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En Haute-Saône

Une visite attendue

Le 9 mai, au Gaec du Pré Charmant, en Haute-Saône, la ministre de l'Agriculture Annie Genevard a échangé avec les responsables agricoles sur plusieurs sujets : désengagement de Lactalis, pression de la prédation, impatiences sur le projet de loi visant à alléger les contraintes en agriculture.

Par Alexandre Coronel
Une visite attendue
Nicolas Lemercier a symboliquement mis à bas le panneau apposé au fronton de son exploitation qui l’identifiait comme « producteur Lactalis »

Annie Genevard était en visite officielle en Haute-Saône, du côté de Fougerolles, au nord de Luxeuil, le 9 mai. Elle a passé une bonne partie de la matinée dans une exploitation laitière du hameau de Communailles, le Gaec du Pré Charmant, où elle a pu longuement échanger avec les deux associés, Nicolas Lemercier et son fils Mathieu. L’élevage, en agriculture biologique, avec une référence de 900 000 litres, n’avait pas été choisi au hasard : il fait partie de ceux dont l’entreprise Lactalis a décidé de se séparer brutalement en septembre dernier, pour optimiser ses coûts de production. 

Un reclassement coûteux

Nicolas Lemercier, qui a symboliquement déboulonné le panneau l’identifiant comme « producteur lactalis » sous les yeux de la ministre, a exposé les conséquences concrètes de la défection du numéro un mondial. « Le tank à lait que nous utilisons appartient à Lactalis : il va falloir investir dans un nouveau tank, c’est 30 000 €… l’achat de parts sociales pour entrer dans la coopérative qui va nous collecter à la place de Lactalis, c’est 50 000 € », a-t-il rapidement chiffré pour la représentante de l’État. « Ce sont de gros investissements qui n’étaient pas prévus et qui vont peser sur nos autres projets, tels que l’installation d’un jeune », précise-t-il. « Nous suivons attentivement ce dossier, a assuré la ministre, qui rencontre régulièrement à ce sujet les dirigeants de la FNPL : je salue le gros travail des producteurs et de leurs organisations syndicales pour trouver des solutions collectives, leur réactivité et leur souci de solidarité pour que personne ne reste sur le carreau. Nous sommes heureusement dans un contexte favorable avec une demande de lait supérieure à l’offre. Même si la dynamique est à l’œuvre, c’est plus compliqué pour des fermes isolées, avec des petites références », a-t-elle reconnu. « Nous sommes dans une zone difficile, montagneuse, avec des coûts de collecte du lait plus élevé… nous voudrions des aides pour conforter les entreprises coopératives qui ont accepté de jouer le jeu et de reprendre les producteurs abandonnés par Lactalis en bloc, sans faire leur marché en ne gardant que les plus intéressants pour eux », a insisté Michaël Muhlematter, le président de la Chambre d’agriculture, lui-même producteur de lait et très impliqué dans le volet syndical du dossier. « La collecte, le renouvellement des tanks à lait qui pour partie ne répondront pas aux prochaines normes, et enfin l’investissement : voilà trois sujets où nous demandons le soutien de l’État. » 

L'épineux dossier loup

Annie Genevard a semblé sensible à tous ces arguments, et a témoigné de son attachement aux fermes familiales, pratiquant la polyculture-élevage. « Ici, en faisant pâturer les vaches dans les vergers de cerisiers, vous pratiquez une forme d’agroforesterie vertueuse, favorable à la fois au bien-être animal et à l’environnement. Des cerisiers pour la production du kirsch, ce fleuron de notre gastronomie… c’est la cerise sur le gâteau ! », a-t-elle complimenté, après avoir accompagné la sortie du troupeau laitier. Un modèle vertueux, certes, en proie néanmoins à un risque de prédation qui compromet sa pérennité, comme l’a rappelé Emmanuel Aebischer, le président de la FDSEA de Haute-Saône. Il déplore en particulier l’inertie préfectorale face à une vague d’attaques de loup sur les troupeaux ovins et bovins du nord du département, depuis l’automne dernier, et qui reprend ce printemps avec une récente attaque à Fontenois-lès-Montbozon. « Pourquoi monsieur le Préfet n’a-t-il jamais pris d’arrêté de tirs de défense simple alors qu’il y a eu des attaques répétées ? » A ce sujet, la ministre de l’Agriculture s’est voulue optimiste, annonçant du nouveau pour les prochaines semaines. « Attention, je ne remets pas en cause la protection de l’espèce, a-t-elle pris la précaution de déclarer préalablement : députée d’un territoire d’élevage qui est confronté à des attaques de loups dévastatrices - qui compromettent l’équilibre économique des exploitations et l’équilibre psychologique des éleveurs et de leurs familles - je suis très sensible à cette question sur laquelle je travaille depuis longtemps, notamment avec l’Association nationale des élus de montagne. Nous élaborons un nouveau plan loup qui permettra une meilleure coexistence, avec un décret actuellement en consultation pour autoriser les tirs de défense simple, même en l’absence d’attaque, dès lors que la démonstration a été faite de la non-protégeabilité des élevages de la zone concernée. Par ailleurs, l’OFB a inauguré dernièrement une nouvelle méthode de comptage, qui va désormais s’appuyer sur l’identification des individus par leur ADN, ce qui, j’espère, sera plus fiable pour quantifier les populations et éliminer les loups problématiques. » 

Contraintes réglementaires

Enfin, les participants à cette rencontre sur le terrain ont pu entrevoir la complexité du processus législatif… à travers le cas de figure de la loi visant à abaisser les contraintes liées à l’exercice du métier d’agriculteur. Alors que la proposition de loi émanant du Sénat répondait en grande partie aux attentes – et aux impatiences – du monde agricole, ses examens successifs par les diverses commissions de l’Assemblée nationale et en séance publique se sont traduits par des amendements qui en affaiblissent la portée, notamment sur la thématique du stockage de l’eau. « Vous pourriez mobiliser un peu plus les députés, a fait remarquer le député RN Émeric Salmon à la ministre, parce qu'autant les sénateurs ont fait le travail […] autant en commission, les députés du Bloc, du socle commun n'étaient pas très mobilisés pour défendre les textes. » Annie Genevard a insisté sur la nécessité pour chaque électeur de sensibiliser son député à l’intérêt du texte, tandis qu’elle poursuit son travail pour convaincre. « Moi, je souhaite qu'ils l'adoptent. En tout cas, que le texte ne soit pas obstrué, qu'il puisse véritablement aller à son terme. Donc, c'est tout ce travail que je suis en train de faire, dans la discrétion, en recevant les députés pour leur expliquer les enjeux de souveraineté alimentaire et d’adaptation de l’agriculture au changement climatique. »