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Rencontre

Un mariage des saveurs et des traditions

À Hunawihr (Haut-Rhin), Christophe Mittnacht et Yuka ont écrit une histoire hors du commun : un mariage des saveurs et des traditions qui trouve sa traduction dans un mot. « Gyotaku » : 1. Art traditionnel japonais qui consiste à réaliser l’empreinte d’un poisson avec de l’encre et du papier. 2. Cuvée née de la rencontre entre une cheffe de cuisine japonaise et un vigneron alsacien.

Par Margot Fellmann
Un mariage des saveurs  et des traditions
Margot Fellmann
Christophe et Yuka proposent une table d’hôte qui accompagne les vins du domaine familial.

L’histoire commence quand Yuka, jeune cuisinière, quitte son Japon natal, lassée du sexisme qu’elle subit derrière les fourneaux. Elle a envie de découvrir comment sont fabriqués les produits français qu’elle travaille. Confitures, tisanes, fromages… Elle veut comprendre la base de son art. Après deux ans de voyage, elle arrive à Hunawihr, pour faire les vendanges chez Christophe Mittnacht. Nous sommes en 1999 et son périple prend une tournure inattendue. « Finalement, je ne suis jamais repartie au Japon », raconte Yuka. Elle apprend le français, appréhende les différences culturelles. En 2002, le couple se marie. Yuka devient alors salariée du domaine familial. 

Trois générations

En épousant Christophe, Yuka intègre aussi une famille de viticulteurs depuis trois générations. « Déjà, mon arrière-grand-père était tonnelier. Mon grand-père Paul s’est installé à Hunawihr comme viticulteur en 1963, puis a transmis à ses fils, Louis et André. Les deux frères ont passé le flambeau à leur tour. » Les cousins, Marc, le plus âgé, puis Christophe, le fils de Louis, se sont associés, se répartissant les missions au domaine. « On sortait du même moule, nous avons grandi ensemble, raconte Christophe. Notre évolution s’est faite naturellement. Nous avions la même envie de passer en bio, puis en biodynamie. » Comme dans beaucoup de famille, la certification bio est un sujet délicat à l’époque pour Louis qui partage des valeurs différentes. Ce n’est pourtant que le début des changements pour le domaine. Chacun construisant sa famille, il a fallu composer avec les aspirations des uns et des autres, laisser de la place aux nouveaux venus. « Nous avons finalement scindé nos vignes, démêlé ce que les générations précédentes avaient construit, avec respect bien sûr. Chacun a pu continuer dans sa direction, avec son propre domaine, raconte Christophe en choisissant ses mots. Cela a été très difficile pour mon papa. Mais c’était une décision nécessaire. Une destruction, mais aussi une naissance. » 

Un nouveau domaine

En 2019, Terres d’étoiles est créé. Le nom du domaine inspiré d’un poème s’est présenté à Christophe Mittnacht comme une évidence. « En référence à mon nom de famille bien sûr, et au blason familial où il y a des étoiles et une demi-lune, ajoute-t-il. Je ne voulais pas mettre simplement mon nom car je pense que c’est plus facile de transmettre une marque. » Depuis, en plus des vignes qui se trouvent à Hunawihr, Christophe se charge aussi de la vinification, dans leurs nouveaux locaux à Ostheim. « Désormais quand je suis dans les vignes, je pense au vin que je veux faire. Chaque coup de sécateur prend une autre dimension. » Terres d’étoiles compte 11 hectares, sur une cinquantaine de parcelles autour de Hunawihr, sur la même géologie, un sol calcaire. Au quotidien, il est accompagné de Michel et Mina dans les vignes et de Laura à l’administration. Yuka, quant à elle, participe aux vendanges en confectionnant les repas. Une petite équipe efficace qui travaille ensemble depuis des années. Terres d’étoiles propose une gamme de vins d’Alsace traditionnels, mais aussi des vins plus uniques. « Avec 25 ans d’expérience en bio puis en biodynamie, nous faisons au mieux avec ce que nous donnent la nature et notre terroir. Depuis 15 ans, la cuvée Gyotaku est notre vin le plus vendu. C’est un assemblage de cinq cépages fait pour accompagner les sushis. » Yuka a participé de près à son élaboration. « On a beaucoup dégusté », se rappelle-t-elle amusée. Sur l’étiquette, on retrouve l’art qui donne son nom à la cuvée, un gyotaku, une empreinte de poisson. Même le papier de l’étiquette est particulier. « C’est la seule cuvée que nous tenons à garder dans une continuité d’une année à l’autre. Elle est assemblée sur le pressoir pour que la fusion soit forte. Puis nous ajustons, par touches, pendant la vinification en faisant appel aux saveurs du Japon. » Le vigneron produit aussi des vins nature. « C’est le graal après tout mon parcours. C’est magnifique de faire des vins le plus naturellement possible, estime-t-il. Nous y allons progressivement. Je tiens à ce que nos vins, même nature, restent des vins d’Alsace. Quand c’est raté, je l’accepte et je ne le propose pas à nos clients. » 

Le Japon, un marché porteur

Sans surprise, le Japon est un marché important pour le domaine. « Depuis une soixantaine d’années, les vins d’Alsace marchent de plus en plus au Japon. Leur structure, des vins secs aux accents épicés, les rend facile à combiner avec les plats japonais. » Yuka a bien sûr facilité le développement de ce marché qui représente aujourd’hui 15 % des ventes. Terres d’étoiles bénéficie aussi du soft power japonais et de l’attrait des gens pour la culture nippone. Avec les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Europe principalement, le domaine exporte 75 % de sa production. « Ce n’est pas le même travail d’image, estime le vigneron. En France, il faut toujours justifier son travail. » Conscient de la fragilité de son jeune domaine qui n’a pas les stocks des plus anciennes et plus grandes exploitations, Christophe évolue prudemment. « Je cherche des partenaires, à construire dans la durée. Nous avons la chance d’avoir une exploitation qui fonctionne bien. Nous voulons répondre à la demande tout en gardant une taille familiale. » 

Retour en cuisine

Au fil des années, pour Yuka aussi, est venu le temps du changement. « Le vin n’était pas ma passion première, explique-t-elle. Après une dizaine d’années dans les vignes, j’ai voulu revenir à la cuisine. » Pour la cheffe et le vigneron, l’envie de marier leurs passions est la plus forte. Ensemble, ils trouvent le moyen d’assembler les vins d’Alsace et la cuisine du pays du soleil levant. Aujourd’hui, le couple propose une table d’hôte qui accompagne les vins du domaine familial. Ils ont choisi comme cadre l’association Accueil paysan qui permet de proposer ce genre de prestation sans trop de contraintes. C’est à la maison que Yuka et Christophe reçoivent. Ils ont construit avec ce projet en tête, la grande table et la cuisine ont été pensées pour. « J’ai une grande souplesse de travail », avance Yuka qui est aussi la mère de trois garçons âgés de 16, 18 et 19 ans. « Depuis 12-13 ans, ça ne désemplit pas ! », ajoute avec fierté Christophe. « Nos vins sont secs, sont faits pour la gastronomie. En les servant pendant nos repas, nous le prouvons. Mais nous aimons aussi surprendre. » Les convives sont d’abord invités à discuter. « Après, on en parle, présentent Christophe et Yuka. Cet accord mets-vins, c’est l’aboutissement de notre travail à tous les deux. »

Un mariage des saveurs et des traditions