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Interview

Restaurer la confiance des consommateurs

Entretien avec Jean-Yves Caullet, député-maire d’Avallon et rapporteur de la commission d’enquête parlementaire qui vient de rendre les conclusions de ses travaux sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie.
Par Propos recueillis par Dominique Bernerd
Restaurer la confiance des consommateurs
Jean-Yves Caullet, député maire d’Avallon et rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur « les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français »
C’est à la suite de vidéos publiées par l’association de défense des animaux L214 au sujet des conditions d’abattage dans les abattoirs d’Alès et du Vigan, qu’a été créée en mars dernier une commission d’enquête parlementaire sur «les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français» Présidée par Olivier Falorni, député de Charente-Maritime, elle avait pour rapporteur le député-maire d’Avallon, Jean-Yves Caullet. à l’issue de plusieurs mois de travaux, la commission d’enquête a rendu ses conclusions, avec pas moins de 65 propositions à la clé.

- Quel était l’objectif de cette commission parlementaire ?
J.Y. Caullet : «En parallèle de l’inspection générale de 263 établissements diligentée par le ministère, nous avons mené un travail qui a été de dire : des non conformité sont constatées, avec pour signification que les règles existantes ne sont pas suffisamment respectées et en ce cas, à quoi est-ce dû et comment peut-on y remédier ?  Mais en s’interrogeant aussi sur le fait de savoir si les règles sont suffisantes et si elles correspondent bien à ce que la société attend aujourd’hui, pour que chacun soit libre de son choix».

- Les images vidéo révélées par l’association L214 étaient particulièrement violentes.
«Bien sur, mais nous avons pris beaucoup de précaution pour ne pas rentrer dans le débat que l’association voulait faire passer, sur le thème «est-ce légitime de manger de la viande ? On tue trop d’animaux et d’ailleurs, on ne devrait pas en tuer» Nous étions plutôt dans la logique suivante : dans la société française d’aujourd’hui, chacun peut consommer ou pas telle ou telle viande, mais si vous faites le choix, comme moi, de manger de la viande, vous souhaitez que celle-ci soit mise à disposition dans des conditions que vous acceptez, que ce soit au plan éthique, au plan de l’élevage ou au plan de l’abattage. Et tout cela signifie que les règles doivent correspondre à ce que la société d’aujourd’hui admet».

- Vous êtes député d’une circonscription où l’élevage, notamment charolais, est très présent. Aujourd’hui, la filière est en crise et nombreux sont les éleveurs de l’avallonnais à considérer que l’on s’intéresse plus au sort des animaux qu’à leur propre sort.
«Ce type de mise en parallèle est fréquent en terme d’argument, mais je trouve que ce n’est pas un bon débat, dans la mesure où derrière tout ça, on réalise une inspection générale sur 263 abattoirs et qu’il en ressort des manquements… Et la meilleure façon de défendre l’élevage, ce n’est pas de dire « y’a rien à voir », mais au contraire, de décréter que l’on va faire la lumière la plus absolue et donner plus de moyens aux contrôles, éventuellement en renforçant quelques règles et observer leur respect, dans une transparence totale avec la société».

- Vous pensez que le travail mené et les conclusions apportées, seront bénéfiques également pour les éleveurs ?
«Je pense que c’est même indispensable ! Parce que si on continuait dans un débat biaisé, entre des gens qui, d’un côté, sont contre l’élevage et la consommation de produits carnés, utilisant pour cela certains éléments de communication et la profession d’autre part, niant la nécessité de parler et de faire comprendre les choses, à un moment donné, la fracture se produit immanquablement. Parmi les propositions faites, il en est une que j’ai initiée et qui a été retenue, à savoir, «les commissions locales de suivi». Réunissant les élus, les professionnels, les associations et bien sur, les producteurs, pour y échanger des informations, apprendre à se connaître, être des intermédiaires, pour faire connaître la réalité des choses».

- Le président Falorni a parlé «d’omerta», concernant certains abattoirs, déclarant qu’il était «plus facile de rentrer dans un sous-marin nucléaire, que d’y pénétrer».
«Il est clair que historiquement, les abattoirs ont été faits pour soustraire à la vue du public les opérations d’abattage des animaux. Mais la transparence, ce n’est pas flanquer sous le regard de tout un chacun, des images sans aucun commentaire et aucune préparation. La transparence, ça s’organise».

- La mise en place d’un comité national d’éthique, réclamée par la commission d’enquête, concernera t-elle l’ensemble de la filière ?
«C’est un peu sous jacent. Notre mission, concernait les conditions d’abattage, mais il est clair que ce qui intéresse le consommateur, c’est de savoir comment ça se passe, de la naissance de l’animal à l’assiette… Tirer les prix vers le bas, avoir des agriculteurs qui sont systématiquement les pourvoyeurs de matières premières pour des industriels cherchant, comme la distribution, les prix les plus bas, ce n’est pas un modèle qui aura longtemps encore, un débouché. Bien informée, la population de consommateurs est capable de réagir».

- Les conclusions de votre enquête ont révélé également un besoin d’investissement, dans un certain nombre d’abattoirs.
«Il y a en effet un problème d’investissement, parce que beaucoup de difficultés aujourd’hui, viennent de matériels non adaptés. Il existe un fond pour les abattoirs, dans le cadre du «Plan d’Investissement d’Avenir», aujourd’hui très peu consommé. Ce fond, géré par la BPI, a de l’argent, mais pour en bénéficier, les investissements devaient être au moins d’1 million € et nombre de petits abattoirs ne rentraient pas dans le cadre. Nous avons donc proposé, mais on sait que ce sera difficile, d’abaisser ce seuil d’éligibilité, à 100 000 €».

- Améliorer les conditions d’abattage peut-il avoir une incidence positive sur la baisse constatée de la consommation de viande ?
«Dans la part que j’ai prise dans ce travail, j’ai souhaité que cette thématique des conditions d’abattage, ne soit pas un élément qui surdétermine ce choix. Il s’agit, ni d’obliger à manger de la viande, ni d’interdire de le faire. Et en tous cas, surtout pas au regard des conditions d’abattage et d’élevage. Si j’avais un vœu à formuler, c’est que le travail réalisé puisse participer à faire monter la consommation en gamme. Demandez aux éleveurs ce qu’ils préfèrent, entre vendre 240 animaux pour rien ou 24 à un bon prix et en vivre ! On continue d’entretenir l’idée chez des personnes aux revenus modestes, que c’est de leur intérêt d’acheter des choses à bas prix. Mais quand vous regardez ce qu’ils achètent, vous vous apercevez qu’en fait, ils achètent à bas prix des produits transformés et qu’ils pourraient, avec le même argent, acheter des produits de base de bien meilleure qualité. à mes yeux, la partie n’est pas perdue, c’est un grand combat sociétal et économique, que les agriculteurs doivent porter».

- Au final, satisfait du travail accompli ?
«Ce que nous avons essayé de mener, c’est un travail objectif et garantir la possibilité d’un libre choix. Il faut pour cela qu’il y ait une transparence, des règles mieux fabriquées, une formation plus importante, des contrôles mieux adaptés et plus de moyens… On ne redressera pas forcément pour autant la consommation, mais on peut éviter ainsi, qu’un argument collatéral ne vienne fragiliser de manière injuste toute la filière».