Un engagement essentiel, mais parfois malmené
À l’aube des prochaines élections municipales de 2026, près de 70 % des élus locaux se déclarent satisfaits de leur mandat. Pourtant, depuis quelques années, un nouveau leitmotiv se fait entendre : les charges administratives complexes, le manque de moyens et les atteintes parfois portées aux édiles cristallisent de nombreuses tensions et poussent certains à la démission. Des problématiques auxquelles le ministère de l’Intérieur et les associations de maires tentent de répondre, afin de ne pas décourager les nouvelles forces prêtes à dynamiser la vie locale.
Ces derniers mois, une étude menée par Martial Foucault, chercheur au Cevipof, a fait grand bruit au sein des mairies françaises. Selon le politologue, 2 189 maires ont démissionné depuis l’installation des conseils municipaux en 2020, soit près de 6 % des élus. Cela représente plus d’une démission par jour, avec un pic en 2023 (613 départs). Le phénomène s’inscrit dans une progression continue depuis quinze ans : entre 2008 et 2026, le nombre moyen de démissions annuelles a été multiplié par quatre.
Les villes moyennes concentrent un quart des démissions
Dans son étude, Martial Foucault affirme que ces démissions concernent « à 80 % des hommes âgés en moyenne de 66 ans et souvent issus des professions intellectuelles ou cadres supérieurs ». Le phénomène ne se limiterait pas aux petites communes et toucherait également les villes moyennes (1 000 à 3 500 habitants), qui concentrent un quart des démissions. Ces communes, moins dotées en moyens humains et techniques, apparaissent plus vulnérables. Les principales causes de démissions mentionnées sont les tensions internes au conseil municipal (31 %), les passations programmées (13 %) et la santé physique et psychique (près de 18 %). Dans un tel contexte, est-il réaliste de parler d’un désengagement des élus locaux ? D’un côté, la France reste un pays où l’engagement municipal est fort, puisque près d’un Français sur 50 s’investit sur une liste électorale tous les six ans. De l’autre, le mandat de maire est perçu comme de plus en plus ingrat, chronophage et conflictuel.
69 % des maires satisfaits de leur fonction
Face à ce constat, Cédric Szabo, directeur général de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), prône la mesure : « Si 70 % des communes se retrouvent sans listes déposées à trois semaines des élections, nous pourrons, là, nous inquiéter ». Le directeur préfère commenter les données recueillies en 2024 par l’Observatoire Amarok (Université de Montpellier), en partenariat avec l’AMRF. Cette étude menée auprès de 2 000 maires note que 69 % d’entre eux se déclarent satisfaits de leur fonction, tandis que 31 % montrent des signes d’épuisement et un peu plus de 3 % (soit environ 1 150 à 1 200 élus) sont en risque sévère de burn-out. Le stress structurel, provoqué par la complexité et la lourdeur administrative, la charge de travail excessive, la gestion incertaine des subventions, les conflits entre élus et les agressions, constitue la principale menace. « Dernièrement, j’étais avec un maire de Haute-Loire qui m’expliquait être en procédure administrative depuis 16 ans au sujet de l’installation d’une unité d’énergie renouvelable au sein de son village », relate Cédric Szabo. Un récit qui correspond parfaitement à celui dépeint par les chercheurs de l’université de Montpellier : les maires restent investis dans leurs missions, mais se heurtent à un fort sentiment d’impuissance face aux blocages administratifs et aux contraintes externes.
« On m’a déjà traité de bon à rien »
Sur le terrain, les témoignages sont peu optimistes. « Lorsque j’ai eu mes premières responsabilités en 1995, les élus locaux étaient respectés, confie Emmanuel Ferrand, maire de Saint-Pourçain-sur-Sioule, une commune de 5 200 âmes située dans l’Allier. Aujourd’hui, le spectacle donné par la classe politique nationale nous retombe parfois dessus, puisque les citoyens considèrent que les hommes et femmes politiques sont tous les mêmes… On m’a déjà traité de bon à rien, ou encore dit que je vivais grassement de mes indemnités ! » Selon lui, les plus petites communes rurales sont les moins bien loties. « Les maires y sont aussi bien des assistants sociaux, que capables de se charger de la cantine ou de la garderie lorsque du personnel manque ! Auparavant, les parents d’élèves se proposaient pour remplacer. Dorénavant, ils estiment qu’ils paient et que c’est au maire de se débrouiller ». Emmanuel Ferrand le concède : il ne sait toujours pas s’il se représentera lors des prochaines élections municipales en 2026. « Autour de moi, peu de personnes sont réellement enjouées ou volontaires… ». Même son de cloche à Chaumont, une petite commune rurale de 540 habitants en Haute-Savoie. Après quatre mandats déjà menés, le maire André-Gilles Chatagnat est résigné. « J’attends avec impatience mars 2026 pour arrêter, ce dernier mandat a été trop compliqué à gérer ». L’édile déplore une communication par messages devenue trop agressive avec les citoyens. « Depuis la crise sanitaire du Covid-19, les gens ne se déplacent plus en mairie et préfèrent nous asséner de messages la nuit, le dimanche, sur un coup de tête ». L’élu déplore également un manque d’empathie considérable. « Quel que soit votre problème de santé, les personnes s’en moquent et se montrent égoïstes et individualistes… ». Décidé à ne pas briguer de 5e mandat, l’édile de 64 ans note tout de même une lueur d’espoir. « L’engagement ne va pas s’arrêter du jour au lendemain, les élus sortants laisseront place à de nouveaux qui ne connaissent pas encore ces responsabilités ! ».