Méthanisation
La récupération du CO2 dans les tuyaux

Emeline Durand
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Valoriser le CO2 de son méthaniseur constitue l’un des leviers de croissance de la filière méthanisation. Si dans le Grand Est, certains méthaniseurs s’apprêtent à le commercialiser, de nouveaux usages émergent, à la faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

La récupération du CO2 dans les tuyaux
La valorisation du gaz carbonique issu de la méthanisation sera bientôt une réalité dans l’Aube : Baptiste Dubois, agriculteur méthaniseur (à gauche sur la photo) s’apprête à commercialiser ses premières tonnes de gaz épuré.

La filière de la méthanisation et du biogaz n’a pas dit son dernier mot. C’est en sus ce qu’il fallait comprendre des deux journées de la convention d’affaires Biogaz Vallée organisées à Troyes récemment. L’évènement, qui rassemblait de nombreux acteurs de la filière biogaz et méthanisation, a permis d’apprécier le travail déjà mené jusque-là dans une région Grand Est leader en la matière. « En dix ans, c’est la seule énergie à avoir dépassé ses objectifs pluriannuels prévus pour 2030. La région compte 2,5 TerraWatt/ heure et 120 unités de méthanisation, la France produit 12 TerraWatt/heure et 618 sites », résumait Bastien Regnier, directeur territorial régional Grand Est, pour GRDF.

Pour les serres, abattoirs, boissons gazeuses…

D’ici 2030, GRDF ambitionne de produit 20 % de gaz renouvelable. Un chiffre d’ores et déjà atteint dans l’Aube (25 %) notamment grâce à la méthanisation. Pour répondre à l’enjeu 2050 du 100 % renouvelable, la filière ne chôme pas. En atteste la table ronde organisée à propos d’un coproduit qui agite beaucoup les méninges : le CO2. Issu de la combustion du méthane, il intéresse en réalité de multiples secteurs : le maraîchage pour accélérer la croissance des plantes sous serre, l’agroalimentaire qui l’utilise pour les boissons gazéifiées, les abattoirs pour étourdir les animaux ou encore pour la fabrication du e-fuel et du e-méthane, un méthane de synthèse, produit avec du CO2 et de l’hydrogène. Vendu entre 50 et 200 euros la tonne pour un marché estimé à 100 à 200 millions de tonnes, le CO2 laisse rêveur.

Un laboratoire d’analyses

Dans l’Aube, Baptiste Dubois, agriculteur méthaniseur à Bar-sur-Seine est passé du rêve à la réalité : avec ses deux cousins, il a installé un épurateur pour séparer le méthane injecté dans le réseau de gaz et récupérer le CO2 qui jusqu’à présent s’évaporait dans l’air. Purifié pour entrer dans le cahier des charges drastique du marché alimentaire, le gaz carbonique s’apprête à être vendu à un industriel de la Meuse. « Il y a un vrai besoin dans l’agroalimentaire, souligne l’agriculteur, notamment les petits acteurs ». Reste à sensibiliser les PME à la qualité du CO2 issu de la méthanisation et à les convaincre de l’utiliser. Baptiste Dubois a trouvé la solution : il a fait installer son propre laboratoire capable de certifier pour son compte mais aussi pour d’autres méthaniseurs, la pureté du CO2. « Aujourd’hui, ces analyses sont intégrées aux groupes industriels et souvent inaccessibles à la méthanisation avec des coûts prohibitifs et des délais trop longs. Notre laboratoire permettrait d’obtenir des résultats et de certifier chaque citerne de CO2 en 24 heures. » L’installation, développée en lien avec Biogaz Vallée, GRDF et GTR Gaz et la Région Grand Est, devrait démarrer ces premières analyses en avril. Donnant au passage, un bon coup d’accélérateur à toute la filière.

 

Du gaz carbonique en béton

Parmi les nouveaux usages émergents, citons aussi celui béton et plus précisément de son recyclage. L’idée, en développement pour le moment, consisterait à créer des écosystèmes de recyclage de ce béton à partir du CO2 provenant des unités de méthanisation. Autre axe de valorisation, la séquestration du carbone pour l’éliminer de façon permanente, limiter l’effet de serre et lutter contre le réchauffement climatique. Selon Carbon Impact, qui développe le process, « réduire sa production de CO2 ne suffit pas, il faut produire des émissions négatives ». Tout un concept.

Gaz vert : la pompe amorcée dans l'Aube

La décarbonation issue du gaz vert, c’est-à-dire produite à partir de déchets agricoles et de biodéchets, est déjà une réalité dans l’Aube. GRDF l’a rappelé au cours d’un point presse en marge de la convention. « Dans l’Aube on produit 28 % de gaz vert, on est très en avance par rapport aux objectifs que l’on s’est fixés de 20 % en 2030 », certifie Bastien Regnier, directeur territorial régional Grand Est, pour GRDF. Et même s’il est difficile à appréhender, ce gaz vert ne passe pas inaperçu dans le département. « Des collectivités locales vont s’engager dans le cadre de contrats de vente directe de gaz vert », indique Bernard de la Hamayde, président du syndicat départemental de l’énergie de l’Aube. Quatre-vingt-quatre communes, soit deux tiers de la population auboise, sont dotées d’installations au gaz. Autre acteur engagé dans cette démarche, le bailleur social Troyes Aube Habitat. La moitié de ses logements sont chauffés au gaz avec déjà une part de gaz vert quand les bus de l’agglomération troyenne roulent eux aussi avec cette énergie. Xavier Joly, président de Gaseo, accompagne ainsi le déploiement de stations mobiles directement raccordées au réseau GRDF pour injecter du gaz vert dans la mobilité urbaine. L’agglomération troyenne, dont 14 bus circulent désormais avec cette énergie propre, pourrait bien être répliquée ailleurs, de grands comptes du transport tels que la Ratp, Kéolis ou encore Transdev ayant fait part de leur intérêt. Pour fédérer tous ces utilisateurs de gaz vert, GRDF a mis en place une mention « Gaz Vert ». Fournisseurs d’énergie, collectivités, fabricants de chaudières, installateurs… tous ceux qui s’engagent dans le déploiement du gaz vert peuvent ainsi être identifiés. Et les consommateurs peuvent de leur côté intégrer l’idée que cette énergie renouvelable est produite localement.