Betteraves
«  Le réchauffement climatique augmente la pression des insectes ravageurs »

Propos recueillis par Richard Cremonini
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La guerre en Ukraine et ses conséquences, le changement climatique, les enjeux de la filière betteravière... Cyril Cogniard, président de la CGB Champagne Bourgogne a répondu aux questions de nos confrères de la Marne Agricole. Entretien.

«  Le réchauffement climatique augmente la pression des insectes ravageurs »
Pour Cyril Cogniard, "le réchauffement climatique augmente la pression des insectes ravageurs. Les pucerons arrivent tôt en saison, au moment où la betterave est très sensible au virus de la jaunisse".

La guerre en Ukraine marque l’actualité, comment votre activité est-elle impactée ?

Cyril Cogniard : « La hausse des coûts de production est une conséquence directe de la guerre. Le bond est en moyenne de + 16 % pour cette campagne 2023, surtout imputable à l’engrais. Il faut désormais compter plus de 3 000 € de charges (variables + structure) pour produire 1 ha de betteraves.
La hausse est de 35 % en 3 ans. Heureusement, les très bons niveaux de prix actuels permettent jusqu’alors d’éviter l’effet ciseau tant redouté. La betterave est à nouveau plus rentable que les autres cultures.
Les coûts de transformation ont également explosé. Le prix du gaz est monté à des sommets (+ 200 €/MWh au plus fort de la crise). Les choses sont partiellement rentrées dans l’ordre, mais le gaz reste actuellement environ 1.5 fois plus cher qu’il y a 5 ans.
Par ailleurs, l’inflation a touché tous les autres postes et reste bien ancrée malgré une certaine stabilisation de la situation.
Un autre effet pour notre filière est l’ouverture de nos marchés européens aux produits ukrainiens. Nous avons importé plus de 300 000 t de sucre ukrainien en Europe sur la campagne actuelle : c’est l’équivalent de deux grosses usines françaises.
Nous comprenons bien qu’il faille aider les Ukrainiens. En revanche, nous n’acceptons pas qu’un afflux non maîtrisé de sucre, produit avec des molécules qui nous sont interdites en France et UE, menace notre marché. L’Ukraine a augmenté ses surfaces de 20 % cette année, il faut être vigilant ».

Quel impact du changement climatique sur votre filière ? Y a-t-il des pistes d’adaptation ?

CC : « L’augmentation des températures moyennes est plutôt un facteur favorable à la croissance et a permis d’avancer les semis d’environ un mois par rapport aux années 1990. Sur la fin de campagne, il n’est plus rare d’arracher des betteraves sur décembre, ce qui était inimaginable autrefois.
Mais les arrêts de croissance liés aux déficits hydriques et aux périodes de canicules estivales sont négatifs. 2023 échappe à la règle, mais le phénomène devient de plus en plus fréquent. Tout ce qui est pris en début de campagne avec un semis précoce est gagné. Les accidents de gel connus en 2021 sont rares, ils ne doivent pas nous dévier de l’objectif.
Enfin, le réchauffement climatique augmente la pression des insectes ravageurs. Les pucerons arrivent tôt en saison, au moment où la betterave est très sensible au virus de la jaunisse. Leur activité dure plusieurs semaines, ce qui n’est pas tellement compatible avec les restrictions sur l’usage des produits phytos.
De même, le charançon Lixus est désormais présent sur une large partie du territoire français, alors qu’il n’existait qu’en Espagne autrefois ».

Quels sont les enjeux majeurs pour l’avenir de votre filière ?

CC : « Nous devons continuer à bénéficier d’une évolution génétique très dynamique, et source de solutions. L’accélération de la recherche, l’accès aux techniques innovantes de sélection (NBT) seront déterminants.
Le plan national de recherche et d’innovation (PNRI) doit se poursuivre, le gouvernement semble en avoir la volonté, et le PNRI 2 devrait être mis sur pied à l’automne. Il nous faut des innovations de rupture, réellement efficaces, qui viendront compléter la tolérance génétique.
La protection de notre marché européen est également un gros enjeu, comme évoqué avec l’Ukraine.
De manière générale, si l’on veut un changement de modèle, avec une agriculture et une industrie agroalimentaire décarbonées, il y a un coût.
Notre modèle européen est déjà un modèle d’excellence comparativement aux autres zones, mais les exigences liées au green deal et à ses déclinaisons réglementaires vont exiger plus de décarbonation. Il faudra aussi abandonner une part de production avec le retour de la jachère et la protection de la biodiversité.
Tout cela va renchérir les coûts de production. Ceux-ci doivent être répercutés tout au long de la chaîne de valeur jusqu’au consommateur, lequel devra payer davantage pour son alimentation. L’importation de produits agricoles low cost ne peut plus continuer.
Enfin, fort de ces prix rémunérateurs et d’innovations techniques, il nous faut reconquérir les surfaces betteravières que nous avons perdues depuis 2017.
Pour cela, il faut aussi innover dans la contractualisation : les Anglais donnent la possibilité au producteur d’être acteur de son prix de vente. Leurs surfaces ont augmenté de + de 10 % en 2023, lorsque nous avons baissé de 6 % en France.
Sur les pulpes, il faut également une clarification et une sécurisation des planteurs éleveurs et méthaniseurs dans le contrat. Aujourd’hui, ils touchent une compensation financière dans leur prix de betteraves et rachètent la pulpe, sans garantie de volume. Ce système doit évoluer ».

Quelle sera l’actualité à la foire de Châlons cette année ?

CC : « La betterave sera à l’honneur pour cette édition 2023. La CGB Champagne Bourgogne, fait son retour sur la foire de Châlons-en-Champagne (Marne) du 7 au 10 septembre.
Par ailleurs, deux conférences de qualité dédiées à la betterave vont se tenir : celle du Crédit Agricole et de la FDSEA 51 le lundi 4 septembre avec les présidents de Téréos, Cristal Union et de la CGB ; et celle de la CGB Champagne Bourgogne et de la foire de Chalons le mardi 5 septembre matin, ouverte à tous, qui s’intitule « Les nouvelles techniques génomiques (NGT) au service de l’agriculture, de l’environnement et du climat. Comment dépasser les malentendus pour que l’amélioration des plantes relève les nombreux défis lancés à l’agriculture ? ».
Elle réunira Bruno Dequiedt (SES VanDerHave), Gil Rivière-Wekstein (journaliste, rédacteur d’« agriculture et environnement ») et Anne Sander (députée européenne). J’espère y rencontrer tous les planteurs de notre région ».