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Moissons

Un paysage bouleversé pour 110 Bourgogne

La coopérative icaunaise sort d’une moisson qui ne restera pas dans les annales. Un important travail de réflexion s’impose pour, d’une part, comprendre des différences de rendements inédites dans leur ampleur mais aussi pour réfléchir à des alternatives d’avenir.
Par Berty Robert
Un paysage bouleversé pour 110 Bourgogne
Une collecte globale en baisse de plus de 40 % : 2020 s’annonce pire que 2016 qui avait déjà été une mauvaise année.
Pour Jean-Marc Krebs, directeur général de la coopérative 110 Bourgogne cette moisson 2020 soulève bien des questions, à l’heure du bilan. En orges d’hiver, « la moisson est une catastrophe. Si l’on prend comme référence la moyenne historique, on est en baisse de 40 à 50 % ». Le directeur général de la coopérative pointe les attaques de pucerons à l’automne et, en l’absence de coup de froid, ils ont été plus virulents. « En plus, on va être clair : les agriculteurs qui doivent sortir pour aller mettre un coup d’insecticide dans les champs se posent la question des critiques dont ils risquent encore de faire les frais… ». La qualité est présente en orge de brasserie d’hiver, « mais avec des récoltes en baisse de 40 ou 50 %, poursuit Jean-Marc Krebs, l’orge devient fourragère puisque l’azote qui a été appliqué sur la céréale n’a pas été transformé en amidon, ce qui fait monter les taux de protéine ». Certaines orges fourragères récoltées cette année contiennent des taux de protéines allant parfois jusqu’à 15 %. « Des teneurs pareilles, c’est du jamais vu » confirme-t-il.

Culture de niche
Le colza, pour sa part « devient une culture de niche au sein de la coopérative », souligne son directeur général, « parce qu’on n’arrive plus à le cultiver, en raison, là aussi, de problèmes de maîtrise de populations d’insectes, particulièrement à l’automne. De plus, on a eu l’épisode de froid de fin mars - début avril, qui a fait geler des colzas en fleurs : les agriculteurs ont carrément essayé de remplacer leur culture ». Sur ce qui reste dans l’Yonne, les rendements, par rapport aux moyennes historiques, s’affichent en baisse de 30 %. Il faut rappeler que, sur les deux dernières années, et en raison du problème des insectes, 80 % de la sole de colza a été perdue dans l’Yonne. « Sur les plateaux, aujourd’hui, explique Jean-Marc Krebs, un agriculteur qui veut faire du colza doit commencer, outre la semence, par mettre entre 120 et 150 euros de désherbage, faute de quoi sa culture ne sera jamais propre et derrière, il ne maîtrisera pas les insectes. Sur ces zones, si vous faites, comme c’est le cas cette année, entre 7 et 10 q/ha de rendement, la culture n’a plus aucune rentabilité ».
Pas d’amélioration du bilan général à attendre du côté des pois d’hiver. En fonction des conditions de végétation, les rendements de cette culture varient entre -20 et -30 %, et c’est quasiment la même chose du côté des pois de printemps. « Le pois, particulièrement celui d’hiver, souligne Jean-Marc Krebs, est devenu une espèce qui permet aux agriculteurs de remplacer le colza en tête de rotation ». Sur le pois d’hiver, la sole a énormément augmenté.

Une situation difficile à comprendre
Venons-en au blé. Là, le directeur général de 110 Bourgogne pointe en premier lieu une grande hétérogénéité. Quand les choses se sont à peu près bien passées, on trouve des rendements qui se situent dans la moyenne quinquennale (63 q/ha), mais dans le cas contraire, les rendements s’affichent à -30, voire -40 %. Certains agriculteurs ont fait entre 35 et 40 q/ha, quand d’autres ont atteint une moyenne historique. « Face à cela, on a du mal à comprendre ce qui s’est passé. On a dû avoir du gel de meiose parce que le printemps a été très violent. Le pollen a pu geler au moment de féconder certains grains… Vous pouvez avoir une parcelle avec une variété qui a pu faire un très bon rendement et, 200 mètres plus loin, une autre parcelle, avec une autre variété, pour laquelle le résultat est divisé par deux. Nous avons encore des éléments à creuser pour trouver une explication… ». Le fait est que pour 110 Bourgogne, constater un tel niveau d’hétérogénéité est inédit. S’ajoute à cela une sécheresse qui a mis à l’épreuve les terres superficielles des plateaux de Bourgogne (Châtillonnais, Tonnerois, Auxerrois, Forterre), entre la mi-mars et la mi-mai et qui, là aussi, n’a rien fait pour arranger les choses.
En orges de printemps, la prudence s’imposait alors qu’au moment de cet échange avec Jean-Marc Krebs (le 27 juillet), seuls 30 % de la récolte était réalisée. Néanmoins, les premières données récoltées par la coopérative laissaient entrevoir des rendements en baisse de 30 % (on était à 32-35 q/ha contre 50 en temps normal), mais, dans certaines zones, on trouve des rendements compris entre 40 et 55 q/ha. « Néanmoins, à ce jour, soulignait Jean-Marc Krebs, il est difficile de dire précisément de combien la collecte va baisser. Par rapport à 2016, il nous manque 30 000 tonnes pour parvenir au même tonnage ». Si le directeur général de la coopérative prend cette année-là comme référence, ce n’est pas pour rien : 2016 fut une mauvaise année, en raison de trombes d’eau survenues en mai qui avait empêché la fertilisation des blés. « Cette année 2016, certains agriculteurs ne s’en sont pas encore remis… ». Et si l’on prend en compte la moyenne des collectes, à fin août, des années 2017, 2018 et 2019, il manque 45 % des quantités. « Dans la plaine, conclut Jean-Marc Krebs, le moral est en berne ». Quelques espoirs reposent néanmoins sur le maïs et le tournesol. Les exploitants attendent la pluie avec impatience. Sur les orges d’hiver, la coopérative espère beaucoup des variétés brassicoles tolérantes à la jaunisse nanisante, qui existent déjà dans les variétés d’orges fourragères. « Si on ne parvient à obtenir des résultats de ce côté-là, précise Jean-Marc Krebs, on risque d’assister à une dérive de la sole d’orges de brasserie d’hiver vers de l’orge fourragère ».
Face à un tel paysage, 110 Bourgogne, (qui compte 1 600 adhérents) va donc engager un plan d’économies comme ce fut le cas en 2016. Un plan destiné avant tout à permettre aux adhérents de franchir ce cap difficile.

Colza : Une course contre les insectes ?

Face aux problématiques qui se posent sur cette culture, 110 Bourgogne développe, depuis deux ans, du colza érucique (qui peut connaître des débouchés industriels dans la fabrication de détergents, de lubrifiants, ou encore dans les cosmétiques…). Ce type de colza est porteur d’un supplément de valorisation et ces variétés poussent très vite, ce qui, dans certains cas, peut permettre de prendre les insectes, et les dégâts qu’ils provoquent, de vitesse. Au chapitre des voies alternatives explorées par 110 Bourgogne figurent aussi la culture de la caméline qui se sème en juin - juillet et se récolte en octobre, ou celle du lin, dans le cadre de la filière Bleu-Blanc-Coeur. La graine de lin est mieux rémunérée que s’il s’agissait seulement de faire du lin fourrager. Des tentatives sont faites également sur le chanvre. Mais, pour Jean-Marc Krebs, la solution idéale serait quand même de pouvoir retrouver le colza en tête de rotation avec des insecticides efficaces.