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La ministre de l'Agriculture en Côte-d'Or

Une visite sur fond de Mercosur

Annie Genevard s'est rendue en Côte-d'Or le 7 novembre. Au programme : la visite d'une exploitation et d'une plateforme d'expérimentation de l'Inrae, pour illustrer la thématique des alternatives aux produits phytosanitaires. Mais les propos d'Emmanuel Macron sur le Mercosur se sont aussi invités…

Par Berty Robert
Une visite sur fond de Mercosur
Reçue au Gaec Colson de Moloy, Annie Genevard a salué la résilience du modèle de polyculture-élevage, notamment lorsqu'il s'appuie sur une forte autonomie fourragère.

Il en est souvent ainsi des visites ministérielles : elles sont supposées correspondre à un thème précis mais, souvent, elles se font déborder par l'actualité. Celle de la ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Annie Genevard, en Côte-d'Or, le 7 novembre, en aura fourni une illustration. La ministre venait pour une visite centrée sur l'innovation agronomique et le développement d'alternatives aux produits phytosanitaires afin de protéger les cultures. Il en fut effectivement question, au travers de la visite du Gaec Colson, exploitation en polyculture-élevage laitier de Moloy, au nord de Dijon, puis de la découverte des travaux menés sur la plateforme de recherche de l'Inrae, à Bretenière. Mais la veille, le Président de la République, Emmanuel Macron, en visite officielle au Brésil, avait déclaré qu'il était « plutôt positif » face à la conclusion possible de l'accord du Mercosur tant décrié par le monde agricole français.

« Obtenir des assurances »

La ministre est revenue sur cette déclaration qui a semé un trouble certain dans le milieu agricole : « La position de la France est claire : le projet d'accord tel qu'il a été signé en décembre 2024 en Uruguay est inacceptable. Nous demandons :

– des clauses de sauvegarde qui protègent en cas de perturbations de marchés

– des mesures « miroir » sur les productions végétales et animales. On doit exiger des pays du Mercosur ce qui est exigé de nos propres producteurs.

– des contrôles pour faire respecter cela.

La déclaration du Président de la République, le 6 novembre, ne dit pas qu'il faut signer à tout prix. Il dit qu'il faut que nous obtenions des assurances sur les trois points que j'ai cité. Pour l'instant, le compte n'y est pas et s'il y a un moment où nous devons être exigeants, c'est maintenant. » Dans les rangs des agriculteurs présents au Gaec Colson on s'avouait tout de même dubitatif sur les clauses « miroir » et les contrôles qui devraient les accompagner. Les choix stratégiques de l'exploitation de Moloy ont été salués par la ministre, notamment sur son travail en matière d'autonomie alimentaire.

Cours du blé, DNC, prédation…

Au-delà de la question d'actualité du Mercosur, de nombreux autres thèmes ont été abordés lors de cette visite :

– Niveaux des cours en production de blé : Baptiste Colson a alerté la ministre sur les coûts de production du blé, l'effet ciseaux des prix de vente trop bas et la perspective peu réjouissante de l'arrivée du Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2026. Il pourrait renchérir les engrais de près de 150 euros/t : « Nous sommes aussi, précisait-il, une exploitation engagée avec l'assurance climatique mais aujourd'hui, on se pose des questions, avec les moyennes olympiques des rendements qui diminuent. » La ministre a annoncé à cette occasion que le système de la moyenne olympique allait être revu dans le but d'allonger la période de référence. « Trois ans ce n'est pas suffisant… » reconnaissait-elle. « Sur le renchérissement des engrais, poursuivait-elle, nous allons prendre des initiatives, y compris au niveau européen. Si le MACF se met en place, nous souhaitons un affaiblissement des droits de douane sur d'autres sources d'engrais que ceux importés de Russie. Au prochain conseil agricole européen, l'Irlande va présenter une proposition pour corriger ce problème des prix des engrais. Fondamentalement, la stratégie qui consiste à diminuer le recours aux engrais est bonne, sur les plans environnemental et économique. » Clément Babouillard, président de la commission Productions végétales de la FDSEA 21, a décrit une situation qualifiée de « catastrophique » sur les grandes cultures, d'autant plus en zones intermédiaires : « On est en train de tuer notre système productiviste. Nous avons de fortes attentes envers le Gouvernement. La fragilisation de nos exploitations se répercute sur nos organismes stockeurs. On rend malade tout un système économique. » Il était relayé par le président de la Chambre d'agriculture de Côte-d'Or, Jacques de Loisy : « Dans le cadre de la future PAC, un rééquilibrage en faveur des zones intermédiaires serait salvateur. » Ce dernier a aussi remis à Annie Genevard le Manifeste sur l'Eau présenté fin septembre et qui résulte d'une réflexion sur les usages de l'eau, pour l'agriculture, mais aussi pour d'autres besoins. « En zones intermédiaires, précisait Antoine Carré, président de la FDSEA de Côte-d'Or, on est des déjà dans des réductions assez drastiques d'usage des produits phytosanitaires. Je me suis installé le 1er janvier 2014 et j'avais alors acheté une tonne d'engrais azoté au même prix que la tonne de blé (170 euros). Aujourd'hui, le blé est toujours à ce prix-là mais la tonne d'engrais azoté est à 390 euros ! Il n'y a plus de rentabilité sur les grandes cultures dans nos zones. Les exploitations se sont diversifiées et ont cherché des solutions mais aujourd'hui il faut redonner une perspective. » Vincent Lavier, président de la Chambre d'agriculture de Bourgogne-Franche-Comté en profitait pour glisser un message sur l'importance du sujet des Paiements pour services environnementaux (PSE) qui doivent être plus valorisés.

– DNC et sanitaire : Antoine Carré est revenu sur cette maladie qui affecte la Côte-d'Or, même si aucun cas n'y a été détecté. Il déplorait une baisse de prix des bovins, alors que la ministre s'était engagée à ce que le blocage de l'export n'ait pas d'impact sur les cours : « aujourd'hui, nous perdons entre 100 et 150 euros par broutard vendu. Nous vous demandons d'avoir une vigilance particulière face à cette baisse de marché. » Annie Genevard a précisé la chose suivante : « J'ai appelé tous les acteurs du commerce, ils ont pris des engagements, ils doivent les tenir, j'y veillerai. » Elle a également insisté sur l'état psychologique des éleveurs dont les bêtes sont menacées : « on est parfaitement conscients du traumatisme que peut représenter un abattage lié à la maladie. Je veux saluer les services de l'État qui travaillent sans relâche sur la prise en charge des mesures nécessaires, tout comme les GDS et les vétérinaires. » Le président de la FDSEA 21 a aussi tenu à l'alerter sur une recrudescence de la FCO qui entraîne de la mortalité chez les veaux.

– La situation de l'élevage ovin et la prédation : Julien Pané, président des éleveurs ovins de Côte-d'Or, a pour sa part, attiré l'attention de la ministre sur les coûts des vaccins FCO, plus les pertes directes et indirectes liées à la maladie. Il fut également question du problème récurrent de la prédation : « On demande de pouvoir se défendre » concluait-il avant d'aborder la question des prix de la viande ovine : « En Europe, on joue tous la même partie, mais avec des règles du jeu différentes ». Pour Annie Genevard « le changement récent de statut de protection du loup doit avoir des conséquences sur sa gestion. Nous avons obtenu d'augmenter le quota de loups prélevés, de 19 à 21 % des effectifs. Je veux également qu'il y ait des tirs de prélèvement, que l'on puisse aller chercher le loup lorsqu'il y a un haut niveau de prédation et pas seulement attendre qu'il soit menaçant pour les troupeaux. »

« La transition réclame du temps »

« La transition réclame du temps »

Dans le cadre d'une visite consacrée aux alternatives possibles au recours aux produits phytosanitaires, Annie Genevard s'est rendue sur la plateforme d'expérimentation en agroécologie CA-SYS de l'Inrae à Bretenière. Une plateforme de 140 ha mise en place en 2018. 4 systèmes de grandes cultures y sont testés, en lien avec l'agriculture de conservation des sols et l'agriculture biologique. En travaillant sur le sans-pesticide, la plateforme se place volontairement dans un cadre de contraintes fortes qui oblige à innover et chercher des solutions alternatives aux pesticides. Ses systèmes expérimentaux sont conçus avec les agriculteurs dans une logique d'innovation ouverte et avec l'objectif de bâtir des stratégies alternatives aux produits phytosanitaires. Devant la ministre, Stéphane Cordeau, chargé de recherche à l'Inrae, a précisé : « On étudie le temps que réclame une transition agroécologique. » La ministre, qui a sollicité l'Inrae récemment pour un rapport sur les impasses de traitements sur certaines productions végétales en est consciente : « il y a des produits phytosanitaires qui sont les médicaments des plantes et il faut comprendre que la transition réclame du temps. Le monde agricole a déjà beaucoup diminué son recours aux phytos, mais il y a des filières où, pour l'instant, aucune alternative n'est possible. »