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Chambre agriculture de L'yonne

Traité de libre échange: un projet qui fait débat

Invité à la Session de rentrée de la Chambre d’agriculture, Thierry Pouch, économiste à l’APCA, a apporté des précisions sur le projet de traité transatlantique de libre échange en cours de négociation entre l’Europe et les États-Unis.
Par Dominique Bernerd
Traité de libre échange: un projet qui fait débat
Thierry Pouch, économiste à l’APCA
Appelé TAFTA* par les uns, TTIP* par les autres, le projet de traité transatlantique de libre échange entre les États-Unis et l’Union Européenne soulève pour le moins des interrogations, voire des inquiétudes dans la sphère agricole. Ne serait-ce que par les multiples zones d’ombre entourant les négociations en cours depuis plus de deux ans. Invité à la Session de rentrée de la Chambre d’agriculture de l’Yonne, l’économiste de l’APCA, Thierry Pouch a livré aux administrateurs présents, quelques pistes de réflexion et renseignements sur le sujet, Ironisant en préambule, sur le fait «qu’il peut-être paradoxal de voir les deux adversaires d’hier au sein du GATT (ndlr : accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), en train de négocier pour aboutir à un partenariat bilatéral, alors qu’au niveau agricole, les sujets de tension sont à peu près les mêmes que ceux rencontrés à l’époque».
 
Les normes industrielles et agricoles au cœur des débats
Depuis les années 1990, les Accords de libre échange notifiés à l’OMC prolifèrent. On en dénombrait un peu plus de 600 à fin 2014. Des accords préférentiels qui ne sont plus seulement régionaux, mais de plus en plus transcontinentaux (USA/Israël, UE/Chili, UE/Afrique du Sud…), formant un enchevêtrement parfois contradictoire entre eux. Avec la particularité de ne plus porter uniquement sur des tarifs douaniers, mais également sur des dimensions normatives : «aujourd’hui, l’enjeu fondamental et c’est le cas pour ces négociations transatlantiques, va porter sur des normes ou règlements, que les États-Unis et l’Europe vont tenter d’harmoniser, de façon à gagner en économie d’échelle, comme sur les coûts de production, même si, pour ce qui est de l’agriculture, les droits de douane restent quand même un sujet sensible. A l’image des IGP et AOP qui constituent des objets de friction extrêmement durs dans les négociations».
Un fossé semblant se creuser entre les attentes des industriels et celles des agriculteurs, aux intérêts de moins en moins convergents. Les premiers privilégiant la mise en place rapide de procédures de production communes, là où les seconds appellent à plus de prudence.

Un excédent alimentaire de deux milliards d'euros
Comment contenir la montée en puissance de la Chine ? C’est le contexte de ces négociations, explique Thierry Pouch : «en dépit d’élargissements successifs, l’Union Européenne ne parvient plus à endiguer l’érosion qu’elle connaît sur sa part dans le PIB mondial. Selon le FMI et la Banque Mondiale, la Chine vient de dépasser les États-Unis et l’UE devrait l’être à son tour d’ici la fin de l’année, sauf si le ralentissement chinois de ces derniers mois s’affirme…» Avec comme rôle, pour la Commission européenne, de jouer les «garde-fous», en matière de respect d’un certain nombre de normes, alimentaires notamment, mais plus généralement, concernant la sécurité au travail, la santé ou la diversité culturelle.
Depuis la fin des années 90, les États-Unis dégagent un déficit de leurs échanges avec l’UE, la France pour sa part, enregistrant un excédent alimentaire de deux milliards € : «les Américains entendent bien à travers cet accord, récupérer un marché européen qu’ils ont perdu…» Aujourd’hui, l’agriculture représente 5 % du commerce de l’UE vers les États-Unis (16 % avec l’agroalimentaire). Un commerce assez concentré, avec 54 % des exportations générés par des vins et alcools (80 % pour la France). Avec le désavantage pour les pays de la zone euro, souligne Thierry Pouch, «de ne pouvoir rivaliser avec les États-Unis, qui ont toute liberté de manipuler le taux de change de leur devise. Et on sait bien que lorsque le dollar s’affaiblit, les exportations augmentent»
 
Un recul de la production bovine européenne de 30 %
Les droits de douane appliqués aujourd’hui au commerce transatlantique, font apparaître une grande disparité, avec des tarifs inférieurs de moitié pour les produits européens importés aux États-Unis, comparés aux échanges inverses. Les négociations en cours appellent notamment à démanteler les barrières douanières et ouvrir les marchés : «ce qui représentera une concurrence vis à vis de nos producteurs locaux, sachant par exemple, que les coûts de production outre Atlantique, sur la viande bovine, sont très largement inférieurs aux nôtres» Selon les milieux économiques, l’impact d’un tel accord sur le commerce agricole ne sera pas neutre : «si on fait l’hypothèse d’une réduction à 100 % des tarifs douaniers et d’une réduction de 25 % des barrières non tarifaires, le commerce intra communautaire reculerait de
2 %. Une première en la matière, avec des gains obtenus par les États-Unis dans les échanges, deux fois supérieurs à ceux de l’UE»
L’impact sectoriel sur les échanges faisant apparaître un surcroit d’exportation de 14 % pour les viandes blanche américaines, de 20 % pour les produits laitiers, mais aussi de 18 % pour les fruits et légumes, «ce qui ne serait pas sans danger pour les filières françaises en difficulté structurelle…» Globalement, l’UE verrait sa production agricole reculer de 0,6 %, «un chiffre qui est loin d’être négligeable»
Les négociations risquent toutefois d’être encore longues et difficiles, car le contexte ne s’y prête guère : priorité donnée par les États-Unis aux négociations Trans-Pacifique, élections présidentielles en 2016…, mais aussi, conclue Thierry Pouch, «la réouverture des négociations avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay…) et les estimations en terme de recul de la production européenne de viande bovine ne porteraient plus alors sur 10 % mais sur 30 %!»

* TAFTA : Trans Atlantic Free Trade Agreement (Accord Commercial Trans-Atlantique)
* TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership (Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement).