Interview
Une crise annoncée
Alors qu’une nouvelle fois le groupe Lactalis fait polémique pour avoir mis fin aux contrats les liant avec des éleveurs ayant témoigné dans un reportage télé diffusé en octobre dernier, rencontre avec Didier Lincet, président de la fromagerie éponyme ancrée dans le paysage laitier départemental depuis près de 60 ans.
Fondée en 1895 dans la Marne, la fromagerie Lincet a été contrainte, faute de lait disponible, à s’expatrier dans l’Yonne à la fin des années 50. Le siège de l’entreprise est toujours resté depuis, à Saligny, dans le Sénonais. Succédant à son père, Jean, Didier Lincet en tient les rênes depuis 1989, s’efforçant de conserver des valeurs familiales basées sur la tradition artisanale, la qualité des produits et la fidélité dans les approvisionnements. La collecte annuelle avoisine 38 millions de litres de lait, répartie essentiellement sur l’Aube pour la filière chaource et l’Yonne, ainsi qu’en Côte d’Or pour la filière époisses, en provenance de 66 producteurs. La taille moyenne des exploitations collectées étant de 60 vaches pour un volume annuel de 560 000 litres de lait.
- Quel est le prix moyen payé aux producteurs ?
Didier Lincet : «Pour 2016, sur la zone Aube/Yonne, il aura été de 365 €, prix réel payé, toutes qualités confondues, avec une fourchette de prix liée aux primes et à la qualité du lait pouvant aller jusqu’à 40 €, en fonction de critères définis. De façon objective, je crois pouvoir dire que les relations avec nos producteurs aujourd’hui, sont très apaisées. Et même si, au prix où l’on échange, ce n’est pas le paradis sur terre non plus, disons que c’est un prix décent qui peut permettre à un éleveur de vivre et faire fonctionner son exploitation normalement».
- Vous avez anticipé l’arrêt des quotas en instaurant un système de régulation
«C’est même un système que l’on a mis en place depuis trois ans. C’est un principe de fond et même si c’est un peu réducteur, c’est là que l’on diverge et France et même en Europe, entre systèmes coopératif et privé… Je suis parti depuis plusieurs années du principe qu’il fallait essayer de faire coller les volumes de lait produits et collectés par l’entreprise, à ses besoins et aux marchés. Je considère que produire du lait, et c’est valable pour tout type de productions agricoles, sans avoir un débouché derrière c’est une erreur grave… Je ne suis pas vent debout pour autant contre les coopératives, il suffit de voir ce que fait aujourd’hui la filière Comté, avec ses 700 millions de litres de lait gérés par l’aval par le biais de nombreuses coopératives et ça marche bien».
- Quel en est le fonctionnement dans la pratique ?
«Globalement, tous nos producteurs ont adhéré facilement au principe de dire : «on produit ce dont on a besoin, mais en contrepartie, on pratique une politique rémunératrice». Un volume prévisionnel de ventes de fromages est établi par notre directeur commercial chaque année, que l’on convertit en litres de lait et de crème. Nous nous tournons ensuite vers nos producteurs pour leur expliquer nos besoins, en leur demandant quelles sont leurs perspectives en matière de volumes pour l’année à venir et la discussion s’engage autour de la confrontation des deux volumes. On ne part pas d’une feuille blanche bien sûr et des garde-fous existent dans nos contrats avec nos producteurs, où il est spécifié que la dernière référence laitière notifiée par France Agrimer au 31 mars 2015 est la base contractuelle, au moment de l’arrêt des quotas. Nous partons de l’existant et faisons varier les volumes d’une année sur l’autre, en fonction des besoins des deux parties. Cela, c’est pour la gestion des volumes, mais nous avons aussi un autre volet portant sur le prix, avec la mise en place d’une formule de calcul tenant compte du prix de vente moyen annuel de nos fromages, attesté par notre Commissaire aux comptes et du prix moyen de revente du lait non transformé. En ressort un indice par rapport à une base 100 correspondant à la moyenne du prix du lait sur la période 2013/2014, qui étaient deux bonnes années et sur cette base est appliqué chaque année l’indice d’évolution des prix de vente des fromages et de l’excédent».
- A vos yeux, la crise laitière était-elle annoncée ?
