Une vision partagée pour l'avenir
Résultat d'une réflexion de plus de deux années, le Manifeste pour une eau au service de la souveraineté agricole et alimentaire a été présenté lors d'un forum dédié, en Côte-d'Or. Un travail exemplaire qui considère la préservation de la ressource en eau de manière globale.
« À Brazey-en-Plaine, où toutes les exploitations disposent d'un accès sécurisé à l'eau, une sérénité a été retrouvée, ainsi qu'une dynamique de renouvellement des générations, parce que des productions à forte valeur ajoutée sont présentes sur les exploitations. Les fermes ne s'agrandissent pas, elles se transmettent ». Ces propos, c'est Jacques de Loisy, président de la Chambre d'agriculture de Côte-d'Or, qui les tenait le 26 septembre à Izier, près de Dijon, à l'occasion du Forum « Eau et Territoire : sécuriser demain ». Cet événement servait de cadre à la remise officielle du « Manifeste pour une eau au service de la souveraineté agricole et alimentaire », résultat de plus de deux ans de travail et de réflexions ayant fédéré la Chambre d'agriculture et de nombreux autres partenaires. En tenant ces propos, Jacques de Loisy souhaitait illustrer les enjeux de la préservation des ressources en eau. Mais le travail qui a conduit à ce Manifeste se voulait aussi une illustration de la capacité du monde agricole local à penser ces questions de manière globale, au-delà des préoccupations propres à ses activités.
Engagement de l'État
Une approche saluée par le Préfet de Côte-d'Or et de Région BFC, Paul Mourier : « C'est, disait-il, l'illustration parfaite d'un vrai travail d'équipe, essentiel pour éviter les conflits d'usage. Il faut agir pour disposer d'un plan d'action sur les usages de l'eau. Quand l'eau de pluie tombe en masse, il faut être en capacité de la retenir et c'est pourquoi j'ai décidé d'engager l'ensemble des services de l'État sur une démarche très volontaire pour disposer d'une vision générale sur la question de la ressource en eau car j’estime que le territoire de la Côte-d'Or n'est pas prêt face à cet enjeu et que nous sommes en situation de risque. » Cette vision élargie, le forum d'Izier l'illustrait en offrant des points de vue multiples sur la question de la ressource en eau. Scientifique, avec Marjorie Ubertosi, enseignante chercheuse au sein de l'Institut Agro Dijon, juridique, avec Carole Zakine, juriste, spécialiste du droit de l'environnement adapté à l'agriculture, mais aussi à travers des exemples d'initiatives agricoles ou l'expression de besoins industriels ou sécuritaires, notamment sur la lutte contre les incendies (voir encadré).
« Concrétiser une dynamique »
Jacques de Loisy, qui rappelait que ce travail de fond sur l'eau avait été initié par son prédécesseur, Vincent Lavier, soulignait aussi que « l'écoute de l'État et l'implication croissante des élus ont témoigné d'une volonté de changement. À nous, désormais de concrétiser cette dynamique, avec discernement, mais sans attendre. Je remercie les services de l'État pour leur collaboration active, en particulier Manuelle Dupuy, Directrice départementale du territoire (DDT). Ensemble, cet été, nous avons sillonné le département, toutes productions et tous modes de production confondus. Partout, le même constat : il nous faut produire plus et mieux, quelles que soient les conditions. Nous devons stocker l'eau lorsqu'elle est disponible, pour mieux la redistribuer ensuite dans son milieu. J'ai proposé un principe simple à nos nombreux partenaires (Conseil départemental, associations de maires ruraux…) : capter l'eau de surface, de ruissellement, de drainage, issue de zones urbaines ou de zones d'activité, mais ne jamais puiser dans la nappe. Cela permettrait de remettre en eau des étangs, de créer de nouveaux plans d'eau. Il est hors de question de reproduire dans notre département des erreurs liées à des projets décriés ailleurs. Il faudra lever certains freins réglementaires mais face