Forêts
Le risque de dépérissement des résineux

Sébastien Closa
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Les peuplements d’épicéas et de sapins, emblématiques du massif jurassien, se meurent sous les effets du réchauffement climatique. Florent Dubosclard, directeur de l’ONF 39 et Michel Bourgeois, président des communes forestières du Jura, alertent sur la situation et ses conséquences. Depuis 2017, le volume de bois dépérissant a été multiplié par 10.

Le risque de dépérissement des résineux
Dès qu'un sapin commence à rougir, c'est irréversible. Sa mort peut survenir en quelques semaines.

Il suffit de se promener dans les forêts du Jura pour constater le dépérissement des résineux : elles sont parsemées de zones ou les épicéas brunissent et perdent leurs aiguilles, ou les sapins deviennent rouges. Ces deux essences sont victimes du changement climatique. Au mois de juillet dernier, plus de 135 000 m³ de sapins et 55 000 m³ d’épicéas secs ont été recensés. Un record aussi tôt dans l’année. Les épicéas sont victimes de scolytes, petits insectes ravageurs qui prolifèrent avec la chaleur et creusent des galeries sous l’écorce de ces arbres pour y pondre leurs œufs, empêchant ainsi la sève de circuler. « Il y a toujours eu des scolytes dans la plaine, mais auparavant ils ne s’attaquaient qu’aux arbres mourants, » explique le directeur de l’ONF du Jura Florent Dubosclard. « Depuis 2018, ils s’en prennent aussi aux arbres sains affaiblis par la sécheresse. Et avec la hausse des températures, ils colonisent les forêts d’altitude. Tout le Jura est désormais concerné ». Pour endiguer leur prolifération, les forestiers interviennent sur les zones les plus touchées pour évacuer les bois contaminés le plus rapidement possible car aucun traitement sanitaire n’existe. Pour les sapins pectinés, la cause de cette surmortalité est différente. Ils souffrent de stress hydrique dû à un manque de précipitations et à des sols asséchés. Les arbres transpirent plus que leurs racines n’absorbent d’eau.

Quelle forêt demain ?

« Pendant des décennies, nous avons planté soit 100 % en sapin, soit 100 % en épicéa. Ce n’est plus possible aujourd’hui, » poursuit le directeur de l’ONF. « Nous n’avons plus aucune certitude mais apprenons au jour le jour pour appliquer la meilleure solution. Nous avons de l’espoir car il y a des forêts partout dans le monde. Nous aurons donc toujours des forêts dans le Jura mais elle va évoluer, les paysages vont changer. Il faut accompagner cette mutation ». Pour les forestiers, réussir l’adaptation au changement climatique passe par le développement d’une « forêt mosaïque » aux essences diversifiées et aux structures de peuplement variées (zone en régénération naturelle, futaies régulières et irrégulières, taillis, îlots de vieillissement, nouvelles essences exotiques, etc.). Épicéas et sapins sont voués à être remplacés par des feuillus, autochtones comme le tilleul, l’érable et le chêne, ou des essences plus exotiques comme le cèdre de l’Atlas ou le sapin de Bornmuller, originaire de Turquie. « Cette phase de reconstruction de la forêt demande de la vigilance car il faut trouver un équilibre entre la faune et la flore. La densité de cervidés, qui consomment les jeunes semis et les jeunes plants, peut-être incompatibles avec ce que l’on a planté ».

Conséquences économiques

Dans le Jura, 103 communes (soit 21 %, souvent de moins de 250 habitants) sont financièrement dépendantes de leurs revenus forestiers. Depuis 2018, ces revenus diminuent significativement. « Pour écouler le bois sec que nous avons dû couper, nous vendons beaucoup moins de bois vert. Cette année, c’était autour de 30 % seulement. Et l’année prochaine, nous ne vendrons peut-être que du bois dépérissant », explique le président des communes forestières du Jura Michel Bourgeois. « Nous avons régulièrement 60, voire 70 %, d’invendus, pourtant le bois scolyté a exactement les mêmes propriétés mécaniques que le bois vert ». Une crise sylvicole qui intervient après plusieurs années de baisse des dotations globales de fonctionnement versées aux communes, en plaçant un certain nombre dans des situations d’équilibre budgétaire compliquées.