«Aller tout coller sur le dos de Lactalis aujourd’hui pour en trouver le coupable, c’est un peu facile, les politiques pour le coup ont aussi leur responsabilité. Au niveau de la profession, nous sommes un certain nombre via l’interpro et nos fédérations professionnelles, à avoir tiré depuis près de deux ans, la sonnette d’alarme, en France comme en Europe. Faut-il oublier que depuis aout 2014 et l’embargo russe, plus de 500 000 tonnes de fromages par an, ne sont plus exportées ! Embargo plus quelques mois après arrêt des quotas, on avait là tous les ingrédients générateurs d’une crise, avec une réduction des débouchés au niveau de l’Europe et dans le même temps, une augmentation de la production, même si très honnêtement, je ne pensais pas qu’elle serait de cette ampleur».
- Quelles conséquences a eu l’embargo russe pour la fromagerie Lincet
«Nous n’étions pas jusqu’alors sur des volumes très importants, mais ils commençaient à progresser fortement. Le potentiel était important et l’on prévoyait même qu’il pouvait représenter de 2 à 3 % de notre volume global».
- Lors de la réunion au Conseil départemental sur la crise agricole, vous avez évoqué le système d’assurance collectif sur les marges en vigueur aux Etats-Unis
« C’est un système que je trouve assez intelligent, basé sur une caisse de péréquation abondée à la fois par la profession laitière sur la base de cotisations volontaires et par l’Etat fédéral. Pourquoi ne pas tenter un système similaire en Europe ? Aujourd’hui, chez nous, producteurs et transformateurs alimentent bien déjà par leurs cotisations, une caisse servant à financer la communication publicitaire autour des produits laitiers. On pourrait imaginer avoir une cotisation alimentant un fonds de garantie sur les marges, abondé aussi en partie par des fonds européens, permettant de constituer une réserve financière dans laquelle on viendrait puiser les années où la marge des exploitations est en difficulté, sans que pour autant ce soit une aide au prix de vente, mais bien réservée à la marge des exploitations. Mais pour que ça marche, il faudrait que le système soit porté par l’Europe toute entière, sans ce clivage existant aujourd’hui entre pays du Nord et du Sud».
- La baisse du nombre d’éleveurs laitiers vous inquiète ?
«Oui bien sûr, même si l’on a réussi à stabiliser un peu les choses, avec l’arrivée de 6 jeunes allant grossir les rangs de nos producteurs en 2017. Mais l’arrêt de certaines exploitations dans les mois ou années à venir va fragiliser un peu plus la filière, avec le risque de voir disparaître certains services techniques ou vétérinaires, avec moins de conseillers d’élevage, moins de service de remplacement… C’est une filière qui s’appauvrit et à un moment donné, nos producteurs risquent de se sentir très isolés, même avec un prix du lait rémunérateur. Nous sommes on le sait, dans une région qui n’a pas de vocation laitière, mais le problème empire et c’est vrai, cela m’inquiète».
- Quel est le prix moyen payé aux producteurs ?
Didier Lincet : «Pour 2016, sur la zone Aube/Yonne, il aura été de 365 €, prix réel payé, toutes qualités confondues, avec une fourchette de prix liée aux primes et à la qualité du lait pouvant aller jusqu’à 40 €, en fonction de critères définis. De façon objective, je crois pouvoir dire que les relations avec nos producteurs aujourd’hui, sont très apaisées. Et même si, au prix où l’on échange, ce n’est pas le paradis sur terre non plus, disons que c’est un prix décent qui peut permettre à un éleveur de vivre et faire fonctionner son exploitation normalement».
- Vous avez anticipé l’arrêt des quotas en instaurant un système de régulation
«C’est même un système que l’on a mis en place depuis trois ans. C’est un principe de fond et même si c’est un peu réducteur, c’est là que l’on diverge et France et même en Europe, entre systèmes coopératif et privé… Je suis parti depuis plusieurs années du principe qu’il fallait essayer de faire coller les volumes de lait produits et collectés par l’entreprise, à ses besoins et aux marchés. Je considère que produire du lait, et c’est valable pour tout type de productions agricoles, sans avoir un débouché derrière c’est une erreur grave… Je ne suis pas vent debout pour autant contre les coopératives, il suffit de voir ce que fait aujourd’hui la filière Comté, avec ses 700 millions de litres de lait gérés par l’aval par le biais de nombreuses coopératives et ça marche bien».
- Quel en est le fonctionnement dans la pratique ?
