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Soirée élevage de la FDSEA 58 à Châtillon-en-Bazois

«Si on n’a que le prix, on est mort !»

La Maison des jeunes et de la culture de Châtillon-en-Bazois a, de nouveau, accueilli la soirée élevage de la FDSEA58, jeudi 5 décembre au soir. Un débat riche et controversé a nourri les échanges entre les représentants des éleveurs, certains éleveurs eux-mêmes.
Par Emmanuel Coulombeix
«Si on n’a que le prix, on est mort !»
Noël approche mais, pour le monde de l’élevage, il serait vain et chimérique de se mettre à croire au Père du même nom. Et jeudi dernier, les responsables de Carrefour et Mac Donald’s, invités à venir débattre à Châtillon-en-Bazois pour la traditionnelle soirée «élevage» de la FDSEA 58, se sont bien gardés de jouer les petits lutins. Quelles que soient les manifestations d’empathie des uns et les revendications ou pressions plus ou moins amicales des autres, un prix du kilo de viande à 5 euros n’est sans doute pas pour demain. Cela étant posé, le tour de table de la semaine dernière a au moins eu le mérite de faire se causer des mondes à la fois si interdépendants et en même temps -ce n’est pas un paradoxe- si lointains l’un de l’autre. Le fil conducteur des échanges a tourné autour de la dimension entrepreneuriale. Parfois, avec forces détails abscons, les dirigeants de Carrefour et Mac Donald’s ont évoqué les hausses et les baisses des prix et des marchés, des dents de scies qui paraissent plus ou moins maîtrisables et dont l’impact n’est pas toujours répercuté sur leurs clients. Au grand dam de ces autres chefs d’entreprises, agricoles ceux-là, que sont les éleveurs, qui voudraient bien parfois faire reposer la hausse de certaines de leurs charges, les plus volatiles, sur leurs clients. La grande distribution et la restauration hors foyer sont si souvent pointées du doigt pour ne pas tenir compte des impératifs économiques de leurs fournisseurs... Et l’argument du prix payé par le consommateur final ne tient pas la route, selon les éleveurs qui, eux-mêmes consommateurs, observent régulièrement la hausse de leur viande dans leurs centres commerciaux de proximité alors que leurs comptes en banque ne daignent pas s’épaissir. Cruel euphémisme... «La consommation diminue... Les producteurs n’en peuvent plus... La recherche permanente du centime de moins nous oblige aujourd’hui à constater un recul de la qualité. Nous sommes au bout d’un système» a alerté, à la tribune, sous des applaudissements nourris, Emmanuel Bernard, le président de la section bovine de la FDSEA 58, organisateur de la soirée. Ce sont de 150 à 300 euros de moins par animal et par éleveur qui se perdent depuis le début de la baisse des cours. Des pistes de salut doivent donc être explorées   : tous les intervenants en ont convenu, avec les mêmes mots, mais pas avec les mêmes logiques, les mêmes approches ni les mêmes contraintes.

Segmentation et relance de la consommation
Trois mots-clés ont donc animé les réflexions des intervenants   : la segmentation, la contractualisation et l’export... Sur le premier, destiné à relancer la demande intérieure, Pierre Vaugarny, le secrétaire général de la FNB, a souligné que «sur beaucoup d’étals, c’est un joyeux b....l! Tout est à côté de tout et personne ne s’y retrouve... Nous devons travailler à la remise en avant de nos races à viande et la segmentation est certainement le moyen pour y parvenir!»   Ce à quoi Gérard Clavière, le directeur boucherie du groupe Carrefour a répondu que «la réforme de la dénomination des morceaux, engagée depuis 6 ans, a une importance majeure». Et ce n’est pas tout. Pour relancer la consommation, il faut aussi être innovant, selon celui qui a cité deux exemples de ce que propose son enseigne. A côté des rayons traditionnels, des steaks hachés et des produits de coeur de gamme - «où se situe notre vache charolaise», Carrefour propose aussi, maintenant, des «viandes maturées durant 6 semaines avec la société Puygrenier. C’est du très haut de gamme mais cela prouve que nous pouvons aussi vendre de la viande cher» a-t-il énoncé. Un éleveur, dans la salle, s’est tout de même demandé ce que voulait dire le terme «cher» car, se basant sur sa propre situation, a accusé la grande distribution et la restauration hors foyer de ne pas tenir compte des prix de revient : «Mon père vendait ses vaches 26 francs le kilo dans les années 80, aujourd’hui je peine à vendre ma vache autour de 4 euros» a simplement constaté Jérôme Deboux, en Gaec avec son frère et sa belle-soeur à Chagny, et dont l’exemple n’est pas une exception parmi les professionnels présents jeudi. Vice-président des achats de Mac Donald’s Europe, Willy Brette a embrayé en expliquant que la segmentation implique des incompatibilités entre les débouchés. En clair il ne peut pas acheter la même vache, pour ses «steaks hachés 100% muscle sans gras» (ndlr  : soit 70% de l’activité de la chaîne de fast-foods) que celle dont a besoin le responsable de Carrefour. Et donc, reproduits entre différentes enseignes et débouchés, ces orientations créent une dépression -voire une dépréciation?- sur le marché. Etre innovant encore, selon Gérard Clavière, c’est aussi proposer aux consommateurs des morceaux de viande en lamelles avec des légumes en lamelles aussi, pour la cuisine au wok. «Les étudiants en raffolent et nous développons ce genre de produits à grande vitesse» a-t-il remarqué. Sauf que là, la valorisation des races à viande et de leurs producteurs passe tout de même au deuxième plan derrière la recherche de valeur ajoutée de l’enseigne. «Nous ne sommes pas altruistes. J’ai un patron qui me le dit souvent» a-t-il reconnu.

Contractualisation et export
Quant à la contractualisation, si les volumes ne sont pas à la hausse et que les éleveurs doivent assurer la sécurité de leurs exploitations, elle a abouti à un constat de semi-échec. «Mac’Do est l’entreprise qui en fait le plus depuis 10 ans en France. Cela représente 20 000 bêtes. Quand on s’assoit pour trouver des éleveurs prêts à prendre des animaux pour 18 mois, on n’en trouve pas beaucoup» a regretté Willy Brette. «Cela nécessite de changer de monde et cela ne peut pas marcher si vous n’indexez pas vos prix sur la volatilité des charges des éleveurs. Vous vendrez au même prix ou plus cher dans trois ans mais les effets ciseaux que supportent les producteurs, vous devrez les prendre en compte dans votre mécanique» lui a rétorqué Emmanuel Bernard. Ce qui a suscité la réaction du directeur de Carrefour  : «Nous, nos prix de vente ont baissé de 1 à 2 euros depuis l’an dernier puisque nous n’avons pas répercuté la hausse des cours ni la baisse depuis». Et Emmanuel Bernard de rebondir   : «à force de na pas avoir de revenu, donc de trésorerie, comment voulez-vous que nous puissions nous adapter à d’éventuels changements   ? On pourra nous proposer des contrats, mais nous n’aurons pas les moyens d’y aller. Pourquoi nous n’aurions pas droit nous aussi à la hausse des prix alors que tout le monde (ndlr: économique) profite des hausses?»    Et le responsable de la FNB a digressé sur les deux leviers pour faire repartir le marché  : «l’export et la consommation intérieure», qui, selon lui, doivent s’appuyer sur «la mobilisation de tous les acteurs de la filière». C’est d’ailleurs ce qui ressortait du travail mené par Interbev et l’Institut de l’élevage, dont Isabelle Tisserand puis Caroline Monniot avaient dévoilé les démarches, juste avant le débat. «Nous, la contractualisation, on y croit. Il faut aussi parler des éleveurs qui resignent 6 ou 7 ans de suite et on veut encore y croire» a insisté Willy Brette. Et sur l’export, «60% de la population mondiale rêve d’accéder à nos produits, les classes moyennes se développent. Essayons. Et racontons une histoire autour de nos productions. Si on n’a que le prix, on est mort !» a conclu Emmanuel Bernard.