérer l’ergot » existe également sur Youtube : https://youtu.be/CarUqXdsKlY