Quand démocratiser la musique classique passe par les fermes
Productrice de spectacles de musique classique (opéra, musique de chambre…) à travers deux sociétés « Les Minutes Heureuses » et « Contraste Productions » qu’elle gère avec maestria et passion, Hélène Paillette a développé le concept des Concerts à la Ferme. Une vingtaine de dates ont été programmées pour la saison estivale entre fin mai et fin septembre.

Comment sont nés les Concerts à la ferme ?
Hélène Paillette : « Pendant le Covid, en 2020, à l’image de nombreux secteurs d’activité, la culture a été considérée comme non essentielle. Le ministère de la Culture a demandé aux artistes de sortir de leurs scènes théâtres traditionnels, par essence des bâtiments confinés et d’investir d’autres “lieux de vie“. C’était un vrai défi pour une profession à cette époque en grande souffrance. Beaucoup de musiciens sont restés sans travail pendant plus de huit mois. C’est en allant chercher quelques fruits et légumes d’une exploitation en circuit court de l’Oise que m’est venue l’idée de faire sortir les musiciens. Je me suis aussi inspirée de mon expérience de productrice de la tournée Un Été en France avec Gautier Capuçon. Cette tournée estivale sillonne les communes rurales et permet d’aller à la rencontre des habitants de ces lieux parfois très isolés ».
La barrière psychologique n’a-t-elle pas été trop compliquée à franchir ?
H.P. : « Absolument pas, ni du côté des musiciens ni du côté des agriculteurs qui m’ont d’ailleurs facilité la tâche. Je pense en particulier à l’ancien président de la Chambre d’agriculture de l’Oise, Hervé Ancellin qui a permis de jeter un pont entre les agriculteurs et la musique. Je remarque d’ailleurs que ceux qui nous accueillent sur leur exploitation sont mélomanes. Ce qui facilite le contact ».
Quel objectif recherchez-vous à travers ces concerts à la ferme ?
H.P. : « Tout simplement à démocratiser la musique classique, la rendre accessible à ceux qui n’ont pas la possibilité et le bonheur de venir voir des concerts dans les salles parisiennes, que ce soit l’Opéra Garnier, l’Opéra Bastille, la Salle Pleyel, la salle Gaveau, dans les Zénith ou ailleurs. Je cherche aussi à rompre l’isolement de certains agriculteurs et valoriser le travail qu’ils réalisent au quotidien et qui est souvent incompris. Avant le concert, je leur donne la parole. Ils expliquent ce qu’ils produisent, pourquoi, comment, ce que leurs productions deviennent ensuite, à l’image de ce producteur de lin qui expliquait que toute sa récolte partait en Chine et revenait en France sous forme de vêtements. Quand le concert a lieu sur une exploitation viticole, les spectateurs ont droit à un verre de l’amitié. D’une certaine manière, c’est l’occasion de rapprocher les villes et les campagnes ».
Les spectateurs ressortent-ils heureux de cette expérience ?
H.P. : « Nous faisons le plein à chaque fois. C’est-à-dire que la jauge maximale pour un concert à la ferme ne doit pas dépasser environ 140-150 personnes. Ce nombre est suffisant pour conserver une certaine convivialité, permettre des échanges fructueux. Il permet aussi de déployer des équipements adaptés à la configuration des lieux, que ce soit la sonorisation ou l’éclairage. Je tiens aussi à la qualité des groupes qui se produisent, car je m’interdis de donner des concerts au rabais. J’ajoute que les lieux, en règle générale des granges, disposent d’une très bonne acoustique, grâce au mélange pierre et bois. Il faut aussi s’adapter aux conditions météorologiques, notamment quand un été très pluvieux comme nous l’avons connu en 2024 vient à humidifier les marteaux du piano à queue… Mais nous nous adaptons et il est essentiel pour nous d’offrir une prestation de qualité pour que les spectateurs passent un agréable moment ».
La magie arrive-t-elle à prendre ?
H.P. : « Je le pense. Les agriculteurs et les spectateurs ressortent généralement enthousiastes de ces concerts qui ne sont pas que classiques. En fonction du calendrier, des disponibilités et d’autres critères, le répertoire s’élargit au jazz, à l’opérette… Il faut voir la tête des personnes quand la chanteuse de Carmen vient s’asseoir sur les genoux des messieurs pendant son tour de chant… Le mélange des genres est très apprécié et en plus de faire découvrir un univers peu familier à quelques personnes, nous mettons en valeur, en première partie, des chorales et fanfares locales ».
Quels sont vos projets pour 2026 ?
H.P. : « Idéalement, j’aimerais pouvoir organiser une saison d’hiver, car cette période, morte-saison pour le secteur agricole, se prêterait bien à ces événements. Mais il me faut ici trouver des fermes plutôt orientées vers l’agrotourisme, disposant de pièces intérieures assez vastes. Je souhaiterais aussi organiser un concert sur le ring du Salon international de l’Agriculture. Ce serait formidable. Je sais qu’il y a déjà eu des événements sportifs comme des matchs de football et de rugby. Les 25 concerts organisés pour la saison 2025 (nous n’étions qu’à 10 en 2023) le sont sous le Haut patronage du Centre national des expositions et concours agricoles (Ceneca) coorganisateur avec Comexposium du Salon de l’agriculture. Nous avons bon espoir que notre demande recevra une réponse favorable… ».
Tous les concerts sont à participation libre avec réservation recommandée. Réservation : resa.calf@gmail.com ou 01 40 36 04 16. Programmation sur www.concertsalaferme.fr