«Globalement, tous nos producteurs ont adhéré facilement au principe de dire : «on produit ce dont on a besoin, mais en contrepartie, on pratique une politique rémunératrice». Un volume prévisionnel de ventes de fromages est établi par notre directeur commercial chaque année, que l’on convertit en litres de lait et de crème. Nous nous tournons ensuite vers nos producteurs pour leur expliquer nos besoins, en leur demandant quelles sont leurs perspectives en matière de volumes pour l’année à venir et la discussion s’engage autour de la confrontation des deux volumes. On ne part pas d’une feuille blanche bien sûr et des garde-fous existent dans nos contrats avec nos producteurs, où il est spécifié que la dernière référence laitière notifiée par France Agrimer au 31 mars 2015 est la base contractuelle, au moment de l’arrêt des quotas. Nous partons de l’existant et faisons varier les volumes d’une année sur l’autre, en fonction des besoins des deux parties. Cela, c’est pour la gestion des volumes, mais nous avons aussi un autre volet portant sur le prix, avec la mise en place d’une formule de calcul tenant compte du prix de vente moyen annuel de nos fromages, attesté par notre Commissaire aux comptes et du prix moyen de revente du lait non transformé. En ressort un indice par rapport à une base 100 correspondant à la moyenne du prix du lait sur la période 2013/2014, qui étaient deux bonnes années et sur cette base est appliqué chaque année l’indice d’évolution des prix de vente des fromages et de l’excédent».
- A vos yeux, la crise laitière était-elle annoncée ?
«Aller tout coller sur le dos de Lactalis aujourd’hui pour en trouver le coupable, c’est un peu facile, les politiques pour le coup ont aussi leur responsabilité. Au niveau de la profession, nous sommes un certain nombre via l’interpro et nos fédérations professionnelles, à avoir tiré depuis près de deux ans, la sonnette d’alarme, en France comme en Europe. Faut-il oublier que depuis aout 2014 et l’embargo russe, plus de 500 000 tonnes de fromages par an, ne sont plus exportées ! Embargo plus quelques mois après arrêt des quotas, on avait là tous les ingrédients générateurs d’une crise, avec une réduction des débouchés au niveau de l’Europe et dans le même temps, une augmentation de la production, même si très honnêtement, je ne pensais pas qu’elle serait de cette ampleur».
- Quelles conséquences a eu l’embargo russe pour la fromagerie Lincet
«Nous n’étions pas jusqu’alors sur des volumes très importants, mais ils commençaient à progresser fortement. Le potentiel était important et l’on prévoyait même qu’il pouvait représenter de 2 à 3 % de notre volume global».
- Lors de la réunion au Conseil départemental sur la crise agricole, vous avez évoqué le système d’assurance collectif sur les marges en vigueur aux Etats-Unis
« C’est un système que je trouve assez intelligent, basé sur une caisse de péréquation abondée à la fois par la profession laitière sur la base de cotisations volontaires et par l’Etat fédéral. Pourquoi ne pas tenter un système similaire en Europe ? Aujourd’hui, chez nous, producteurs et transformateurs alimentent bien déjà par leurs cotisations, une caisse servant à financer la communication publicitaire autour des produits laitiers. On pourrait imaginer avoir une cotisation alimentant un fonds de garantie sur les marges, abondé aussi en partie par des fonds européens, permettant de constituer une réserve financière dans laquelle on viendrait puiser les années où la marge des exploitations est en difficulté, sans que pour autant ce soit une aide au prix de vente, mais bien réservée à la marge des exploitations. Mais pour que ça marche, il faudrait que le système soit porté par l’Europe toute entière, sans ce clivage existant aujourd’hui entre pays du Nord et du Sud».
- La baisse du nombre d’éleveurs laitiers vous inquiète ?
«Oui bien sûr, même si l’on a réussi à stabiliser un peu les choses, avec l’arrivée de 6 jeunes allant grossir les rangs de nos producteurs en 2017. Mais l’arrêt de certaines exploitations dans les mois ou années à venir va fragiliser un peu plus la filière, avec le risque de voir disparaître certains services techniques ou vétérinaires, avec moins de conseillers d’élevage, moins de service de remplacement… C’est une filière qui s’appauvrit et à un moment donné, nos producteurs risquent de se sentir très isolés, même avec un prix du lait rémunérateur. Nous sommes on le sait, dans une région qui n’a pas de vocation laitière, mais le problème empire et c’est vrai, cela m’inquiète».