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Nouvelle filière

Une diversification «à la noix»

Neuf agriculteurs de Puisaye-Forterre se sont lancés dans une aventure collective en implantant 50 ha… de noix et de noisettes !
Par Orianne Mouton
Une diversification «à la noix»
Hugo Verdonck et Loïc Guyard dans la récente noyeraie à Thury
Chacun y est allé de quelques parcelles, d’un à quinze hectares par agriculteur, pour former au total 50 ha de noyers et quelques noisetiers.
Ils sont céréaliers ou polyculteurs-éleveurs, membres d’un groupe technique qui les réunit régulièrement. Suite aux résultats médiocres de la récolte 2016, Hugo Verdonck, céréalier à Coulanges-sur-Yonne et ancien producteurs de petits fruits, exprime au groupe sa volonté de se lancer dans la production de noix. Il a suivi une formation dans le département du Lot, zone productrice du fruit sec et a été emballé. Son projet a séduit huit autres agriculteurs de Thury, Lainsecq, Étais-la-Sauvin, Courson-les-Carrières, et Tannay (58), qui se sont lancés dans l’aventure. Pour faire face aux rendements et aux prix fluctuants, la diversification a semblé bienvenue pour Loïc Guyard, en polyculture-élevage : «Sur le marché français, on trouve 80 % de noix importées, il y a un vrai débouché d’autant plus que la demande en fruits secs augmente. Quant à la possibilité de produire, il y avait beaucoup de noyers dans le département au début du siècle dernier, la zone s’appelait même «l’openfield de la noix», ça rassure de savoir que les noyers se développaient ici.»

La force du collectif
L’aventure lancée en 2016 se poursuit avec un plan d’action et l’accompagnement de la Chambre d’agriculture de l’Yonne qui les guide dans leur projet sur les aspects juridiques, les formations ou encore les recherches de financement. Justement, le collectif est lauréat d’un appel à projet plan Écophyto II, permettant le financement de 60 % de l’investissement de plantation de 4 400 €/ha. «On est tous dans des situations financières tendues, heureusement qu’on a pu trouver des solutions pour alléger notre investissement propre.» L’Yonne n’étant pas vraiment une terre de noix, les novices de la nuciculture (la culture de la noix) sont tous allés se former dans le pays de la noix du Périgord. Ils reçoivent les précieux conseils d’une spécialiste en la matière lotoise, qui leur rend régulièrement visite et les guide au quotidien grâce à un groupe de messagerie instantanée.
Avant l’implantation des premiers arbres, en 2017, les neuf agriculteurs ont créé l’association «Noix et noisettes de Bourgogne», sous la présidence d’Hugo Verdonck : «Il fallait qu’on se regroupe pour pouvoir mutualiser les moyens, communiquer sur notre projet, promouvoir la noix et continuer à trouver des financements.» La première plantation de noyers a eu lieu en mars 2018 et d’autres plants devraient agrémenter les rangs l’hiver prochain pour atteindre les 50 ha prévus. La première récolte attendra 2025 dans les parcelles non-irriguées, 2024 pour les noyeraies irriguées. Mais pas de repos d’ici là pour les agriculteurs ! Une CUMA devrait voir le jour pour assurer un équipement adapté à la production. De même qu’une société commerciale pour vendre les produits. En effet, si les premières noix récoltées sont destinées à la coopérative lotoise qui les accompagne, en demande de produits, les agriculteurs souhaitent réaliser une étude de marché pour jauger leur souhait de valoriser les noix jusqu’au consommateur. «La majorité d’entre nous a la volonté de commercialiser directement nos produits. Pour les céréales, c’est trop tard, mais pour les noix, on voudrait avoir la main de la production au consommateur» explique Loïc Guyard. L’ambition du groupe est d’investir dans des infrastructures de lavage, séchage, calibrage, décorticage, mise en cerneaux voire de transformation, pour vendre les noix et noisettes de Bourgogne bio de façon locale.

Un pari sur l’avenir
Avec une première récolte prévue dans sept ans, c’est le plongeon dans l’inconnu pour les neuf agriculteurs. «Il n’y a pas de référence ici… On verra bien ! Les rendements du Lot en irrigué sont de 4 t/ha en moyenne. On espère faire 2 à 2,5 t/ha ici. Le prix de vente s’élève à 3 000 €/t et les données dont on dispose évoquent un EBE à 1 000 € ha.» Les coûts d’entretien annuels avant production s’élèvent à 586 €/ha sur huit ans puis à 1 600 €/ha en production. Concernant les conditions d’implantation et de réussite, les nouveaux nuciculteurs ont tout étudié : la pluviométrie en Forterre est similaire à celle du Lot, bien que répartie différemment. Ce sont surtout les gelées tardives qui pourraient influencer la production bourguignonne. Terres profondes, terres à cailloux, les conséquences sont les mêmes que sur les céréales : les noyers donneront plus dans les bonnes terres. Pour leur assurer un bon développement et une bonne production, 800 heures de travail annuel sont nécessaires sur l’ensemble des 50 ha de noyers. Après la plantation de 150 plants/ha, la mise en place de protections contre le gibier et de protection du sol contre les adventices, les plants doivent être arrosés l’été et «atomisés» trois à quatre fois par an. L’atomisation correspond à l’aspersion d’oligo-éléments et azote organique visant à favoriser le développement et la production de l’arbre. Pour l’entretien de la surface plane exigée pour la récolte des noix, des couverts végétaux sont implantés entre les rangs.

Toutes les conditions semblent réunies pour la réussite du projet. Encore quelques années de patience seront nécessaires pour récolter le fruit du travail et de l’investissement des neuf agriculteurs. Le temps d’organiser une valorisation à la hauteur de leurs espérances.