à l'enjeu du renouvellement des générations en agriculture et de la préservation de nos productions, nous devons transformer l'essai. » Il était rejoint en cela par Didier Lenoir, président de Dijon Céréales et l'un des principaux partenaires du travail accompli : « Il est important d'avoir une vision constructive et transversale de la situation sur la ressource en eau. Pour nous c'est une question au cœur de la politique de recherche & Développement (R&D) d'Alliance BFC, qui regroupe les coopératives Dijon Céréales, Bourgogne du Sud et Terres Comtoise, que ce soit pour préserver des productions actuelles, mais aussi pour se lancer sur de nouvelles productions. »
Une ambition inédite
La scientifique Marjorie Ubertosi a dressé le constat d'une forte évolution des températures sur notre région et d'une baisse des débits de cours d'eau. Mais elle a surtout pointé le fait que le dérèglement climatique entraîne une distribution différente des précipitations. Les quantités de pluie ne devraient pas changer, mais leur période de distribution devrait évoluer, avec plus de pluie sur l'automne-hiver et une diminution sur les fins de printemps et été. D'où l'augmentation des sécheresses estivales et des crues hivernales entraînant des déficits hydriques et des pertes de rendements agricoles. Quant à la juriste Carole Zakine, elle a insisté sur la loi d'orientation agricole (LOA) de mars dernier en en soulignant l'ambition puisqu'elle a signifié que protéger l'agriculture était d'un intérêt général majeur. « C'est la première fois, précisait-elle, qu'on a une affirmation d'intérêt général de cette ampleur. La protection des productions agricoles relève bien, en droit, de ce principe d'intérêt général majeur de l'agriculture. » Et de conclure : « On doit aujourd'hui aborder l'agriculture sous l'angle positif de la participation à la souveraineté alimentaire de la nation. C'est une vraie nouveauté. »
Agriculteurs, industriels, sapeurs-pompiers…
Il était hors de question de dissocier, dans le Manifeste comme dans le Forum, les besoins agricoles en eau d'autres besoins. Plusieurs témoignages ont ainsi pu nourrir la réflexion : – Pascal Chadoeuf, agriculteur de Côte-d'Or, président de l'Association syndicale autorisée (ASA) Champaison a évoqué la retenue d'eau créée il y a plusieurs années à Fauverney. Un volume d'eau qui permet d'irriguer des cultures d'oignons, de pommes de terre, du soja, du maïs semence… Lorsqu'il tombe 10 mm de pluie sur la zone, le bassin recueille entre 3 500 et 4 000 m3 d'eau.
– Matthieu Labonde, polyculteur-éleveur au sein du Gaec Corvée de la Tour, à Auxant, au sud-ouest de la Côte-d'Or. Confronté à un manque d'eau chronique qui l'obligeait à faire du transport d'eau coûteux en temps comme en argent, et entraîne des pertes de performances de croissance sur ses bovins, il a imaginé une solution pour capter de l'eau l'hiver et la redistribuer l'été, sans impacter l'écosystème. Cela a abouti à la création d'une réserve d'eau de 450 m3. De l'eau filtrée et stockée dans une poche, avec création d'un réseau de distribution. Tout devrait être fonctionnel pour la fin 2025.
– Éric Joly, directeur des sites de fabrication Europe de l'entreprise allemande Symrise, qui a un site en Côte-d'Or, à Villers-lès-Pots, qui emploie 80 personnes. Il a besoin de préserver ses matières premières (fruits et légumes) et les besoins en eau propres au site industriel. L'entreprise est parvenue à faire des économies d'eau de l'ordre de 15 % ces dernières années.
– Colonel Bertrand Lepoutère et capitaine Hélène Denys, du SDIS de la Côte-d'Or. Leur priorité est la rapidité et l'efficacité dans l'action contre les incendies. Les réserves d'eau voulues par le monde agricole pourraient leur permettre de réalimenter leurs moyens de lutte en cas d'intervention. Mais ils réclament des aménagements près de ces points d'eau, aptes à recevoir les véhicules d'intervention pour leur rechargement.